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Notre sélection de 20 romans de la rentrée littéraire de janvier

Le Vif

Dans un paysage éditorial toujours aussi prolifique, la rentrée littéraire hivernale tient ses promesses de grands noms et de découvertes.

Voici un tour d’horizon en vingt romans de cette rentrée littéraire de janvier pour traverser les frimas entre de bonnes pages.

Ce que faisait ma grand-mère à moitié nue sur le bureau du Général

Par Christophe Donner, Grasset, 304 p. Paru le 11 janvier.

Sous couvert d’élucider comment sa grand-mère atterrit dévêtue sur le bureau du général de Gaulle, Christophe Donner fait miroiter le premier roman virtuel de l’ère de la blockchain (et c’est brillant). Une fois son lecteur mystifié, l’auteur de La France goy farfouille dans les archives de l’antisémitisme français, notamment via l’ Action française et son zélateur Léon Daudet, que son fils Philippe tentera d’assassiner. Un jeu savant de poupées russes où il sera beaucoup question de tuer le père.

Les Sources

Par Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, 128 p. Paru le 5 janvier.

Depuis une cour de ferme plantée au cœur du Cantal, une femme de 30 ans veille sur ses trois enfants. Elle guette aussi du coin de l’œil le réveil de son mari, ce corps lourd avachi sur le banc, avant que les coups pleuvent et les mots cognent. Pour dire la violence domestique «ordinaire» et ses routines abrutissantes, Marie-Hélène Lafon s’appuie sur sa propre histoire familiale au sein de «petits pays où tout se sait». Ses mots aux aguets, aiguisés et précis, claquent comme un fouet.

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok

Par Michelle Lapierre-Dallaire, Le Nouvel Attila, 160 p. Paru le 13 janvier. Premier roman

«J’ai pas de peau. […] On voit tout à travers moi.» Mère alcoolique suicidée, père en prison, la narratrice de 27 ans s’en vient ruer dans les brancards pour «montrer son carnage». Abus sexuels, troubles de santé mentale, drogues, suicide, from Québec et en manque d’amour, le premier roman de Michelle Lapierre-Dallaire fout le feu à l’autofiction dans un texte qui tabasse. Traumatismes, tentatives de résurrection, ça bastonne la banalité «pour lui péter sa gueule de conne». Pour public averti.

Film Fantôme

Par Patrice Pluyette, Seuil, 204 p. Paru le 6 janvier.

Un écrivain-réalisateur un peu perché relate le tournage d’un film de chevalerie jamais projeté. Un temps désarçonné, le lecteur remonte vite en selle pour cavaler en travelling à la poursuite de Roland furieux, chef-d’œuvre de littérature italienne médiévale croqué sur fond vert et décors de carton-pâte. Production chaotique, acteurs de seconde zone, explosion du quatrième mur, Patrice Pluyette s’impose en maître conteur fantasque le temps d’un livre-film dont vous êtes le héros. Farceur et rafraîchissant.

La Lumière, l’encre et l’usure du mobilier

Par Emmanuel Venet, Gallimard, 160 p. Paru le 12 janvier.

«Cousinant» avec Pascal Quignard en recherche d’éblouissements, Emmanuel Venet égrène toute une vie secrète. Voltigeant entre brouillards de l’enfance, catéchisme amoureux et difficultés du métier de psychiatre, cet élégant recueil fragmentaire invite au partage d’une malicieuse érudition. Soit un chapelet d’obstinations intimes et quelques talismans chéris (nombre de poètes et musiciens sont ainsi invoqués). Entre journal intime et aphorismes, Venet pratique la fascination funambule.

Le Mystère de la femme sans tête

Par Myriam Leroy, Seuil, 288 p. Paru le 6 janvier.

Au cimetière d’Ixelles se trouve une intrigante sépulture. Marina Chafroff-Maroutaëff. Décapitée. A la hache. En 1942. Marina fut résistante, sauva la vie de soixante otages en se dénonçant pour l’agression d’un officier allemand. Elle n’a pas de rue à son nom, ni de monument à sa gloire. Alors la narratrice va imaginer les pièces manquantes du puzzle, dresser un portrait fantasmé mû par l’incompréhension et la colère face à notre histoire, abîmée par l’invisibilisation et la silenciation des femmes.

Irréfutable essai de successologie

Par Lydie Salvayre, Seuil, 176 p. Paru le 6 janvier.

Rien ne semble arrêter la prolifique Lydie Salvayre, et surtout pas les chemins de traverse. Elle revient avec un Irréfutable essai de successologie, où elle entreprend d’analyser la mystérieuse recette du succès. Avec cet antiguide qui pastiche les self-help books et sabre notre époque, elle déploie son art consommé de l’énumération pour offrir un festival de conseils à (ne surtout pas) suivre pour «être au top», puisqu’on le sait, «le succès immunise contre la mort». Une friandise, en somme.

Une archive

Par Mathieu Lindon, P.O.L, 240 p. Paru le 5 janvier.

Il était temps que Vincent Lindon livre sa propre histoire des éditions de Minuit, et surtout de son père, Jérôme, qui en fut le directeur. Dans son style très personnel, l’auteur de Ce qu’aimer veut dire nous laisse lorgner par le trou de la serrure de l’appartement familial et des bureaux de cette légendaire maison d’édition. On retrouve notamment ses grands auteurs, comme le Nobel Samuel Beckett, dont son père fut si proche, ou Alain Robbe-Grillet, chantre du Nouveau Roman. Un récit intime et touchant.

Matrix

Par Lauren Groff, L’Olivier, 304 p. Paru le 6 janvier.

Ejectée de la cour par Aliénor d’ Aquitaine, Marie de France est contrainte de devenir prieure d’une abbaye royale reculée. Après sa dissection contemporaine du mariage dans Les Furies, Lauren Groff surprend et enchante avec ce portrait de jeune femme du XIIe siècle, tenace, créative et solidaire du sort de ses compagnes. Connue jusque-là seulement par ce que disent ses lais, la première autrice en langue française se dote ici d’une riche étoffe émancipatoire, en mesure de nous parler aujourd’hui.

Ce que Majella n’aimait pas

Par Michelle Galen, éd. Joëlle Losfeld, 350 p. Paru le 5 janvier.

A Aghybogey (bourgade fictive d’Irlande du Nord), Majella, jeune et dodue, vit en rythme avec les horaires de la friterie où elle officie sept jours sur sept. Derrière le comptoir de Salé, Pané, Frit! , c’est tout un monde qu’elle entrevoit, gouailleur et cabossé. Entre le décès brutal de sa grand-mère, la disparition de son père en pleine période des Troubles et les préoccupations des clients, elle a fort à faire pour ne pas vaciller. Un premier roman diablement attachant, à la langue qui croustille!

Les Ravissements

Par Jan Carson, éd. Sabine Wespieser, 440 p. Paru le 5 janvier.

A Ballylack, en période des Troubles, les enfants ont du mal à se projeter dans l’avenir. Le dernier jour de juin 1993, Ross, 11 ans, meurt d’une infection mystérieuse, bientôt suivi par d’autres camarades. Seule Hannah, en marge à cause de ses parents fondamentalistes protestants, semble épargnée. Mais alors que tous s’affolent au vu de l’épidémie, elle ne peut confier qu’elle voit apparaître chaque nouveau décédé. Jan Carson insuffle un surnaturel maîtrisé dans son fin portrait d’une communauté en crise.

Les Dangers de fumer au lit

Par Mariana Enriquez, Sous-Sol, 240 p. Parution le 13 janvier.

Impressionnante et glaçante dans son roman retors Notre part de nuit, la reine argentine de la terreur revient avec son premier recueil (shortlisté pour le Booker Prize) de douze nouvelles à pétrifier le sang, rythmées au cordeau. Entre sauvagerie adolescente, spectres tangibles de la dictature, lignée de femmes damnées ou sorts de revanche, il y a ici une panoplie complète d’obsessions contemporaines tressées de légendes et croyances archaïques. Plongez-vous dans la lecture… ou soyez maudits!

Client mystère

De Mathieu Lauverjat, Gallimard/Scribes, 240 p. Paru le 12 janvier. Premier roman

Quand un livreur de repas à emporter, à la suite d’ un lourd accident de vélo, devient le candidat parfait du mystery shopping, cela donne un premier roman lucide sur l’ubérisation du travail, un récit hautement contemporain à la formule qui claque comme un briefing de start-up. Le narrateur imaginé par Mathieu Lauverjat trace son chemin dans les rayons des magasins ou aux comptoirs des sandwicheries mais aussi dans les bars de TGV pour tester, vérifier et défier les employés ainsi surveillés par leurs maisons mères. Un docufiction qui fait froid dans le dos.

Je ne suis pas là

De Lize Spit, Actes Sud, 512 p. Parution le 1er février.

