Cassiel Gaube décrypte la house
Après s’être formé au tai-chi et à la danse contemporaine, le Bruxellois Cassiel Gaube est tombé dans la house. Un style qui l’a fasciné et dont il souhaite livrer les codes au public, comme dans son stimulant trio Soirée d’études.
Chez Parts, l’école de danse contemporaine forestoise à la réputation internationale fondée par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, Cassiel Gaube, qui présente prochainement son trio Soirée d’études (1), était l’un des rares Belges, et le seul Bruxellois. «J’ étais le fruit pas exotique, et du coup exotique», se souvient-il. C’était aussi un des étudiants les plus jeunes et les moins expérimentés. «Les autres avaient tous au moins quinze ans de danse classique dans les pattes, c’était déjà des danseurs accomplis, qui avaient presque tous fait d’autres écoles ou travaillé dans des compagnies. Chez Parts, mes camarades étaient pour moi un trésor vivant.»
En général, la house provoque chez le spectateur un émerveillement face à la virtuosité technique déployée.
Cassiel Gaube a commencé la danse «sur le tard», à 17 ans, après avoir vu un spectacle dans le cadre scolaire. Une révélation. «Je m’apprêtais à commencer la physique et les maths, mais j’ai décidé de me donner un an pour danser. J’ai dansé tous les jours dans un studio pour professionnels, le DansCentrumJette, où un cours était ouvert tous les matins. Je m’entraînais le matin et l’après-midi je travaillais, je vendais du chocolat.» Cassiel Gaube ne part cependant pas de rien dans la pratique du mouvement: de 14 à 17 ans, il a pratiqué intensément le tai-chi et la méditation. Ce qui l’a certainement aidé à décrocher une place aux très courues auditions triennales de Parts.
125 BPM
Pendant trois ans, il découvre aussi «l’archipel» des danses hip-hop et est particulièrement attiré par la house, née dans les années 1980 dans les clubs de Chicago et New York, sur la musique du même nom. La synthèse dynamique de styles qui constitue la house fascine le jeune danseur. «C’est une espèce d’agglomérat, toujours en mouvement aujourd’hui, de toute une série d’influences très diverses: hip-hop, claquettes, salsa, capoeira… Le hip-hop reste sa principale danse-sœur, mais alors que le hip-hop a un battement par minute (BPM) à 90, la house l’a à 125, voire 128. Un lexique de pas en grande partie similaire va respirer de manière complètement différente sur les corps des danseurs à ces deux vitesses.»
L’ intérêt de Cassiel Gaube pour la marche en tant que matériau chorégraphique s’enflamme lorsqu’il se rend compte que la house peut être appréhendée comme un tissu de pas pris dans diverses directions, à des allures différentes. «Alors que le vocabulaire hip-hop se compose autant de mouvements du haut que du bas du corps, la house se concentre vraiment sur le bas, sur l’écriture du footwork. Le reste du corps aide les mouvements de l’appareil locomoteur. La house possède un lexique de pas tellement riche qu’elle en devient presque exhaustive dans le traitement des possibilités.»
Décoder
Cassiel Gaube s’est immergé dans la house, en intégrant les communautés de danseurs à Paris et New York. «Il m’est apparu que les danseurs de house prenaient énormément de plaisir à regarder d’autres danseurs, ils pouvaient faire ça pendant six heures d’affilée, relève-t-il. Parce qu’ils étaient en possession des codes de ce langage. Ils prennent leur pied à lire, à décoder la danse de l’autre, à être surpris par la manière dont le danseur qu’ils regardent combine de manière inattendue des pas connus, ou proposer des variations, des hybridations auxquelles ils n’avaient jamais pensé. C’est un jeu pour initiés.»
Alors, que se passe-t-il quand un public de non-initiés regarde de la house? «En général, il y a un émerveillement face à la virtuosité technique déployée, puis après un nombre de minutes relativement limité, l’œil se fatigue, il devient un peu vitreux… Cognitivement, ce n’est pas stimulant parce pour la personne qui n’a aucun code, la pratique est complètement opaque.» D’où l’idée – géniale – de Cassiel Gaube de créer des pièces où il livre ces clés de lecture pour ensuite inviter à lire. Pas théoriquement, pas avec des mots, mais par la danse elle-même.
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C’était le cas dans son épatant solo Farmer Train Swirl – étude (les trois premiers mots sont des noms de pas), créé en 2019. Mais aussi de son trio Soirée d’études, présenté en mars 2021 devant un public de professionnels à cause de la pandémie, mais qui peut enfin partir en tournée. Avec leur intitulé en référence aux études musicales en tant qu’explorations techniques, ces deux pièces sont relativement exigeantes. D’autant plus qu’elles se déroulent en grande partie sans musique – «pour permettre au spectateur de voir tout ce qu’il y a à voir, sans l’emportement émotionnel que la musique suscite» – , simplement rythmées par le son des corps des danseurs (dans le trio, ils sont coordonnés grâce à une pulsation émise dans leurs oreillettes). Jusqu’à l’explosion finale, la récompense, la jouissance. Fameux!
(1) Soirée d’études, au Kunstcentrum Campo, à Gand, le 24 novembre, au CC De Werf, à Alost, le 21 avril 2023.
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