Daniel Pennac clôt la saga Malaussène: Tout le monde descend!
Avec Terminus Malaussène, Daniel Pennac met un point final à sa saga familiale truculente, jubilatoire et un peu cinglée, entamée quarante ans plus tôt avec Au bonheur des ogres.
A 78 ans, parce que le temps file et qu’il a envie d’écrire autre chose, Daniel Pennac, prix Renaudot 2007 pour Chagrin d’école, également scénariste pour le cinéma, la télévision et la bande dessinée, met un terme à sa savoureuse saga familiale avec un huitième et dernier volume, Terminus Malaussène (1). La suite de Le Cas Malaussène 1 ne déroge pas à l’ ADN de la série. Un mort, une naissance, la crise d’épilepsie du chien Julius… pour un final explosif sur fond d’enquête sur un (faux) enlèvement, le tout gravitant autour de Pépère, un sacré lascar, personnage principal que l’auteur décrit comme «l’incarnation de la méchanceté de notre époque». Rencontre.
Un romancier, si imaginatif soit-il, n’aura jamais assez d’imagination pour être plus sidérant que la réalité.
Récemment, un proche nous disait que lire les Malaussène l’avait aidé à traverser une période difficile. Comme un moment d’évasion. Lorsque vous avez commencé votre saga, aviez-vous en tête cette notion d’échappatoire?
J’ai commencé à écrire Au bonheur des ogres en 1982. A l’époque, faire du narratif et s’en satisfaire était une sorte de péché intellectuel. Or, je pense profondément et structurellement que l’homme, depuis Homère et bien avant, a besoin du récit pour percevoir le monde dans toutes ces ambivalences. Le roman est un genre liquide, il envahit toutes les surfaces et se nourrit principalement de l’ambivalence de l’espèce et de la complexité des choses. Là où l’essai prétend saisir de façon irrévocable le sens, il est dépassé par le réel dès qu’il s’imagine produire une explication définitive.
Enfant, vous avez passé huit ans dans un pensionnat. Cette famille dysfonctionnelle des Malaussène est-elle née, inconsciemment, de votre passage à l’internat?
Pour que la vie en groupe ne soit pas infernale, il faut transformer le groupe en tribu avec des codes communs. Rendre la vie collective vivable et me préserver assez de solitude pour pouvoir lire et jouir du silence de la lecture furent les deux pôles de mon enfance. Alors oui, pour revenir à votre première question, avec la tribu Malaussène, j’essaie de calmer les angoisses, de désamorcer les certitudes et les convictions. Sinon, ça fait des morts.
Ce champ des possibles que vous évoquiez doit être un sentiment exaltant pour l’auteur. Comment le verbalisez-vous?
Récemment, en France, un groupe privé de maisons de retraite a fait l’objet d’une enquête parce qu’on s’est aperçu que les pensionnaires y étaient maltraités (NDLR: le scandale Orpea). Sachant que l’affaire allait sortir dans la presse à la suite de la publication d’un livre dénonçant les faits (NDLR: Les Fossoyeurs, de Victor Castanet), le directeur général a revendu ses actions. C’est ça le réel. Un romancier, si imaginatif soit-il, n’aura jamais assez d’imagination pour être plus sidérant que la réalité.
Vous faites écho à ce scandale dans les Ehpad à travers Pépère, le personnage principal de Terminus Malaussène. Mais vous abordez également un autre thème, celui du trafic des joueurs de football brésiliens. Un clin d’œil à vos années passées dans le Nordeste, la côte Atlantique nord brésilienne?
Ces deux années où j’ai accompagné ma femme en poste à l’université Ceará à Fortaleza furent incroyablement jouissives. J’avais beaucoup travaillé précédemment et là, pendant deux ans, ce fut hamac, promenades, pétanque avec les gens du coin et petite caïpirinha le soir. Quant au trafic, j’avais eu vent de ce mode de recrutement de jeunes joueurs qui étaient achetés aux familles. Les modes d’adoption étaient bidouillés, les jeunes étaient flanqués dans des espèces de pensionnats de foot puis on les virait s’ils n’étaient pas doués. Dès qu’on approche l’univers du football, on est rarement dans l’angélisme. L’idée du roman dans le roman m’a permis d’économiser le chemin de croix de l’enquête, que l’on retrouve dans tous les romans noirs, et de la résoudre. Sans rien dévoiler, c’est parce que la juge Verdun lit par hasard le bouquin de ce type qu’elle voit l’explication à l’assassinat de ce pauvre garçon pendu dans sa prison avec un bas de contention.
Là, je suis furieux et angoissé. Je me dis que si je n’écris plus, c’est parce que c’est de la merde et que ça l’a toujours été.
Vincent Patar (Panique au village, Pic Pic et André…), avec qui vous avez collaboré sur Ernest et Célestine, a souhaité, par notre intermédiaire, vous poser une question. Le réalisateur souhaite savoir si vous avez des horaires de travail stricts ou si, à l’inverse, vous êtes comme Simenon à laisser infuser une idée de roman avant de vous enfermer et de l’écrire en 48 heures?
Henry Miller a donné le conseil suivant à son ami Gerald Durrell: «Quand tu écris et que tu es sur un bon filon, ne l’épuise pas en écrivant 48 heures d’affilée. Arrête-toi toujours dans un moment d’enthousiasme, va te coucher ; l’exaltation fera que tu te réveilleras excité et tu te remettras directement au travail.» Quand ça marche, j’applique le conseil de Miller. Sauf que ça ne fonctionne pas toujours. Et il peut se passer une semaine sans que j’écrive une ligne. Là, je suis furieux et angoissé. Je me dis que si je n’écris plus, c’est parce que c’est de la merde et que ça l’a toujours été. Je me raconte des histoires et ça fait marrer ma femme (sourire).
La voix de Pennac
Quiconque a écouté l’auteur lors d’une émission radio ne peut qu’ être conquis par sa voix chaude, ronde, douce, rassurante et bienveillante. Parallèlement à Terminus Malaussène, Gallimard sort Au bonheur des ogres, premier volume de la saga en livre/disque, lu par Daniel Pennac lui-même. «Je préfère de loin lire les autres que me lire moi-même», avoue-t-il pourtant. Quid de son rapport à la voix? «J’ai surtout pratiqué la littérature à haute voix avec des élèves qui étaient en grande difficulté scolaire et fâchés avec la lecture. Pour les réconcilier avec la littérature à voix basse, je transitais par la littérature à voix haute. Les enfants un peu cabossés n’ont pas spécialement envie d’entendre. Ce qui caractérise le gosse destroy à l’école, c’est la peur. Le môme a la trouille d’être défini comme le crétin de service. Par conséquent, il faut le rassurer. Et pour le rassurer, il ne faut pas élever la voix.» CQFD!
Au bonheur des ogres, écrit et lu par Daniel Pennac, collection Ecoutez lire/Gallimard.
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