Jazz: le souffle audacieux de la Belge Nabou Claerhout
Fraîchement sortie d’une résidence et de concerts remarqués à Flagey et bientôt sur scène à Amay, la jeune Anversoise Nabou Claerhout propose, avec son trombone, un jazz aux multiples narrations, orchestrées entre tradition millésimée et expérimentation.
On peut le voir sur YouTube lors d’une session – Nabou Live at Flagey BJF – en quatuor, contrebasse-batterie-guitare électrique-trombone. Ce dernier, instrument à coulisse, est dans la bouche, les humeurs et le souffle de Nabou Claerhout. Sur ces images justes et propres, l’Anversoise, 29 ans, mène ses trois complices dans des paysages aux topographies sonores gondolantes. A un moment, on plane dans des contours fantomatiques, dilatant les notes en formes crépusculaires. A un autre, on poursuit un swing quasi ancestral qui peut rappeler les points d’orgue historiques de Miles Davis. La beauté de l’ensemble tient aux qualités instrumentales – mention plus aux six cordes fiévreuses du guitariste – et, bien sûr, à la présence magnétique du trombone. Version ténor, la forme la plus usitée. Qui déchire l’espace-son autant qu’il ne le porte dans une architecture forte, particulière, insolite. Ce cuivre est a priori davantage connu du côté du ska, des fanfares ou du classique, façon Camille Saint-Saëns, que du jazz féminin belge.
J’ai fini par comprendre le lien qui m’unit au trombone.
Doit-on s’étonner qu’une tromboniste «black» nous étonne? «Ah ah! C’est plutôt une réaction fréquente, répond l’intéressée. Mais lors de mon parcours, de mes études, peut-être y a-t-il eu davantage de remarques sur le fait qu’une femme joue du trombone que sur une quelconque couleur de peau. J’ai grandi dans les académies et au conservatoire de Rotterdam, avec les notions de plaisir et de travail. J’avais 14 ou 15 ans lorsque je me suis rendu compte de mes vrais désirs concernant le jazz et le trombone. J’avais flashé sur Esperanza Spalding et Erykah Badu, qui me donnaient aussi une forme d’identité. Pour moi, être métisse n’a jamais été quelque chose de particulier. J’ai eu très peu de réactions agressives envers mon identité. Que je ne me trouve pas particulièrement spéciale, même si j’étais souvent la seule Noire à l’école.» Gamine, Nabou pratique les gammes dans la salle de bains du logement familial. Condition posée, sa mère lui demande de «tomber amoureuse» de son instrument. «J’ai mis pas mal de temps à comprendre ce que cela signifiait, avoue-t-elle. Mais après vingt ans de pratique, là, je suis sortie de ce concept abstrait. J’ai mesuré la portée du trombone, la façon dont il pouvait agir dans toutes ses modulations, rauques, directes, atmosphériques. Qui ont quelque chose de maternel.»
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Wah-wah
Nabou Claerhout est née d’un père sénégalais et d’une mère belgo-congolaise auprès de laquelle elle grandit. Dans une atmosphère très musicale où les disques de Brel côtoient les symphonies classiques du frère et les références nineties style Destiny’s Child de la sœur. Il y a peu d’Afrique vécue en direct – Nabou n’y voyage qu’une seule fois, à l’âge de 6 ans – mais elle reconnaît que le rythme de ses compositions fréquente davantage le 7/8 que le classique 4/4 pop.
L’artiste combine un jeu qui se veut acoustique mais adopte aussi le système traficoteur de pédales (comme pour la guitare), apte à changer plus ou moins fortement le son original. Elle passe par l’électronique, notamment une pédale wah-wah, sans jamais perdre de vue une pulsion organique. «Jouer du trombone, ou d’un autre instrument, est aussi une question d’éthique. Il s’agit de trouver la façon de se marier à cet objet très proche et très bizarre (elle rit). Une pièce de métal qui a quelque chose de vraiment particulier… J’ai dû jouer en Pologne alors que mon trombone était resté bloqué quelque part en route. Les organisateurs en ont donc loué un autre pour moi, mais jouer avec celui-là m’a donné une impression de trahison. De commettre quelque chose de faux. Cela peut sembler étrange mais j’ai fini par comprendre le lien qui m’unit au trombone.»
Nabou joue sur une coulisse de fabrication allemande contemporaine, influencée par le musicien néerlandais Bart van Lier, qui fut son professeur. Cela a abouti, ces dernières années, à de multiples projets, une constante chez les musiciens jazz. Outre son quartet, fondé en 2017, Nabou a l’éclectisme avéré. Comme sa formation de cinq trombones qui font la fête dans une fanfare qui n’en est pas vraiment une. Un album devrait suivre en novembre 2023. Puis il y a tout le reste. Où l’on pioche cette célébration, Hey Meredith, en l’honneur de Meredith Monk, vocaliste, performeuse, chorégraphe, compositrice, aussi originale qu’intrigante. «On pourrait penser que je suis une sorte de schizo, enchaîne l’Anversoise. Mais la plupart du temps, je suis moi-même et je compose la plupart des musiques que je joue. Ils m’ont demandé, je crois, de participer à ce projet Monk parce qu’il pouvait y avoir un parallèle entre ce que Meredith fait avec sa voix et mon travail au trombone. Au fond, il s’agit de nouvelles façons d’essayer de faire de la musique. Et cette multiplicité d’approches me rafraîchit et me donne envie d’être audacieuse.»
Nabou Claerhout sera en concert le 8 mai au Centre Culture d’Amay.
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