A cause des jeux «Woohoo», la roue tourne pour la Loterie Nationale
La Loterie Nationale va devoir comparaître devant la Justice à cause de ses jeux «Woohoo». Ces derniers pourraient être requalifiés en jeux de hasard, conduisant l’opérateur public à obtenir une licence auprès de la Commission des Jeux de Hasard.
L’action intentée en mars par VisionPresse et Walter Agosti, libraire à Limelette, contre la Loterie Nationale va durer encore quelques temps. Cette semaine, la chambre du conseil du tribunal néerlandophone de Bruxelles a décidé de renvoyer l’opérateur public devant le tribunal correctionnel, afin que les jeux «Woohoo» soient requalifiés ou non comme des jeux de hasard.
Les libraires en colère
A l’origine de l’action, Walter Agosti, dit Walter le libraire, et l’union professionnelle VisionPresse regroupant 215 librairies, se sont rassemblés autour de l’opposition qu’ils émettent à l’égard des jeux «Woohoo» de la Loterie Nationale.
En commercialisant ces jeux exclusivement en ligne, la Loterie Nationale participe selon Walter le libraire à un «détournement de clientèle»: «On a pu mesurer l’ampleur de ce manque à gagner la semaine dernière, quand le site de la Loterie Nationale est tombé en panne. J’ai eu des dizaines de clients supplémentaires qui sont venus jouer dans ma librairie, et ils en ont profité pour dépenser de l’argent dans d’autres articles.» En outre, la façon dont la Loterie Nationale commercialise ses jeux «Woohoo» est pour lui le reflet d’un manque de reconnaissance de la part de l’opérateur public pour les libraires, partenaires privilégiés depuis des décennies: «Sans nous, la Loterie Nationale ne serait pas ce qu’elle est, mais on dirait aujourd’hui que l’Etat ne veut plus partager ses recettes avec nous.»
Pour Jérémy Demeyer, porte-parole de la Loterie Nationale, cette évolution est avant tout naturelle: «La Loterie Nationale ne fait que s’adapter, car dans le secteur des jeux de hasard, comme dans tous les secteurs, l’offre se digitalise autant que possible.»
Pour appuyer leur contestation, les libraires pointent du doigt le caractère ambigu des jeux «Woohoo», qui seraient, à beaucoup d’égards, semblables des jeux de hasard classiques. À ce titre, les libraires réclament que ces jeux soient soumis au contrôle de la Commission des Jeux de Hasard, comme le sont les jeux de tous les opérateurs privés. Cependant, pour Walter Agosti, le but n’est pas tant d’obliger la Loterie Nationale à se conformer à des lois auxquelles elle est d’ordinaire exemptée, il s’agit davantage de faire entendre les revendications d’un secteur qui souhaiterait collaborer de manière plus étroite avec l’opérateur: «Ca fait longtemps que je demande que les points de vente puissent ouvrir des comptes clients sur le site de la Loterie Nationale, pour que les joueurs puissent être affiliés à une librairie, et qu’ainsi les profits réalisés en ligne soient partagés.»
Le secteur des jeux de hasard agité
La chambre du conseil a ainsi appelé la Loterie Nationale à comparaître devant un tribunal correctionnel. Les jeux «Woohoo», en effet, sont encore encadrés par une législation propre à la Loterie Nationale, et différente de celle encadrant les opérateurs privés. Pour Emmanuel Mewissen, vice-président de l’association d’opérateurs de jeux de hasard Bago, «il n’y a aucun problème à ce que la Loterie Nationale distribue des jeux de hasard, mais, alors, il faut qu’elle obtienne la licence adéquate pour le faire, comme elle l’a fait quand elle s’est lancée dans les paris sportifs.»
Parce que du côté des opérateurs privés, le vent n’est pas plus calme. En début de semaine, suite au passage de la loi Van Hecke visant à encadrer davantage les pratiques du secteur des jeux de hasard pour mieux protéger les joueurs, plusieurs opérateurs privés ont introduit des recours contre différents articles. «Le secteur privé tient absolument à protéger les joueurs de la meilleure des manières,» explique Emmanuel Mewissen, «mais nous regrettons grandement que la classe politique ne nous consulte pas davantage, parce que nous avons beaucoup à apporter en matière de prévention.» Pour les opérateurs qui ont introduit des recours, l’ambition est de «mieux faire les choses, pour le plus grand intérêt du consommateur, et dans l’intérêt aussi du secteur légal, qui, par rapport aux opérateurs illégaux qui se multiplient sur internet, est plus attentif aux intérêts des consommateurs.»
Traitement de faveur pour la Loterie Nationale?
Le statut différentiel de la Loterie Nationale est régulièrement contesté par les opérateurs privés, et l’a de nouveau été à l’occasion des recours introduits contre la loi Van Hecke. Tandis que le secteur privé «tente au mieux de protéger les joueurs,» Emmanuel Mewissen s’étonne en effet que les jeux proposés par la Loterie Nationale ne soient pas sujets aux mêmes restrictions: «Les joueurs inscrits sur le système EPIS [ndr: système d’information sur les personnes interdites de jeu] peuvent jouer à la loterie, aux jeux de grattage, ou aux jeux Woohoo en ligne, et pour nous cela pose question.»
Dans son dernier communiqué, Bago mobilise en outre une étude de la VAD, centre de recherche flamand sur les addictions, qui pointe du doigt le rôle que peuvent jouer les jeux de loterie dans le parcours de jeunes joueurs.
Pour autant Jérémy Demeyer refuse qu’on parle d’impunité pour la Loterie Nationale, dont les activités, bien qu’elles ne soient pas encadrées par la Commission des Jeux de Hasard, sont bien tenues par une loi spécifique sur la Loterie Nationale. Il demeure que l’âge légal pour jouer aux jeux de loterie est de 18 ans, tandis qu’il est passé à 21 ans pour plusieurs catégories de jeux, et que le principe d’interdiction de publicité, point sensible de la loi Van Hecke, ne s’applique pas à la Loterie Nationale.
Leonard Creismeas (st.)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici