Mathias Malzieu en symbiose musicale et amoureuse
Collaboration fantasque entre Mathias Malzieu (Dionysos) et sa compagne Daria Nelson, La Symphonie du temps qui passe se décline en un album, un livre et un spectacle. Poétique et surréaliste à la fois.
« Daria et moi nous sommes rencontrés il y a trois ans. Un coup de foudre instantané.» Depuis leur péniche aux environs de Paris, Mathias Malzieu et Daria Nelson ont le sourire généreux. Devant l’écran passe June, leur chat, baptisé ainsi en souvenir de June Carter, artiste et épouse de Johnny Cash. Les amoureux franco- ukrainiens – Daria s’est installée en France en 2016 – induisent la comparaison avec le légendaire couple country-folk américain pour l’esprit de leur projet à 360 degrés, La Symphonie du temps qui passe. Mais aussi avec d’autres… «C’est une symbiose autant amoureuse que musicale, comme chez Gainsbourg et Birkin ou Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, insiste Mathias. Une aventure partie de poèmes écrits pour Daria, accompagnés d’un livre making of et d’un spectacle où elle et moi nous sommes investis à 50/50. Il ne s’agit pas d’une proposition solo du chanteur de Dionysos avec une invitée qui serait ma muse. J’ai été impressionné de l’entendre chanter la première fois, alors que sa fibre artistique, a priori, ce sont les arts visuels.»
C’est une symbiose autant amoureuse que musicale, comme chez Gainsbourg et Birkin ou Nancy Sinatra et Lee Hazlewood.
L’univers de cette symphonie louche plutôt du côté de Cocteau que de l’Amérique, s’imprègne davantage de Georges Méliès et des frères Lumière que de Gainsbarre, et tend un miroir visuel aussi imaginatif que celui de Tim Burton. Le portefeuille en moins. «On a d’abord pensé à une collaboration avec Pierre et Gilles (NDLR: couple de plasticiens français mêlant photographie et peinture), souligne Daria. Mais c’était un peu au-delà de nos moyens (sourire). Puis on a découvert le travail de Sébastien Salamand, alias Le Turk, qui nous a proposé de réaliser autant de clips que de chansons. Il construit lui-même les décors, comme Méliès et Cocteau. Personne n’a été payé. On a juste acheté le matériel pour la déco et de quoi nourrir les participants. Tout a été tourné en Sologne, en treize jours. A Paris, cela aurait été financièrement impossible. Mais notre label indépendant, VeryCords, a fait le maximum pour nous épauler.»
Avec le temps
On se laisse emporter par cette collection de vidéos et morceaux zazous, réalisés avec de malins bouts de ficelle et filmés avec des couleurs chaudes. Le duo multiplie, avec Le Turk, les trucages en temps réel. Ceux d’un charmant film muet qui chanterait la liberté, l’amour et la rêverie éveillée. Livrant un univers sensitif, évocateur de parfums de cirque, de théâtre désuet, de refus du réalisme viral de l’époque. Sur les toits d’un Paris forcément romantique, se croisent vélos volants, silhouettes en carton et situations flirtées. Mais les thèmes ne sont pas que Bisounours et câlins de couple. Quarante et un ou La Peur de l’abandon portent aussi les CV compliqués de Mathias et Daria: la maladie qui a failli emporter le premier en 2013-2015, la présente blessure de la seconde, toujours séparée d’une partie de sa famille restée du côté de Kiev. Et puis, cette autre douleur indicible et souterraine pour la vie, celle, commune, d’avoir perdu un enfant. Un chassé-croisé d’émotions, avec cordes et programmations, mais aussi l’appréhension d’un monde qui semble couler inexorablement. Celui du temps qui passe, volontiers cruellement. Eternel printemps ou Morning Song témoignent, eux, que l’ écriture de Mathias Malzieu vibre toujours d’un désir de partage de sentiments rares, francs, joyeux et immanquablement originaux sur la scène de la chanson française.
L’écriture de Mathias Malzieu vibre toujours d’un désir de partage de sentiments rares, francs, joyeux et originaux sur la scène française.
Comme le couple l’a voulu, La Symphonie du temps qui passe se décline désormais en trois formats. Un album, évidemment. Mais aussi un spectacle sans bandes ou traficotages numériques, avec Mathias et Daria en meneurs de revue fantasmagorico-intimiste accompagnés d’un piano bastringue vintage, d’un ukulélé et de projections Super 8. Et un recueil de poèmes, à l’origine du reste, publié en 2020, Le Déréglement joyeux de la métrique amoureuse (L’Iconopop, 80 p.). Un très joli mélange d’images, de collages et de dessins. «Le principe est que cette métrique-là change le temps, conte Mathias. Ce qui est dit dans le premier poème, c’est qu’un jour passé ensemble compte pour dix et donc qu’après soixante jours, on en était déjà quasiment à deux ans.» Bon, pas besoin de boule de cristal pour comprendre que l’amour entre Mathias et Daria cimente leur talent artistique commun. L’ audace? S’embarquer dans un vaisseau amiral qui aurait le budget d’une goélette. Puis tenir le cap de ce qui n’est pas contrôlable. Le destin collectif au-delà de la musique et de l’art, celui d’une vieille Europe ravagée par Poutine.
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«Je ne veux pas être réduite à la « fille ukrainienne » hébergée en France et qui partage le destin du chanteur Mathias Malzieu, pointe Daria Nelson. J’ai du sang russe, biélorusse, polonais, pas juste ukrainien. Cela me fait mal, même si c’est compliqué de trouver une légitimité à dire quoi que ce soit face au quotidien de gens sans eau ni électricité.» Même si elle ne peut sauver un funeste destin, européen ou même individuel, la jonction poétique de Daria et Mathias fait du bien. A l’Europe, et plus si affinités.
La Symphonie du temps qui passe, à La Madeleine, à Bruxelles, le 16 mars.
Les mots bleus
La matrice de La Symphonie du temps qui passe tient dans les poèmes amoureux publiés en 2020 par Mathias Malzieu et Daria Nelson (1). En version musicale s’y trouvent des phrases comme «Elle s’est laissé pousser les seins/On dirait bien une montgolfière» (L’Enfant fée) ou encore «Apprendre à apprendre encore et en cœurs» sur la plage titulaire. Poésie azurée, ironie empathique, humour et jeux de langue que l’on retrouve également dans le dernier ouvrage de Malzieu, Le Guerrier de porcelaine, paru début 2022 (1). Ce dixième livre, déjà, raconte comment le père de Mathias, ayant perdu mère et sœur, le mari étant parti à la guerre, tente de survivre à l’année 1944 chez ses grands-parents en Lorraine occupée. Récit à hauteur d’enfant, entre les gouttes meurtrières des bombardements, le leader de Dionysos tricote un rêve éveillé, parfois cruel, signé d’un «expert en insomnie». Gamin taraudé par mille questions, construisant un journal de bord d’un regard tactile qui ramène d’autres lumières sur un trajet familial sacrément épicé.
(1) Le Guerrier de porcelaine, par Mathias Malzieu, Albin Michel, 240 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici