Pourquoi les cicatrices sont les signatures de notre vie
Le sociologue David Le Breton scrute les différents types de stigmates sur la peau, subis ou délibérés, et décrit les problématiques qu’ils induisent.
Elles sont subies ou voulues, acceptées ou rejetées, un moindre mal ou même un atout: les cicatrices font partie de la vie et disent ce que nous avons vécu et ce que nous sommes devenus. Avec la profondeur et la subtilité qui caractérisent ses travaux, David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, présente les problématiques qu’elles induisent dans Cicatrices. L’existence dans la peau. Car elles sont rarement anodines.
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Leur origine oriente souvent la façon dont elles seront appréhendées et cette perception peut évoluer avec le temps. Ainsi, le nombril, la première cicatrice, est-il «devenu en à peine deux décennies un signe d’identité, une sorte de bijou naturel, un lieu de préoccupation pour la mise en valeur de soi». D’autres scarifications ont disparu de la plupart des sociétés. Il en va ainsi des signes d’infamie allant jusqu’à la mutilation qui frappaient les esclaves, les criminels, les prisonniers et qui les écartaient de la société civile. Ou tendent à se faire rares, comme les inscriptions rituelles dans les communautés traditionnelles, qui sont de plus en plus désinvesties socialement. Certaines, en revanche, sont apparues ou se sont popularisées avec d’autres objectifs. Dans le domaine artistique avec le body art. Comme outil d’affirmation de soi, via le traditionnel tatouage ou, désormais tendance, la scarification à visée esthétique.
«Ces morsures, cette confrontation à la dureté du monde, attestent que nous sommes vivants.»
La cicatrice délibérée est cependant souvent le signe d’une souffrance. En prison, «on ouvre sa peau faute d’ouvrir les murs» comme le font nombre de détenus. Chez l’adolescent, elle offre une manière de s’opposer à sa détresse et a le pouvoir paradoxal d’apaiser: «En fixant la souffrance sur le corps en un lieu précis, les scarifications autorisent la poursuite de l’existence en transformant le jeune en acteur de la douleur qu’il s’inflige et non plus en victime des vagues de souffrance qui l’assaillent», décrypte David Le Breton. Plus douloureuse, la cicatrice survenue dans un contexte d’agression ou de guerre «enkyste un traumatisme qui se réveille à chaque regard sur soi ou à chaque question des autres».
«Les cicatrices sont les hauts lieux cutanés de notre sentiment d’identité et de la reconnaissance de notre personne par les autres, soutient l’auteur. […] Ces morsures, cette confrontation à la dureté du monde, attestent que nous sommes vivants. Elles deviennent des sortes de signatures de notre vie.»
(1) Cicatrices. L’existence dans la peau, par David Le Breton, Métailié, 246 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici