Comment compenser la disparition des voitures de société ? Pas nécessairement avec du cash
Supprimer certains avantages, ou en diminuer l’attrait fiscal, risquerait de provoquer une levée de boucliers. Comment pallier le manque à gagner pour les travailleurs concernés? En augmentant le salaire-poche, mais pas uniquement.
Evoquez la suppression des voitures de société et vous recevrez la réponse suivante, à coup sûr: «D’accord, pour autant que je reçoive une compensation équivalente en salaire net.» En pleine crise du pouvoir d’achat, les prix des carburants atteignant des sommets, l’argument pèse d’autant plus lourd. Une voiture salaire et sa petite carte essence valent leur pesant d’or, de nos jours.
Cette crainte était exprimée en juin par le président du MR, Georges-Louis Bouchez, lorsque les experts sur le pouvoir d’achat avaient évoqué cette piste dans leur prérapport remis au gouvernement. «Réduire les voitures de société, ce n’est pas compliqué: pour celui qui en a une, cela équivaut à 500 à 1 000 euros par mois de pouvoir d’achat.» Sous-entendu: c’est bien de rééquilibrer un système qui génère des inégalités, mais pas en réduisant le pouvoir d’achat des bénéficiaires.
Compenser, c’est le maître-mot. Mais comment? En schématisant très fort, une réforme fiscale qui s’attaquerait à des avantages extralégaux s’attellerait, en parallèle, à réduire la pression fiscale sur le travail, de manière à pouvoir augmenter les salaires nets. Cela pourrait passer par un élargissement des tranches d’imposition, partant du principe que le système fiscal belge fait rapidement grimper le contribuable vers des taux forts.
En plus des supposés effets de retour, une telle réforme devrait naturellement, si elle se voulait neutre, compenser elle-même le manque à gagner – par cet allégement de fiscalité sur le travail – par d’autres augmentations, sur les revenus du capital. Il s’agit donc de trouver un meilleur équilibre entre les revenus du travail et les revenus de la propriété, comme l’expliquait dernièrement l’économiste Philippe Defeyt, commentant le rapport de Mark Delanote sur le projet de réforme fiscale.
Lui-même prône un système salarial plus simple et lisible, plus équitable, débarrassé des pécules de vacances, treizièmes mois et autres avantages extralégaux. «Il faut rassembler tout cela dans un salaire mensuel unique, taxé correctement, et permettant au travailleur de réaliser les arbitrages de consommation qu’il souhaite.» Cette simplification aurait une autre vertu: permettre au travailleur de jauger des offres salariales sans comparer des pommes et des poires.
Le prix de la liberté
Que vaut réellement une voiture de société? Y répondre est plus complexe qu’il n’y paraît. De quelle voiture parle-t-on? Répond-elle à mes besoins? Aurais-je acheté un modèle aussi onéreux si je l’avais payée moi-même? Aurais-je acheté une voiture, d’ailleurs?
«C’est difficilement chiffrable, mais aujourd’hui quantité de voitures de société dorment en rue. Des gens en obtiennent sans en avoir réellement besoin», lâche Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain. La voiture-salaire répond-elle encore aux aspirations de toute une part de la population? Vaste question.
Derrière ces interrogations, figure la notion de liberté salariale. «Pourquoi obliger le travailleur à avoir une voiture? De plus en plus de gens n’en voudront pas, pour des raisons écologiques notamment. D’un autre côté, il faut aussi permettre aux employeurs d’être plus libres dans leurs recrutements, leurs salaires, leur gestion d’équipes», le système des avantages extralégaux pouvant alors apparaître, aussi fiscalement intéressant soit-il, comme une contrainte.
«Je connais pas mal d’employeurs: beaucoup préféreraient donner du cash», abonde Jean Hindriks, président de l’Economics School of Louvain. Des employés aussi, manifestement.
«On prend les travailleurs pour des gens incapables de faire des choix en matière de revenus», regrette également Philippe Defeyt. «Que l’on arrête ces systèmes d’avantages extrasalariaux et qu’on laisse les gens décider à quoi ils souhaitent affecter leurs revenus, en toute transparence.»
Compenser, «ce n’est pas qu’une question de cash», résume donc Edoardo Traversa. C’est aussi toucher davantage en salaire-poche tout en étant non contraint dans l’usage que l’on en fait.
Le gouvernement de Charles Michel avait instauré le mécanisme de l’allocation de mobilité, connue sous le nom de «cash for car», en 2018. S’il abandonnait sa voiture de société, le travailleur pouvait toucher un montant mensuel net pouvant s’élever jusqu’à 700 euros. Le système a fait un flop et a fini par être enterré par la Cour constitutionnelle. Parmi les enseignements que l’on peut en tirer: le Belge ne se sépare pas facilement de sa voiture de société. Et pas pour un montant qu’il considère comme insuffisant.
Disparition des voitures de société: une réforme progressive?
Qu’il s’agisse de la voiture de société ou d’autres dispositifs, le travailleur devra sans doute se faire à l’idée qu’il ne touchera pas en net la valeur réelle de son avantage extralégal, s’il venait à disparaître. Pour autant, la coalition Vivaldi s’est engagée, dans son accord de gouvernement, à «mettre en place un glissement progressif des rémunérations alternatives vers des rémunérations en euros».
«On peut faire ça de manière raisonnable», considère Jean Hindriks, en remplaçant un avantage extralégal par un autre, plus acceptable. «Pourquoi gâcher votre argent dans une voiture de société? Une compensation peut se faire en salaire-poche, certes, mais aussi au moyen d’une pension complémentaire.» Les écologistes défendent l’idée de compenser au moyen d’un budget mobilité, mécanisme qui encourage à l’usage de modes de déplacement alternatifs. C’est une option, d’autres pourraient être soutenues.
«L’objectif, à l’arrivée, est de faire en sorte qu’il y ait le moins de perdants possible. Que les travailleurs sachent pourquoi et qu’ils puissent prévoir, c’est important. Il ne s’agit pas de tout bouleverser du jour au lendemain. L’idéal serait une réforme progressive et instaurée de manière adulte et rationnelle», espère Edoardo Traversa.
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