Peggy Lee Cooper, une drag queen
Reine des nuits liégeoises, conteuse à ses heures, Peggy Lee Cooper occupe aussi nos scènes théâtrales. En crooner farceur avec Greg Houben, ou dans la diaboliquement faustienne comédie musicale Alma, coécrite avec Fabrice Murgia. Portrait.
Dix heures, un dimanche. Texto de Peggy Lee. «Il y avait spectacle hier. J’émerge. Rendez-vous à la brasserie derrière l’opéra à 13 heures?» Nous la retrouvons à Liège, son fief. On pensait la voir débouler cheveux peroxydés et robe décolletée. C’est «pEg» qui débarque, dont on ne saura jamais le prénom officiel. En jeans et tee-shirt noirs, il est pile au rendez-vous. «C’était génial hier soir. Un show one shot. Mais c’est épuisant.» Epuisant, ce travail d’autoproduction. Epuisant, d’écrire, mettre en scène, sans théâtre ni équipe derrière soi. «J’ai commencé ce type de spectacle très tôt. En spectateur, d’abord. A 15 ans, j’en paraissais 18, j’allais voir les spectacles à la Mama Roma (NDLR: lieu historique de drag liégeois, où il travailla dès 1994). On m’apprenait Molière à l’école, là je voyais une travelotte de 60 ans enlever ses dents, les poser devant un steak, et leur dire: débrouillez-vous! La scène drag, c’est un format qui peut tout accueillir. J’y ai vu des chanteuses d’opéra, des contorsionnistes, des sexclowns…»
Le drag, c’est politique. Il y a une revendication à être un homme qui porte une robe sur scène.
Puis, le drag, «que tu le veuilles ou non, c’est politique. Il y a une revendication à être un homme qui porte une robe sur scène. Quand j’étais enfant, je n’étais pas le plus populaire à l’école. Ça m’a ouvert à une autre vision du monde. J’ai vite aimé les personnages “à côté”. A la Mama, j’ai découvert la collection de vinyles de Henri (NDLR: fondateur du lieu) et les égéries du mouvement drag: des personnes brisées, avec un réel goût pour le tragique. Pour l’irrévérence. Et pour l’honnêteté.»
Etre vrai. Vraie. Porter en soi les luttes, mais les exprimer de façon joyeuse, c’est son mantra. «Je suis contre la surintellectualisation. Les combats doivent passer par le corps. Joyeusement. Le spectacle hermétique de trois heures, ça ne m’intéresse pas. Cabaret parle de la montée du nazisme en chantant. Hairspray, des personnes en surpoids, de façon légère. C’est universel. Avec Fabrice Murgia, c’est peut-être ça qui nous a lié: l’urgence, le politique, la non-prise de tête.»
A deux minutes de nous quitter, pEg nous glisse encore quelques mots. Sur l’hyperconsommation et la surmédiatisation dérangeantes qui touchent le mouvement drag. Alma, sorte de Faust au pays de la télé-réalité, parlera de ça. Sur les lectures dégenrées qu’il fait pour les jeunes enfants «là, on peut entendre mon vrai prénom. Je me dois d’être vrai, d’expliquer pour quoi je suis là». Il part: il doit faire la sieste avant de répéter. Et glisse: «Il faudrait parler plus des drag kings (NDLR: les femmes qui s’approprient les codes masculins). C’est facile pour moi, moins pour eux.» Il part et on sait un peu ce qu’il a dans le cœur. On sait ce qu’il a tatoué dans le dos, le portrait d’une icône drag qu’il vénère. On ne sait pas ce qui se cache derrière le tattoo de ses poings. C’est son histoire. Ses combats. Peggy Lee est une drag comme les autres.
Alma, au Théâtre de Namur, du 16 au 19 mai. Peggy Lee Cooper participe aux lectures jeune public Unique en son genre, au MAC, à Liège, le 18 février.
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