Comment le racisme de la colonisation a nourri le racisme d’aujourd’hui
Retraçant le parcours de son arrière grand-père arrivé en Belgique en 1929, Eva Kamanda, avec Kristof Bohez, livre un passionnant récit et interroge les discriminations actuelles.
François Kamanda a débarqué dans le port d’Anvers le 17 janvier 1929, à une époque où moins de 100 Congolais étaient recensés en Belgique. Il a vécu un temps à Uccle, s’est marié avec Lucienne Berger, rare union mixte en cette année 1942, et a tenu un salon de coiffure à Etterbeek jusqu’à la fin des années 1970… Pourquoi a-t-il quitté son Kasaï natal, au sud-est du Congo? Comment a-t-il été le modèle d’une œuvre du peintre Henri Logelain, Portrait de François Kamanda (1936, Kabinda)? De quelle façon a-t-il traversé la Seconde Guerre mondiale et l’indépendance du Congo? C’est à ces questions que répond le passionnant récit Une vie sous silence de l’actrice Eva Kamanda, l’arrière-petite-fille du «héros», et son compagnon, le journaliste Kristof Bohez.
«Je veux qu’on voie ma couleur, et qu’on n’en fasse pas une affaire.»
Pourquoi «une vie sous silence»? Parce que François Kamanda était taiseux, et parce que des zones d’ombre émaillaient son histoire. «Il n’y a pas toujours de la place pour une peau noire dans un monde blanc», lâche Eva Kamanda. Au terme de trois années de recherches, entre fouilles dans les archives, rencontres avec des parents de contemporains de Kamanda et témoignages de deux de ses trois filles encore en vie, les auteurs nous emmènent dans un périple étonnant. On y découvre Henri De Raeck, magistrat en poste au Congo qui a eu le jeune François comme boy et l’a emmené en Belgique, Robert Logelain, frère du peintre, avocat, résistant, directeur responsable de La Libre Belgique clandestine, qui l’a logé, ou Isidore Bataboudila, membre de l’Union congolaise de Belgique, infirmier, son plus proche ami.
Une vie sous silence ouvre aussi une réflexion sur le racisme, du temps de la colonisation et d’aujourd’hui. La relation de François Kamanda avec Henri De Raeck relevait de la dépendance. Les filles de François Kamanda ont subi de la discrimination à laquelle il était alors coutume de répondre par le mutisme. Les contributions des Congolais de Belgique à la résistance à l’occupant allemand ont été invisibilisées… «Je ne veux surtout pas que quelqu’un ne voie pas ma couleur ou l’ignore, je veux qu’on voie ma couleur, et qu’on n’en fasse pas une affaire», en tire comme leçon Eva Kamanda.
(1) Une vie sous silence. Notre histoire congolaise en Belgique, par Eva Kamanda et Kristof Bohez, Racine, 254 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici