Comment a été scellée la fin de «touche pas à ma télé» pour Hanouna et Bolloré
La fréquence de C8 sur la TNT a été retirée. Quelle parade l’animateur et le milliardaire vont-ils trouver? CNews, elle, échappe au couperet. Surprenant, pour le spécialiste des médias François Jost.
Il avait annoncé une réaction par vidéo pour le dimanche 28 juillet. Il a finalement donné rendez-vous à ses fans à la rentrée, le 2 septembre. L’animateur de télévision Cyril Hanouna aurait-il appris, contraint par les événements, la retenue et la mesure? Suspense. Il faudra attendre un mois pour connaître sa réaction et la parade qu’il compte mettre en œuvre après la décision de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le 24 juillet, de retirer à C8, chaîne phare du département médias du groupe du milliardaire Vincent Bolloré, sa fréquence sur la TNT (télévision numérique terrestre). Pour succéder à C8 et NRJ12, autre chaîne évincée, à la date d’application de la décision le 1er mars 2025, les responsables de l’audiovisuel en France ont retenu le projet du groupe de presse écrite Ouest-France, OF TV, et celui de la société éditrice de magazines CMI France (Czech Media Invest), Réels TV.
Des animateurs de la chaîne sœur de C8, CNews, n’ont pas attendu, eux, pour commenter la décision et n’ont pas opté pour la modération. «La liberté d’expression a en France un organisme de contrôle», a accusé l’animateur de débat Pascal Praud. «C8 saura rebondir» après cette «décision brutale», a enchaîné sa collègue Laurence Ferrari. La décision de l’Arcom n’est pourtant pas une surprise. C8 a écopé d’un record d’amendes pour des infractions aux règles de fonctionnement des médias audiovisuels. Son rôle a aussi été questionné par l’organisation de défense des journalistes, Reporters sans frontières. Celle-ci avait saisi l’Arcom en novembre 2021 pour les manquements de CNews à ses obligations légales d’honnêteté, d’indépendance et de pluralité de l’information. Déboutée, elle a introduit un recours devant le Conseil d’Etat qui lui a donné raison dans un arrêt rendu le 13 février dernier et qui a dès lors demandé à l’Arcom de considérer les propos des chroniqueurs, journalistes et invités, et pas seulement ceux des personnalités politiques, pour juger du respect par la chaîne du pluralisme de l’information.
Sémiologue, professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’université de Sorbonne-Nouvelle, François Jost a rédigé un rapport qui a servi à l’argumentaire de Reporters sans frontières dans cette action. Il a aussi publié dans la foulée un essai intitulé L’Opinion qui ne dit pas son nom. Il analyse la sanction infligée à C8 par l’Arcom et ses conséquences.
Est-ce bien en vertu de règles déontologiques non respectées que l’Arcom a décidé de retirer sa fréquence de la TNT à C8?
Les règles déontologiques et, dans certains cas, plus que cela. Il ne faut pas oublier que Cyril Hanouna a tenu des propos homophobes, a proféré beaucoup d’insultes… On est loin de la transgression d’une règle déontologique comme celle de ne pas respecter le débat contradictoire, ce qui existe aussi. Les débordements reprochés à C8 vont souvent à l’encontre des droits de l’homme et de l’humanisme. L’Arcom a prononcé plus de 45 sanctions contre C8 et contre CNews (lire l’encadré). Il n’était pas possible de ne pas agir.
«Les débordements reprochés à C8 vont souvent à l’encontre des droits de l’homme.»
Pourquoi CNews a-t-elle échappé au même type de sanction que C8?
J’ai du mal à le comprendre. L’ambiguïté réside dans le constat que le Conseil d’Etat, en vertu de sa décision de février dernier, estime que CNews reste une chaîne d’information. Cette ligne a manifestement prévalu aussi au sein de l’Arcom. Roch-Olivier Maistre, son président, avait affirmé (NDLR : à l’occasion d’une interview sur France Inter, le 27 mars 2024) qu’il n’y avait pas de place en France pour une chaîne d’opinion sur la TNT. En vertu de cela, j’ai cru que l’Arcom n’accorderait pas de fréquence à CNews, pas plus qu’à la chaîne Le Media, qui n’est pas pluraliste puisqu’elle roule pour une certaine gauche (NDLR : l’Arcom n’a pas souscrit à sa demande d’autorisation de fréquence). Mais non, en définitive, l’Arcom ne considère pas CNews comme une chaîne d’opinion. Elle la considère comme une chaîne d’information. Pour moi, cela pose véritablement problème parce que l’information n’occupe qu’une toute petite place, en quantité, dans les programmes de cette chaîne. La plus grande partie des programmes est constituée de débats, qui le sont à peine puisque bien souvent, tous les gens sur le plateau ont la même opinion sur le thème abordé. Pour l’Arcom, c’est donc de l’information. Là réside le nœud du problème.
Les opinions ne sont pas affichées comme telles ou sont présentées comme des informations…
Sur cette chaîne, on ne sépare pas le fait du commentaire, ce qui est quand même une règle d’or du journalisme. C’est tout simple. J’aurais tendance à dire que CNews avance masquée et qu’elle fait parfois passer pour des vérités ce qui ne sont que des opinions.
Cette décision est-elle un coup dur porté au groupe Bolloré?
Plusieurs réponses sont possibles. Comme les millions d’amendes auxquelles C8 a été condamnée ont quand même creusé un déficit pour la chaîne, on peut répondre qu’au moins, il sera stoppé. Mais, oui, c’est un coup dur pour le groupe Bolloré parce que C8 une de ses chaînes qui touchait le plus grand nombre de jeunes.
