Philippe Boxho, médecin légiste, professeur de médecine légale et auteur à succès.
© PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Comment le médecin légiste Philippe Boxho est devenu une vedette en librairie: les morts en tête des ventes

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le troisième ouvrage de ce médecin-légiste liégeois est sorti ce 21 août. Les deux premiers se sont vendus à plus de 450.000 exemplaires. Un succès inattendu et phénoménal.

Allongé sur la froide table, le bonhomme n’est guère causant: il est vrai que Philippe Boxho, médecin-légiste, vient de l’ouvrir d’un coup du menton au pubis et d’une épaule à l’autre. Ce qui n’augure guère d’une longue conversation entre eux. Quoique… «J’affirme souvent que ces morts ont des choses à dire et qu’il me revient de les interpréter au mieux», répète toujours Philippe Boxho à tous ceux qui l’interrogent sur son drôle de métier. Il faut croire que les corps sur lesquels il pose les mains depuis plus de trente ans sont bavards. Ou qu’il sait merveilleusement leur prêter l’oreille. Car c’est sur ces histoires, ces quelque 4.000 vies brusquement guillotinées, que le médecin liégeois (59 ans) s’appuie désormais pour rédiger des livres qu’il publie et qui constituent un redoutable phénomène de librairie.

Les deux premiers opus de sa plume, Les morts ont la parole (2022) et Entretien avec un cadavre (2023) se sont déjà vendus ensemble à plus de 450.000 exemplaires. Le troisième, qui est sorti en librairie ce 21 août, a déjà été tiré à 300.000 exemplaires – par précaution des éditeurs. L’homme a l’art de raconter sans détour et avec pédagogie les histoires les plus invraisemblables qu’il a croisées, les plus nauséabondes et aussi les plus glauques. Ses interventions, qui relèvent de l’enquête policière, ont souvent permis de découvrir qu’un suicide n’en était pas un, ou qu’un homme sur lequel sa fille avait tiré à la carabine n’avait pas été victime d’un meurtre… puisqu’il était déjà mort auparavant d’une hémorragie au cerveau. Ce passant retrouvé exsangue sur un chemin de forêt, la gorge tranchée, n’avait pas non plus été victime d’un assassin. Seule la lame d’une tondeuse utilisée dans un jardin voisin, qui s’était détachée de la machine en heurtant une pierre pour atterrir plusieurs mètres plus loin, était responsable de cette mort marquée par la malchance. En revanche, cet homme qui se sera tiré dessus à 14 reprises avant de succomber avait manifestement fort envie de mourir. Au fil de ces autopsies, le médecin-légiste a parfois croisé en des endroits inattendus du corps des objets qui n’avaient rien à y faire: une fourchette dans un estomac, par exemple, un manche de balai un peu plus bas… Ou un rat, bondissant d’une cage thoracique qu’il explorait.

Tenté par la prêtrise à la sortie de son adolescence, l’homme ne raconte pourtant pas tout. Certains dossiers, comme ceux de la catastrophe de la rue Léopold, à Liège, de la mort de Stacy et Nathalie ou de la fusillade de la Place Saint Lambert, n’apparaissent pas dans ses livres. Elles sont trop reconnaissables. Trop sensibles, aussi.

Dans les livres de Philippe Boxho, tout est vrai et il peut le prouver. Seules les identités des victimes et de leurs proches sont modifiées, le récit étant écrit de manière à ne pouvoir reconnaître ni les gens, ni les dossiers particuliers. Cette vérité sans gants, qui n’empêche pas un profond respect pour les humains, un réel talent de conteur et la fascination des lecteurs pour tout ce qui relève du registre policier – et sans doute pour la mort elle-même – expliquent largement le succès de cet auteur-médecin-légiste. En Belgique, ils ne sont que 12 à pratiquer ce métier. Et dans ce petit milieu, on a coutume de dire que des dizaines de meurtres, chaque année, passent sous les radars, faute de spécialistes pour découvrir sous la peau, dans les organes et jusqu’au fond de la gorge, l’indice minuscule qui trahira le meurtrier. Seuls 1 à 2% des morts font d’ailleurs l’objet d’une autopsie en Belgique, alors que le taux oscille entre 10 et 12% en Europe.

Quand les morts sauvent un éditeur

Repéré dans une capsule réalisée pour la RTBF, Philippe Boxho a été approché par les Editions Kennes il y a trois ans. Aujourd’hui, ses livres, publiés par l’éditeur Les 3 As, nouvelle mouture des Editions Kennes, connaissent toujours un succès auquel nul ne s’attendait. La surprise n’en est que meilleure. D’autant que Kennes, en lourdes difficultés financières, était encore en procédure de redressement judiciaire à la fin de l’année 2023. Les cadavres de Philippe Boxho auront participé à son sauvetage. La sortie du troisième tome, La mort en face, ne pourra que confirmer la chose.

Une vidéo réalisée en mars 2023 avec Philippe Boxho par le youtubeur Guillaume Pley pour ses 1,5 million d’abonnés aura boosté le succès amorcé avec le premier livre du médecin-légiste. Les millions de vues enregistrées sur cette chaîne, le rôle amplificateur des réseaux sociaux, la présence de l’auteur sur les plateaux de télévision et lors de multiples conférences ont fait le reste. Philippe Boxho a, il est vrai, le propos qui fait mouche. «Je n’ai jamais aimé les gens qui se plaignent et que l’on croise du matin au soir en médecine générale, dit-il. Au moins, mes patients, eux, ne se plaignent pas.»

Comme avec Harry Potter

Accrochés aux premières places dans les classements des meilleures ventes de livres, les oeuvres du Liégeois s’exportent aujourd’hui jusqu’au Brésil et sont promises à la traduction dans une trentaine de langues. Les premières propositions pour des adaptations à l’image sont déjà tombées.

Dans la nuit de lundi à mardi, la sortie anticipée et nocturne de La mort en face, dans une librairie de Charleroi, a drainé un bon millier de personnes pressées de se plonger dans cette nouvelle fournée d’histoires. Un empressement que l’on n’observait, jusqu’ici, que pour les livres de la série Harry Potter…

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