Comment la philosophie peut aider à lutter contre la «radicalisation»
Enseignant en milieu carcéral, José Gutiérrez-Privat cherche à repérer «la curiosité humaine et intellectuelle» qui peut faire basculer le radicalisé dans la résistance créative.
«Comment et pourquoi un sujet accepte-t-il de prôner et faire usage de la violence comme mode d’action légitime?» C’est une des questions à laquelle José Gutiérrez-Privat cherche à répondre à travers les cours de philosophie qu’il a dispensés, au sein des Quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) de prisons françaises, à des terroristes islamistes et à des personnes incarcérées pour des faits de droit commun suspectées d’extrémisme. Il tire le bilan de «cette expérience de réflexion sur la radicalisation et de pratique de la philosophie avec les personnes concernées par ce phénomène» dans un essai passionnant, La Raison derrière les barreaux.
«Un quelconque rapport pédagogique avec des personnes que l’on réduit au statut d’ennemi est-il encore possible?»
La mission de José Gutiérrez-Privat n’est pas une sinécure. Il se heurte à la méfiance de ses étudiants qui lui opposent leurs certitudes d’autant plus inébranlables qu’elles sont dictées par la religion. Il évolue dans un contexte complexe au point de se demander si «un quelconque rapport pédagogique avec des personnes menottées ou celles que l’on réduit au statut d’ennemi est encore possible». Il doit résister aux attentes des autorités qui font peu de cas de l’ambition pédagogique de l’enseignant. En témoigne la définition de son objectif de travail telle qu’elle lui est précisée un jour par l’équipe de direction: «Il ne faut surtout pas –me dit-on– « faire bouger les lignes » idéologiques des personnes détenues. Il s’agit plutôt, lors de l’évaluation, de les « pousser dans leurs retranchements » afin de « faire apparaître les failles » dans leurs discours.» L’enseignant a de quoi être déstabilisé.
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Il a cependant des motifs de satisfaction. Parmi ces étudiants, il lui arrive de «reconnaître les personnes que l’école, l’envie d’apprendre, la curiosité humaine et intellectuelle pouvaient faire basculer dans la résistance créative et la reconstruction de soi». Car tous les «radicalisés» en prison ne sont pas d’irréductibles extrémistes. Certains, notamment les plus jeunes, peuvent remettre en question leurs décisions de plonger dans la radicalité, souvent motivées par l’attrait du rôle de «justicier» qu’ils ont espéré jouer. A l’heure où plusieurs de ces détenus sont voués à sortir de prison après avoir purgé leur peine, l’utilité du travail de José Gutiérrez-Privat pourrait éclater au grand jour.
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