Même Lufthansa, une des compagnies aériennes européennes les mieux implantées dans l’Empire du Milieu, a du mal à faire face à la concurrence chinoise. © imageBROKER/Jochen Tack

Comment la Chine envahit le marché aérien européen

Les compagnies aériennes chinoises ont pris d’assaut les aéroports du Vieux Continent, à tel point que leurs concurrents européens avouent avoir du mal à faire face.

+74%: c’est la hausse du nombre de vols entre la Chine et l’Europe entre l’été 2023 et 2024. Mais, paradoxalement, les compagnies aériennes européennes ne contribuent pas à cette augmentation. Au contraire: Virgin Atlantic supprimera le 25 octobre prochain sa liaison de Londres à Shanghai. Le lendemain, British Airways suspendra sa ligne de Londres à Pékin, et n’assurera plus que des trajets vers Shanghai et Hong Kong. Air France déclare assurer moins de vols vers la Chine, vers un nombre réduit de destinations. Même Lutfhansa, encore optimiste début 2024 sur ses perspectives en Chine, a dû revoir ses ambitions à la baisse depuis. Cette liste pourrait s’allonger. Toutes les compagnies européennes connaissent des difficultés sur leurs lignes vers l’Extrême-Orient.

La hausse du nombre de vols Europe-Chine n’est donc que le fait des compagnies chinoises. Selon OAG, spécialiste dans l’analyse du transport aérien, en un an, elles ont augmenté leurs fréquences dans tous les grands aéroports du Vieux Continent: +26,3% à Rome, +127,4% à Budapest, +41,1% à Londres, +121% à Paris et + 62,2% à Bruxelles.

La Russie joue les trouble-fêtes

La vitalité chinoise doit beaucoup à la guerre en Ukraine. «Les compagnies occidentales ont désormais interdiction de survoler le territoire russe, explique Air France. Nos vols vers la Chine, la Corée et le Japon sont donc allongés, avec un différentiel allant jusqu’à trois heures supplémentaires. Le trajet Paris-Tokyo est devenu la plus longue route d’Air France, surtout dans le sens du retour, avec 15 heures. Cela a un impact sur notre consommation de carburant

Wouter Dewulf, économiste spécialisé dans l’aviation à l’UAntwerpen, a réalisé une estimation: «Cela leur coûte facilement 20 à 30.000 euros en plus de carburant. En redistribuant ça sur 200-300 passagers, cela revient à 100 euros supplémentaires sur le prix du billet

En revanche, les compagnies chinoises peuvent toujours prendre le raccourci par le ciel russe. Si leur redémarrage après la crise sanitaire a été plus lent, vu la longueur du confinement chinois, cet avantage leur a indéniablement permis de surpasser leurs chiffres pré-Covid dans tous les grands aéroports européens (à l’exception de Paris).

Des subsides qui compensent la baisse de la demande

«Pourtant, moins de touristes européens se rendent aujourd’hui en Chine, et vice versa puisqu’il est plus difficile aujourd’hui pour les Chinois de recevoir des visas», fait remarquer le professeur anversois, qui parle d’une baisse de 50% du nombre de passagers, comparé à 2019.

Si les compagnies chinoises se portent malgré tout très bien, c’est grâce aux subsides accordés par des provinces et des villes chinoises pour opérer certains vols et améliorer leur connectivité, autant pour les passagers que pour le fret, constate Wouter Dewulf. «Cet apport d’argent peut se révéler énorme, par exemple du côté de Shenzen et Chengdu (NDLR: à côté Hong Kong et dans le Sichuan)», ajoute-il. Des aides auxquelles il faut ajouter leurs coûts salariaux moins élevés qu’en Europe, et leurs faibles dépenses pour opérer dans les aéroports de l’Empire du Milieu, le gouvernement chinois étant actionnaire de ces installations et donc en capacité de leur offrir certains avantages.

Les groupes européens crient au dumping chinois

Les compagnies chinoises disposent ainsi des ressources nécessaires pour s’étendre. Même sans clientèle. «Les compagnies aériennes chinoises multiplient leurs vols selon le principe « construisez le réseau et les passagers viendront », note OAG. Elles étendent rapidement leurs réseaux long-courriers là où c’est possible, sans tenir compte de la demande actuelle».

Résultat: les compagnies européennes font face à une marée chinoise face à laquelle il est difficile de résister. Le patron de Lufthansa, Carsten Spohr, a ainsi expliqué les difficultés du groupe allemand par la «surcapacité offerte par les transporteurs chinois».

Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM, a de son côté plusieurs fois insisté sur l’importance d’une concurrence équitable. Son entreprise confirme: «Il est important pour nous que les opérateurs européens aient les mêmes conditions que ceux chinois. Sinon, le risque est que les acteurs européens ne soient plus en mesure d’assurer ces liaisons vers la Chine de façon rentable et qu’à terme, elles soient contraintes de se retirer de ces routes, de façon définitive

La difficulté de trouver une solution

Comment remédier à cette situation, d’autant que la guerre en Ukraine ne devrait pas cesser prochainement? Wouter Dewulf ne croit pas en un accord international, ni en une limitation par l’Europe du nombre de vols autorisés aux compagnies chinoises. Selon lui, les compagnies européennes devront probablement réduire leurs coûts pour faire face à la concurrence chinoise. Une démarche qui pourrait passer par un regroupement des compagnies européennes au sein d’une poignée de grands groupes.

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