Augmentation de capital chez Galler: pourquoi les chocolateries belges sont en zone de turbulences
Hausse du prix de la fève de cacao, incertitudes sur les récoltes à venir et pouvoir d’achat des consommateurs sous surveillance: l’année 2024 n’est pas simple pour les chocolatiers belges. Galler fait d’ailleurs appel à de nouveaux actionnaires.
Sale temps pour les chocolateries belges. La hausse vertigineuse du prix de la fève de cacao, dont le prix a plus que doublé depuis le début de l’année, dépassant le record historique de 10.000 euros la tonne, les bouscule. Face à cette augmentation qu’il qualifie de «structurelle», le patron de la chocolaterie Galler, Salvatore Iannello, a d’ailleurs décidé de faire entrer de nouveaux actionnaires, belges, dans la maison. Pour l’heure, il se refuse à en diffuser l’identité, et à préciser la hauteur de cette recapitalisation. «Le monde du chocolat connaît un vrai changement de paradigme, dit-il. Nous devons nous y adapter. Répercuter cette augmentation sur le prix de vente a des limites. Nous devons nous réinventer.» Galler compte donc investir dans de nouvelles machines d’emballage, plus efficientes, renégocier avec certains fournisseurs, repenser ses produits en réduisant par exemple quelque peu le volume du bâton de chocolat. Une petite hausse de prix n’est pas à exclure. Tous ces investissements auront un coût, qui justifie une augmentation de capital. «Nos actionnaires sont partants, assure Salvatore Iannello. D’autres, belges, entreront au capital. L’annonce sera faite en juillet.»
Cacao en stock
Comme les autres chocolatiers, Galler, dont les installations avaient déjà été anéanties par les inondations de juillet 2021, a pris de plein fouet la hausse vertigineuse du prix de la fève de cacao. Certes, la majorité d’entre eux ont veillé à bloquer le coût de leurs achats de matières premières pendant six à douze mois. «On essaie de constituer des stocks pour quelques mois en espérant tenir jusqu’à la prochaine récolte», confirme Jean-Philippe Darcis, pionnier du macaron en Belgique et Ambassadeur du chocolat belge. Il s’agit de la 3e ou 4e crise de suite, on commence à s’y habituer. D’ailleurs, le prix de la fève a déjà reculé. Dans quelques mois, on n’en parlera plus.» Depuis la mi-juin en effet, le prix de la tonne de fèves est redescendu sous les 8.000 euros.
L’année avait commencé fort avec, dès février, l’annonce du groupe suisse Barry Callebaut, premier producteur de chocolat au monde, prévoyant un vaste plan de restructuration et la suppression de quelque 500 emplois en Belgique. C’est dire si les nuages sombres s’accumulent dans le ciel des chocolatiers.
Le ciel, sans pitié
Car si le prix de la fève a tant augmenté, c’est notamment en raison d’une météo inhabituelle, beaucoup trop pluvieuse, dans les pays producteurs, le Ghana et la Côte d’Ivoire pour l’essentiel. Ces deux pays assurent à eux seuls environ 60% de la production mondiale de chocolat (voir graphique ci-dessous). Ces pluies surabondantes ont entraîné le développement de maladies dans les cultures. «Dans ces conditions, détaille la coopérative de commerce équitable Ethicable, les plantations vieillissantes et menées en monoculture ont connu de fortes attaques des maladies du cacaoyer, comme le swollen shoot (ou virus de l’œdème des pousses du cacaoyer) et la pourriture brune.» Résultat: des cabosses noircies et pourries…
Après la pluie est arrivé El Nino, le phénomène climatique porteur de temps trop chaud et trop sec. Les pays producteurs d’Afrique de l’Ouest ont ainsi vu leur production faiblir, au point de ne pouvoir répondre à la demande. A titre d’illustration, le Ghana n’a produit que 500.000 tonnes de fèves de cacao l’an dernier, soit 320.000 de moins qu’en 2022. C’est la troisième année de suite que la production est déficitaire par rapport à la demande. Or le réchauffement climatique ne risque pas de s’arranger à l’avenir. «Nous pensons que l’augmentation du prix de la fève est pour un tiers structurelle: elle est liée au changement climatique, affirme Salvatore Iannello. Ce prix ne redescendra donc pas au niveau qui était le sien il y a un an. Le cacao continuera à coûter deux fois plus cher qu’avant.»
Les stocks internationaux de cacao ayant été largement ponctionnés ces dernières années, le déséquilibre entre offre et demande est inévitable, poussant son prix à la hausse. Enfin, le chocolat est la proie de spéculateurs, qui ont choisi de faire du secteur agro-alimentaire leur terrain de jeu. Selon la Commodity Futures Trading Commission, les opérateurs financiers ont investi un montant jamais égalé de 8,7 milliards de dollars au cours des derniers mois sur les bourses de New York et de Londres pour spéculer en faveur d’une hausse des cours du cacao. Tout cela explique que la matière première des artisans et industriels belges du chocolat devient beaucoup plus coûteuse.
