Patrick Pécherot étale son spleen des seventies dans son nouveau livre, Pour Tout Bagage
Que sont nos idéaux devenus? Patrick Pécherot se penche sur la question et, en creux, sur ses propres seventies rugissantes dans un roman noir, perle amère de la rentrée.
« J’ignore qui était Edmond Vuillat, pourtant nous l’avons tué.» C’était en 1974. Cinq lycéens de la banlieue parisienne engagés à gauche toute: «Hô, Hô, Hô Chi Minh! Che, Che, Guevara! Dans les cortèges qui battent le pavé tous les quatre matins, on cavale devant les camarades, devant les badauds, devant les flics… Lorsqu’on ne court pas, on lit Charlie, Politique Hebdo, Le Monde libertaire, Tout!, La Gueule ouverte et des brassées de brûlots.» Et le narrateur, Arthur, membre de la bande et peut-être assassin, de préciser, assumant tout: «Elle nous avait emballés, l’équipée au drapeau noir. C’était tentant, comme les berlingots chipés chez le marchand, la première cibiche, le premier baiser, les slaloms à mobylette ou un tag sur une gendarmerie.»
C’était tentant, comme les berlingots chipés chez le marchand, la première cibiche, le premier baiser, les slaloms à mobylette ou un tag sur une gendarmerie.
Sauf que leur révolution à eux a tourné au drame – une balle perdue, tirée par qui? – puis à la Bérézina: l’un est devenu un de ces hommes politiques bedonnants et palpeurs qu’ils haïssaient tellement, un autre brocanteur, un troisième s’est accroché, mais la ZAD qu’il occupe aujourd’hui est bien triste: «La pièce commune sentait le poireau et la tisane. Au mur: les affiches des grands soirs attendus. Depuis les seventies, l’imagination n’avait pas pris le pouvoir, juste un coup de vieux.» Obligé, près de cinquante ans plus tard, de se retourner sur ce passé qui le hante, et de se confronter à ce que sont devenus ses anciens camarades et, avec eux, leurs idéaux, Arthur se lance à la fois dans un road trip et dans la fouille de ses Kodachromes, lesquels forment, dans Pour tout bagage, une succession de clichés saisissants sur un temps et des certitudes révolues, avec Ferré en bande-son et une nouvelle conviction ancrée dans la tête d’ Arthur – et peut-être de son romancier de géniteur: «Elles se fracassent depuis les cavernes, les aventures communautaires.»
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Exercice de style
On a trop longtemps réduit les romans de l’impeccable Patrick Pécherot à l’étiquette de polars historiques, ses précédents opus se baladant avec succès dans la France des années 1920 à 1950 – sa Saga des Brouillards en trois actes, Tranchecaille, Une plaie ouverte ou Hével il y a déjà quatre ans, toujours chez Gallimard, très souvent dans la Série Noire. Cette fois, c’est dans cette dernière qu’il publie, plus axée verbe qu’action.
Dont acte: ce Pécherot-là ne néglige pas son intrigue, mais travaille comme jamais son style, dans un exercice littéraire multipliant les évocations, les images et les justes clichés sur un lieu ou un moment, faisant mouche à chaque fois – «Des saveurs lointaines, les monacos et les panachés, les goûts des baisers et celui du lipstick». Surtout, il s’installe cette fois dans une époque et des atmosphères qui furent aussi les siennes, «proche des milieux libertaires et pacifistes», nous dit Wikipédia sur cet ancien rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo, devenu grand auteur. Une part d’intime qu’on ne peut s’empêcher de penser très importante à la lecture de ce roman rapide, brillant, amer et soudain très émouvant.
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