Une parade est-elle possible?
C8 a la possibilité d’être diffusée sur une box comme l’est, par exemple, la chaîne de gauche Le Media sur l’opérateur Free. Mais je pense que ni Cyril Hanouna, ni Vincent Bolloré n’auront très envie de perdre l’audience qu’ils avaient et qu’ils ne retrouveront jamais sur une box. On peut comparer cela à la sanction frappant un policier qui, ayant fait une bêtise, est renvoyé à la circulation: ce serait renvoyer Hanouna à la circulation…. Je n’y crois pas beaucoup. Une autre solution est que Vincent Bolloré trouve au sein de son groupe une autre façon de continuer les émissions de Cyril Hanouna. Une chaîne comme CStar, réalisée à base de clips, n’a presque aucun intérêt; elle est très peu regardée. On peut imaginer un transfert d’Hanouna vers ce type de chaîne. Vincent Bolloré pourrait aussi lui trouver une place sur CNews en l’orientant complètement vers la pratique qu’il a développée, à savoir le débat et le clash.
Avec les fréquences accordées aux projets des groupes Ouest-France et CMI, un plus grand pluralisme est-il assuré à l’offre de la TNT en France?
Cette décision ajoute un milliardaire parmi les opérateurs… A une époque où l’on ne sait plus très bien comment lutter contre la concentration dans les médias, il paraît tout de même un peu curieux de venir faire le lit d’une concentration en train de se constituer. Daniel Kretinsky (NDLR: PDG de CMI) est tout de même le deuxième éditeur de magazines en France. Désormais, il a un pied dans la télé.
Etes-vous néanmoins optimiste sur le pluralisme des médias audiovisuels en France?
Je reste très méfiant par rapport à CNews. Des adaptations de la convention qui la lie à l’Arcom sont prévues. Elles devraient être plus strictes. En regardant la chaîne récemment, je suis encore tombé sur un plateau où les quatre cinquièmes des chroniqueurs étaient de droite ou d‘extrême droite. Quand on voit que rien n’a changé, cela s’apparente à une forme de provocation vis-à-vis de l’Arcom.
«Quand on voit que rien n’a changé chez CNews, cela s’apparente à une forme de provocation.»
Les règles de l’Arcom appellent-elles à un pluralisme de l’ensemble des médias et ou à un pluralisme dans chacun des médias?
Les règles sont différentes entre la presse écrite et la radio et la télévision. Sur les médias audiovisuels, il s’agit bien d’un pluralisme interne. La loi de 1986 demande que différents courants de pensée s’expriment sur la même chaîne. Elle visait à contrer l’idée de la télévision-monopole d’Etat, où une seule voix s’exprimait, qui a prévalu très longtemps sous de Gaulle et sous Pompidou (NDLR: présidents respectivement de 1959 à 1969, et de 1969 à 1974).
En matière de médias audiovisuels en France, la pluralité a-t-elle donné par le passé l’illusion du pluralisme?
C’est le sens de mon livre, effectivement. On pense que le fait qu’il y ait une pluralité de gens garantit une pluralité d’opinions. Mais si plusieurs personnes disent la même chose, il n’y a pas de pluralisme.
Des sanctions à la pelle
C8 et CNews sont les chaînes de télévision françaises qui ont été les plus sanctionnées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). D’après un décompte du quotidien Le Monde, elles l’auraient été à 46 reprises entre décembre 2012 (au temps du Conseil supérieur de l’audiovisuel auquel l’Arcom a succédé en 2021) et juillet 2024.
Une analyse des préventions fait apparaître que C8 et CNews ont été principalement «punies» pour avoir enfreint leurs obligations en matière de maîtrise de l’antenne (douze sanctions), d’honnêteté, d’indépendance et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information (neuf sanctions), de publicité, de parrainage, et de téléachat (cinq sanctions), et celle qui les enjoint de ne pas inciter à la haine ni d’encourager les comportements discriminatoires (cinq sanctions). Une sanction peut couvrir plusieurs domaines.
La nature des sanctions va de la mise en garde à la sanction pécuniaire en passant par la mise en demeure. Des propos injurieux de Cyril Hanouna à l’encontre du député de La France insoumise Louis Boyard au cours d’une émission Touche pas à mon poste en novembre 2022 ont donné lieu à l’amende la plus élevée infligée au groupe Bolloré, soit 3,5 millions d’euros. La diffusion lors du même programme en mars 2023 d’une thèse complotiste sur la consommation par des personnalités de l’adrénochrome, substance supposée issue du sang d’enfants kidnappés et sacrifiés, lui a valu une amende de 500.000 euros. La plus coûteuse sanction infligée à CNews ne s’est élevée «qu’à» 200.000 euros. Elle a trait à des propos haineux formulés par le polémiste et futur candidat à l’élection présidentielle Eric Zemmour, qui avait traité les migrants mineurs isolés de «voleurs», de «violeurs», et d’«assassins» en septembre 2020 lors de l’émission Face à l’info. La dernière condamnation de l’Arcom, qui date de juillet 2024 pour un montant de 60.000 euros, a eu à nouveau pour origine des propos discriminatoires contre les migrants proférés dans l’émission La Matinale week-end de CNews en décembre 2023.
Rien que depuis le début de l’année, les deux chaînes du groupe Bolloré ont écopé de dix sanctions, un record. Le précédent remontait à 2022 avec huit décisions pour des infractions aux règles de fonctionnement de l’audiovisuel en France.
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