Chez Tinel, le beau surgit imprévisible, terrible et impur. © DR

«Traveller»: Koenraad Tinel à la galerie Dys

Michel Verlinden Journaliste

L’exposition Traveller présente notamment une sélection de dessins sur papier de Koenraad Tinel, un pan peu montré de son oeuvre.

Peu d’artistes, du moins en Belgique, ont la même intensité que Koenraad Tinel (1934, Gand). Il faut dire que l’homme a fait les frais de l’histoire avec un grand H. Pour le comprendre, il faut lire Scheisseimer, ouvrage paru en 2006 (éd. Racine), qui raconte, en images et en mots, les souvenirs de guerre d’un enfant. Tinel y évoque ses 10 ans, fuyant la Belgique pour l’Allemagne en 1944. Une enfance de fils de collabo baladé à travers l’Europe au moment de l’effondrement du Reich.

Marquée au fer rouge, l’œuvre de Tinel suinte l’intranquillité. Ce n’ est pas un hasard si, à l’inverse de son père, Franz, qui ciselait le marbre, le plasticien flamand agence des matériaux bruts et réalise des assemblages bâtards. Pour échapper à la clôture, «cette forme raffinée de la répression», comme la qualifiait Maurice Blanchot, l’intéressé fait circuler les formes, irrémédiablement non nobles, et les images sauvages. Il y a du «barbare» chez lui, en comprenant bien que le mot désigne ici une faculté de se déprendre des idéologies et des fantasmes totalitaires.

Avec beaucoup d’à-propos, la galerie Dys lui consacre un accrochage. Outre une sélection de sculptures, c’est l’occasion de voir ses dessins sur papier, pan fascinant de sa pratique, insuffisamment montré à notre goût. A l’instar de la composition ci-dessus (Erlkönig, 2017) qui renvoie au fameux Roi des aulnes – une thématique à côté de laquelle l’octogénaire ne pouvait passer dans la mesure où il s’agit de l’histoire d’un père échouant à protéger sa progéniture face à une menace que seul l’enfant perçoit – les silhouettes primales de Tinel labourent les mythologies qui structurent notre imaginaire. L’ usage de l’encre de Chine accentue les contours contondants de dessins vécus comme douloureux par le spectateur. Chez Tinel, le beau – sans doute est-ce un terme utilisé par défaut dans le cadre de son travail – surgit imprévisible, terrible et impur. Il assume le caractère dru d’un corps décharné, le vide suggéré par un orbite creux ou encore la maternité agonisante de mamelles rattrapées par la pesanteur.

A la galerie Dys, à Bruxelles, du 22 janvier au 26 février.

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