Alors que le Parlement européen ambitionne de réguler ChatGPT et ses émules, l’anthropologue se réjouit de leurs potentialités et des évolutions qu’ils imprimeront à la société.
Par Gérald Papy
Le Parlement européen a adopté, le 13 mars, l’Artificial Intelligence Act, première législation mondiale de régulation de l’usage de l’intelligence artificielle. Mais sa maîtrise est-elle encore possible par l’être humain? On en doute à la lecture du nouvel essai de l’anthropologue et économiste Paul Jorion, L’avènement de la Singularité (1). Pour lui, on a déjà atteint ce momentum de singularité «où la croissance technologique devient incontrôlable et irréversible, entraînant des changements imprévisibles dans la civilisation humaine».
Depuis la création de ChatGPT-4, le 14 mars 2023, l’intelligence artificielle serait non seulement plus intelligente que l’être humain mais disposerait – ce dont Paul Jorion est déjà convaincu – ou serait en passe de disposer de la conscience. Une hypothèse complètement réfutée par d’autres penseurs, comme le philosophe Raphaël Enthoven, qui vient de publier L’Esprit artificiel (L’Observatoire, 2024). Pour l’auteur de L’Avènement de la singularité, cette évolution est inéluctable parce que, dans un effet boule de neige, «GPT-5 aura intégré toutes les conversations qu’aura eues GPT-4 alors que la valeur ajoutée par chacun de ses utilisateurs aura été fécondée par la synthèse que l’IA lui aura offerte de milliards de données qui étaient hors de sa portée avant l’invention» des outils de l’IA. Ces avancées auront comme conséquences fondamentales «une prolétarisation de la main-d’œuvre humaine», «un chamboulement de l’enseignement», ou encore une transformation de la représentation de l’humain par lui-même.
Autant d’évolutions potentiellement vertigineuses qui ne sont cependant pas de nature à inquiéter l’anthropologue très enthousiasmé par les progrès de ChatGPT et peu perturbé par ses potentiels dangers. «Le défi posé par l’intelligence artificielle pourrait aussi conduire à une meilleure compréhension et à une redéfinition de ce que signifie être humain. Si le fait d’incarner l’entité la plus intelligente cesse de nous appartenir, l’accent de notre épanouissement pourrait se déplacer vers une réalisation d’ordre supérieur de notre être social par le truchement d’un développement de l’empathie, de notre disposition à l’entraide, une régression de l’animosité et du penchant à la rivalité, une qualité améliorée de notre capacité d’expérience subjective». Si c’est cet horizon que nous promet l’intelligence artificielle, pourquoi en effet s’inquiéter?
(1) L’Avènement de la singularité. L’humain ébranlé par l’intelligence artificielle, par Paul Jorion, Textuel, 128 p.«La croissance technologique devient incontrôlable et irréversible, entraînant des changements imprévisibles.»
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