Augmenter la TVA et gonfler le prix du pain, du lait, de la viande: c’est risqué, mais…
Première préoccupation des Belges, le pouvoir d’achat se verrait a priori réduire si le futur gouvernement touchait à la TVA des produits alimentaires. Mais la taxe sur la consommation est-elle un tabou absolu? Ou bien une réforme est-elle envisageable?
Toucher à la TVA est tentant pour un gouvernement qui doit renflouer les caisses de l’Etat, mais c’est aussi délicat. Le formateur fédéral Bart De Wever voudrait harmoniser les taux de TVA de 6 et 12% à 9% sur à peu près tout. Les produits alimentaires sont, pour la plupart d’entre eux, déjà taxés à 6%, tout comme l’eau, les médicaments, les livres et les transports. En passant à 9%, ce serait un coup dur pour le «panier des ménages» qui vient de vivre une période d’inflation particulièrement âpre. Même si le président de la N-VA projette de réduire à 0% la taxe indirecte – ce qui est louable – sur les fruits et légumes, gonfler cette même taxe sur le pain, le beurre, le lait, le fromage, la viande…, pèserait lourd sur l’estomac de plus d’un consommateur belge.
En réalité, le formateur a repris les principaux éléments d’une réforme fiscale tentée par le ministre des Finances sortant, en février 2023. Vincent Van Peteghem (CD&V) y proposait un taux réduit unique de 9%, en dehors du taux normal qui resterait à 21%. Début août dernier, Testachats attirait l’attention du formateur sur le fait que l’alimentation doit rester accessible à toutes et tous. «Dans un contexte d’inflation alimentaire importante, il n’est pas souhaitable d’augmenter la TVA sur une série de produits de base», avertit l’association de défense des consommateurs qui rappelle qu’en juillet, leur panier de 3.000 produits scannés dans sept chaînes de supermarchés (Carrefour, Delhaize, Aldi, Lidl, Colruyt, Cora, Heijn) restait 27% plus cher qu’en janvier 2022, soit avant l’invasion russe en Ukraine.
Un impôt injuste
Toucher à la TVA, qui représente plus d’un quart des recettes fiscales totales, est-ce une bonne idée? «Soyons clair, la TVA, c’est la vache à lait du gouvernement, lance l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain et Itinera Institute). C’est un impôt facile à récolter, directement à la source, sans qu’il y ait de problème d’évasion fiscale ou de mobilité des contribuables ni de base imposable contestée, comme c’est le cas pour l’impôt sur le revenu. Mais c’est aussi un impôt injuste puisqu’il frappe plus lourdement les personnes les moins aisées qui consacrent une plus grande partie de leurs revenus à la consommation, contrairement aux plus riches qui ont la capacité d’épargner au-delà de leurs dépenses de consommation.» On pourrait d’ailleurs même parler d’impôt régressif sur la consommation, à l’inverse de l’impôt progressif sur les revenus.
Pour l’économiste Etienne de Callataÿ (UNamur et Orcadia), augmenter la TVA sur les produits alimentaires ne serait pas forcément une mauvaise idée, en tout cas d’un point de vue purement économique. «Le pain est certes un produit de première nécessité, mais si on veut mener une politique sociale, il serait préférable qu’elle soit ciblée, explique-t-il. Autrement dit, il vaut mieux que Marc Coucke paye un taux de TVA normal, comme le reste de la population, et qu’avec les recettes ainsi générées on puisse revaloriser certaines allocations ou augmenter les minimas imposables à l’IPP. Ce serait plus équitable.» Lorsqu’on parle de réforme fiscale, l’approche doit être globale. Il faut tenir compte des moyens de recettes et de la destination des dépenses.
La TVA a d’autres atouts. Cet impôt permet de taxer les non-résidents, les touristes, les fonctionnaires européens, les routiers qui passent par nos autoroutes et doivent se ravitailler en essence, mais aussi les Belges transfrontaliers qui travaillent au Luxembourg, par exemple, mais font leurs courses en Belgique. «Cela permet aussi de taxer d’une certaine manière le travail au noir, ajoute le Pr Hindriks. En effet, le revenu qui n’est pas déclaré est réinjecté dans l’économie en partie pour la consommation sur laquelle est prélevée la TVA. Ce n’est pas négligeable surtout avec le développement du travail en ligne et toutes ces plateformes numériques difficiles à saisir en termes de contrat de travail et de revenus.»
Par ailleurs, si les prix à la consommation augmentent, un rattrapage en terme de pouvoir d’achat est rendu possible par l’indexation des salaires. C’est donc le patronat qui devrait s’insurger contre une augmentation de la TVA sur les produits alimentaires, en particulier l’entrepreneur qui exporte des produits qui lui coûteront plus cher à la production à cause des salaires. «La question de fond est de savoir si on fait payer une augmentation de la TVA par l’employeur ou par le consommateur, observe Etienne de Callataÿ. Le gouvernement peut décider de sortir l’incidence de cette hausse fiscale du calcul de l’indexation et donc faire payer le consommateur. Dans le contexte actuel, cela pourrait marcher, même au niveau des syndicats à qui on promettrait, au-delà de ce coût, de maintenir le mécanisme d’indexation sur lequel planent aujourd’hui de sérieuses menaces.»
Quant à une baisse de TVA sur certains produits comme les fruits et légumes, il subsiste une question cruciale, que pose d’ailleurs Testachats: cela va-t-il bénéficier réellement aux consommateurs ou bien aux producteurs qui vont gonfler leurs marges dans la fixation de leurs prix? En France, par exemple, lorsqu’on a diminué la TVA dans l’Horeca, les prix n’ont globalement pas baissé sur les menus des restos. «C’est un vrai problème, reconnaît Jean Hindriks. Mais on pourrait prévoir un mécanisme de contrôle des prix sur les fruits et légumes. Certes, réguler les producteurs et surtout les distributeurs, c’est difficile, mais il existe des formes de régulation soft, comme les comparatifs en ligne entre grandes surfaces, qui permettent de mettre la pression sur la grande distribution.» C’est ce que fait régulièrement Testachats. Il faudra être créatif, car, le plus souvent, quand la TVA augmente, c’est le consommateur qui paye, et quand elle diminue, le consommateur n’en profite pas…
«La question de fond est de savoir si on fait payer une augmentation de TVA par l’employeur ou le consommateur»
Etienne de Callataÿ
Economiste
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