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«Nous avons été surpris par la hausse du prix des fèves, mais c’était encore gérable, confie Jean-Christophe Hubert, artisan chocolatier liégeois et patron de la chocolaterie Millésime. Mais nous l’avons été beaucoup plus par l’augmentation du prix du beurre de cacao, qui se vend aujourd’hui à 30 euros/kg au lieu de 7 euros/kg précédemment. Or, nous utilisons ce beurre à hauteur de 4 à 10% dans nos chocolats, selon les recettes.»
Devant cette hausse vertigineuse de prix, les chocolatiers ne disposent pas de milliards de solutions. Soit ils l’absorbent eux-mêmes et diminuent d’autant leur marge bénéficiaire. Cette option n’est tenable que pour les entreprises les plus résistantes, disposant de marques fortes et affichant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros. Ils peuvent aussi tenter de limiter leurs coûts par ailleurs, dans le fonctionnement général de leur entreprise, si possible sans affecter le volume de l’emploi. Par exemple en rationalisant la gamme, comme chez Millésime. Soit ils augmentent leur prix. C’est le cas chez Darcis, à hauteur de 5%. «Les prix de vente sont bloqués chez nos grands clients, témoigne Jean-Christophe Hubert. C’est donc le consommateur qui est impacté.»
Le chocolat risque dès lors de devenir bien vite un produit de luxe. «La part du cacao dans le prix des tablettes de chocolat n’étant généralement que de 5 % à 10 %, détaille-t-on chez Ethicable, le triplement du prix mondial du cacao ne va pas provoquer un triplement du prix de la tablette, mais tout de même une hausse de 30 ou 40 %, ce qui est considérable.» Or, «les consommateurs ne sont plus prêts à débourser davantage pour du chocolat», relève cet expert du secteur. Les ventes pourraient donc se tasser.
«Il va sans doute falloir recapitaliser certaines chocolateries»
Un expert du secteur agro-alimentaire belge
Mis en difficultés, les chocolatiers pourraient encore décider de modifier leurs recettes. La majorité s’y refuse. «On n’y touchera pas», martèle Jean-Philippe Darcis, de la chocolaterie du même nom. Enfin, il leur est toujours possible de modifier le poids de leurs tablettes ou barres de chocolat. C’est ce que Galler envisage de faire, en jouant la transparence vis-à-vis du consommateur. A prix inchangé, la barre de chocolat pourrait peser 70 grammes au lieu de 90.
Dans tous ces cas de figure, les chocolatiers sont en difficultés dans un marché en pleine mutation. «La situation est en effet compliquée, reconnaît Jean-Christophe Hubert. Notre chiffre d’affaires est en recul de 20% depuis janvier. Ca ne peut pas durer, sinon, l’entreprise sera vraiment en péril.» Millésime produit du chocolat bio, ce qui peut freiner certains consommateurs soucieux de ne pas payer plus en raison de ce label. «Pourtant, entre notre chocolat bio et un autre qui ne l’est pas, la différence de prix ne dépasse pas 30 centimes au kilo», assure le patron de Millésime. Sans doute les consommateurs l’ignorent-ils et se détournent-ils par réflexe de ce type de produit.
Dans ce contexte périlleux, les chocolatiers explorent toutes les pistes possibles pour assurer la pérennité de leur entreprise. Chez Millésime, dont 80% de la production part à l’exportation, on essaie aujourd’hui de séduire la clientèle asiatique. On y envisage une recapitalisation, comme chez Galler.
«Le monde du chocolat belge va forcément connaître des changements, affirme un expert. Avec le risque que certains y perdent des billes. Il faudra sans doute recapitaliser certaines chocolateries, peut-être y appeler de nouveaux actionnaires, ou trouver le moyen de les consolider.»
D’autres acteurs tentent aujourd’hui d’émerger sur le marché de la production du chocolat, notamment en Asie, Inde en tête, et en Amérique latine Mais il faut compter quatre à cinq ans avant qu’un cacaotier produise des cabosses. Et nul ne peut prédire le cours du cacao à cette échéance ni le niveau de la demande. Si le succès et le rendement étaient au rendez-vous de producteurs implantés dans d’autres parties du monde, le jeu de la concurrence pourrait peut-être stabiliser les prix. Tout en veillant à ce que les producteurs de cacao bénéficient de revenus suffisants. C’est une possibilité. Pas (encore) une certitude.
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