De la campagne flamande de Débâcle, son premier roman qui l’a propulsée princesse des lettres du nord du pays, Lize Spit déménage à Bruxelles où sa narratrice – qui lui ressemble beaucoup – reçoit un appel d’urgence de sa meilleure amie lui prédisant le pire. Laissant tout en plan dans sa boutique de fringues branchées, elle court…. Je ne suis pas là dilate les onze minutes de son intrigue en un suspense dense et sensible qui repasse en détail les étapes d’une relation qui voit jaillir en elle la folie.

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Nein Nein Nein!

Par Jerry Stahl, Rivages, 352 p. Paru le 4 janvier.

Sous-titré La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, l’une des plumes les plus libres et acérées du pays de l’Oncle Sam livre un nouvel opus à mi- chemin entre le pamphlet et l’auto- biographie. Il n’y avait que cet ex-junkie, pote de Hubert Selby Jr., scénariste de Twin Peaks et auteur de A poil en civil, pour partir soigner sa dépression en visitant les camps de la mort tout en effectuant son devoir de mémoire. Corrosif et mordant!

Harlem Shuffle

Par Colson Whitehead, Albin Michel, 432 p. Paru le 4 janvier.

Le double Pulitzer de fiction (Underground Railroad et Nickel Boys) se fait manifestement plaisir en utilisant la forme du roman noir pour une relecture jubilatoire du Harlem des sixties. Plus qu’un exercice de style jouissif et bien troussé, Colson Whitehead, avec sa galerie de gangsters truculents et de flics pourris et racistes, rend surtout un hommage très personnel à l’immense écrivain afro-américain qu’ était Chester Himes. Désopilant et pertinent!

Mungo

Par Douglas Stuart, Globe, 480 p. Paru le 5 janvier.

Un an après le douloureux et autobiographique Shuggie Bain, que développe actuellement l’Ecossais pour une adaptation en série télé, Douglas Stuart récidive avec un tout aussi déchirant Mungo. Soit une version gay de Roméo et Juliette dans un Glasgow des années 1990 gangrené par la guerre des gangs entre catholiques et protestants sur fond de misère et d’alcoolisme. Bouleversant et tragique!

Abondance

Par Jakob Guanzon, La Croisée, 336 p. Paru le 11 janvier. Premier roman

Bienvenue dans l’Amérique des laissés-pour-compte qui mangent quand ils peuvent et dorment dans leur voiture. Une galère qu’Henry partage avec Junior, son fils de 8 ans. En attendant un entretien d’embauche qui pourrait les sortir de l’ornière, ce père courage hanté par sa propre jeunesse décide de faire un extra pour l’anniversaire du fiston. Au programme: un McDo et une nuit dans un motel miteux. Des «luxes» qui n’effacent pas la honte ni le mal-être de cet enfant privé de tout, en particulier de l’affection de sa mère junkie. Un road movie naturaliste qui ne se complaît toutefois pas dans le misérabilisme. Tant qu’il y a de l’amour (paternel), il y a de l’espoir.

Assemblage

Par Natasha Brown, Grasset, 160 p. Paru le 11 janvier. Premier roman

En apparence, la narratrice a coché toutes les cases de la réussite: un poste dans la haute finance, un petit ami de bonne famille… Ce n’ était pourtant pas gagné d’avance pour cette femme noire d’origine modeste. Justement, à y regarder de plus près, cette assimilation a un coût: son parcours est émaillé de microagressions qui ne cessent de la renvoyer à son statut de femme racisée. Une violence verbale d’autant plus sournoise qu’elle se cache dans les plis de l’ordinaire. La méritocratie est un leurre. Une hypocrisie bien huilée que dénonce avec une grande finesse ce roman politique.

L’Âge de détruire

Par Pauline Peyrade, Minuit, 160 p. Paru le 5 janvier. Premier roman

Elsa a 7 ans quand sa mère achète un appartement. La promesse d’un nouveau départ tourne court, la mère s’enfonçant dans la dépression et faisant régner un climat de terreur sourde. Des souvenirs douloureux qui ressurgissent vingt ans plus tard quand Elsa, marquée par cette éducation aride, vient aider cette femme avare en affection à vider le logement qu’elle s’est enfin décidée à quitter. D’une écriture vive et sensorielle, l’autrice prend le pouls anémique d’une relation toxique dont la jeune fille ne pourra s’affranchir qu’en atteignant, comme disait Virginia Woolf, l’âge de détruire.

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