Quand le bronzage était signe de réussite
En racontant l’obsession de sa mère pour l’exposition au soleil, la philosophe Margaux Cassan décrit une époque et, aussi, la quête d’une identité acquise.
«Ma chérie, tu as pu profiter du soleil quand même?» Sa mère étant une obsédée du bronzage, la philosophe Margaux Cassan décortique cette addiction dans Ultra violet (1), à la fois récit familial intime et étude d’un phénomène de société. Il est en partie révolu. Le livre commence par la découverte sur le front de la maman d’une «tache violette» qui s’avérera cancéreuse. Des études ont amplement démontré le lien entre exposition aux ultraviolets et cancers de la peau, multipliés par trois entre 1980 et 2018. Bronzer sans retenue n’est plus aussi tendance que cela pouvait l’être. C’est donc aussi «le déclin des Rastignac du soleil» que conte Margaux Cassan.
Car pour Gabrielle, sa mère, le soleil était un synonyme de bonne santé et le signe d’une vie réussie. Le succès du publicitaire Jacques Séguéla, à propos duquel un article disait que «la peau tannée par les aventures est l’étendard et la promesse d’un parcours riche en expériences, en péripéties, et en risques», en était pour elle la démonstration éclatante. «Elle se rechargeait au soleil. […] J’étais la seule à avoir compris qu’il lui conférait des superpouvoirs», note l’autrice. Les séjours dans la maison de campagne ou les vacances au Maroc étaient donc l’occasion pour la famille de passer des heures sous les rayons de l’astre chaleureux ou, en son absence, sous ceux d’un banc solaire. L’époque était celle des Bronzés, le film, et des solariums.
«Avec le bronzage, l’identité première s’efface au profit d’une identité acquise.»
Encore aujourd’hui, «il y a quelque chose de paradoxal dans l’action de bronzer: maintenant, en le faisant, nous savons que nous affectons potentiellement notre santé, analyse Margaux Cassan, et dans le même temps, nous sommes persuadés qu’elle nous permet de regagner des forces». Pourquoi ce besoin persiste-t-il malgré tout? Pourquoi pendant que Gabrielle «se brûle pour devenir une femme noire, sans l’héritage symbolique et historique que cela représente, les femmes noires, elles, s’abîment à devenir blanches»? L’autrice d’Ultra violet esquisse un début de réponse: «Avec le bronzage, l’identité première s’efface au profit d’une identité acquise et identifiée.»
Margaux Cassan a été soumise à cette injonction permanente de s’abandonner à ce soleil qui rend ceux qui s’y exposent à la jeunesse tout en les rapprochant de la mort. Apparemment, il n’a pas été simple de s’y soustraire. Ultra violet fait-il partie du processus de thérapie?
(1) Ultra violet, par Margaux Cassan, Grasset, 216 p.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici