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Les riens qui donnent à Régis Debray l’envie d’une seconde vie
L’écrivain et philosophe puise dans son parcours militant et dans l’observation de la société des réflexions sur la vie, qui lui procurent un sentiment d’incomplétude.
«La taule reste un endroit idéal pour découvrir que c’est du minimal que chaque humain dépend.» Voilà une des réflexions que le révolutionnaire (compagnon de route de l’Argentin Che Guevara, l’idéologue de la révolution cubaine aux côtés de Fidel Castro), écrivain, et philosophe Régis Debray, 84 ans, distille à partir de son parcours militant (qui lui occasionna un emprisonnement en Bolivie de 1967 à 1970) et de son observation de la société contemporaine dans Riens. Des riens, il en faut pour faire une vie, «cela se révèle d’ordinaire en fin de partie. Surtout quand certains accidents de santé nous font la grâce d’effacer postures, bienséances et grands mots», explique celui qui a subi deux AVC.
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Régis Debray s’inquiète du retour des frontières («Que cette vieillerie puisse sous nos yeux prospérer, à l’âge où « sans frontières » se veut tout chic type qui se respecte (cosmopolite, humanitaire, footballeur, milliardaire, etc.), cela jette une ombre sur l’avenir radieux») et de la régression identitaire («Nos temps postmodernes tournent de plus en plus prémodernes. Puisqu’un bon Indien doit aujourd’hui être hindouiste, un bon Israélien, juif, un bon Turc, musulman, etc. Ce que n’avaient pas prévu ni Nehru, ni Ben Gourion, ni Atatürk.»).
Il déplore le sept fois plus de temps que l’être humain consacre aux écrans qu’au papier, notamment parce que «ce passage du m’as-tu-lu au m’as-tu-vu, des bouquineries aux visionnages, oblige à se faire une gueule pour se faire un nom». Qui sauvera la lecture et le livre? Davantage la femme que l’homme, avance Régis Debray, «comme chacun peut le constater en rentrant chez lui dans un train de banlieue, en fin de journée».
«Ce passage du m’as-tu-lu au m’as-tu-vu oblige à se faire une gueule pour se faire un nom.»
Le rappel de ces riens qui disent beaucoup est aussi l’occasion de rendre hommage à des figures qui ont marqué l’auteur: l’écrivain Julien Gracq dont il fut le disciple, le philosophe Edgar Morin, 103 ans, «un détecteur aussi sagace de nos espoirs et désespoirs», l’éditeur François Maspero, «homme livre et libre», l’actrice Simone Signoret, dont il partagea les combats politiques à gauche, ou le président François Mitterrand, «homme à secrets et à tiroirs, manipulateur affectueux». Autant de belles rencontres et d’agréables souvenirs qui font espérer à Régis Debray qu’après «une première vie […] pour apprendre à se connaître, repérer nos faux-semblants, déjouer les impasses où nous conduisent inexpérience et prétention» puisse en exister une seconde, «enfin la bonne, menée, celle-là, en connaissance de cause».
Riens, par Régis Debray, Gallimard, 144 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici