Avec Vivance, David Lopez réhabilite l’ordinaire
Après l’inspiré Fief, grand roman sur le temps qui ne passe pas et prix Livre Inter 2018, David Lopez récidive avec l’inspirant Vivance qui revendique la disponibilité de l’esprit comme outil de résistance.
Lire Fief – plus de 90 000 exemplaires vendus – cinq ans après sa sortie, c’est se retrouver dans une sorte d’entre-deux, comme une métaphore de la société d’aujourd’hui, et découvrir in fine ce qui a amené David Lopez à Vivance (1). «Une phrase du roman dit qu’il y a trop de bitume pour être campagnard et trop de campagne pour qu’on soit citadin. On n’est ni l’un ni l’autre. Ni bourgeois ni caillera. Et au final, personne ne bouge», sourit l’auteur, rencontré autour d’un café-clopes à deux pas de la gare du Midi, à Bruxelles.
La vivance, c’est cet état où tu es impliqué émotionnellement dans quelque chose.
A travers ce récit racé et autobiographique où une bande de potes trompe l’ennui en fumant des pétards tandis qu’un boxeur manque de foi comme de panache, David Lopez exprime finalement beaucoup sur le quotidien des habitants de ces villes encastrées entre banlieue et campagne. Le verbe, la verve, l’humour, les mots séduisent grâce à une langue parlée et écrite à la première personne sans tiret ni guillemets pour les dialogues. Soit une salve extrêmement vivante, verte et truculente, en direct de la rue et des emprunts au Voyage au bout de la nuit de Céline, au Robinson Crusoé de Daniel Defoe sans oublier une relecture extrêmement drôle du Candide de Voltaire.
Tout cela posé, Vivance confirme l’insolent talent de celui qui est né et a grandi à Nemours, en Seine-et-Marne, ville des rappeurs du groupe Narkotic (lire l’encadré ci-dessous). Ce deuxième roman, sans doute plus intime, introspectif, est aussi autobiographique puisque, comme son narrateur et ses pérégrinations sur son vélo nommé Séville (le nom du vrai vélo de l’auteur), David Lopez n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il enfourche son deux-roues pour brûler l’asphalte qu’il écrit d’ailleurs «la sphalte». Histoire, sans doute, de se réapproprier la langue.
L’enfant du rap
A 37 ans, David Lopez a déjà eu plusieurs vies. S’il est encore président du club de boxe local et qu’il écrit depuis toujours, c’est dans le rap qu’il tombe dès l’âge de 14 ans. «J’ai commencé à rapper avec un petit frangin d’un membre de Narkotic, groupe d’anthologie de la ville, et j’ai joué dans de véritables coupe-gorge. J’ai écrit beaucoup de textes. Je ne le dis pas parce que je suis en Belgique mais… le plus fort, c’est Damso. Textuellement et éthiquement. Médine est très fort aussi. Et Vald, que j’aime beaucoup.» Le dernier concert? «Ziak, mais les gamins filmaient tout le show. Du coup, tu n’es plus dans cet état ponctuel de la vivance.» De fait!
Regarder, sans jugement
Vivance est, pour dire les choses simplement, un pur plaisir littéraire. A l’inverse de Fief, un roman sur le temps qui ne passe pas, Vivance est une invitation fine, oblique et décalée à regarder le monde autrement et, surtout, c’est le noyau du livre, à être acteur de sa vie. «Mes potes de jeunesse étaient dans une revendication d’un état marginal et antisystème qui est souvent très posturale, à l’exception de certains. Mais les « certains » auxquels je pense sont soit rangés pour un métier conventionnel, soit partis en taule ou au cimetière. Cette « vivance » qui est au cœur du livre n’est pas quantifiable. J’étais très rétif aux questions du genre « Qu’est-ce que tu fais dans la vie? », parce que la vie ne se résume pas à un métier, à une belle maison quatre façades ou à une bagnole. La vivance, c’est cet état où tu es impliqué émotionnellement dans quelque chose.»
Tant que je suis seul dans le silence et dans la nature, ça me va.
Lors de ses étapes à vélo, David Lopez se cache derrière son narrateur pour réhabiliter l’ordinaire avec un sens de l’observation aussi délicieux qu’aiguisé. «Beaucoup de phrases du livre sont issues de mes écrits sur la route et je pense partager de façon beaucoup plus brute ma manière de poser les yeux sur les choses que je regarde avec beaucoup d’affection et d’émotion. J’ai une formation de sociologue, mais je n’analyse pas. Je regarde. Le regard sociologique est propice quand il est sans jugement. J’aime porter ce regard, surtout sur les gens chez qui il n’y a pas de prénotions.»
Hymne à la vie
Ses phrases sont souvent courtes. Sèches. Brutes. La mort y côtoie la vie et inversement. Mais rassurez-vous, Vivance, qui s’achève par une gigantesque tranche de rire, est avant tout un hymne à la vie. Ou comment la disponibilité d’esprit que lui procurent ses sorties cyclistes protège le narrateur d’une société qui «veut mettre dans la tête des jeunes d’aujourd’hui une proactivité perpétuelle dans laquelle on se rend maître de sa vie ou de son destin».
L’aspect contemplatif de Vivance est à chercher aussi dans les plaisirs simples d’une rencontre, dans la beauté formelle d’un paysage, dans le sourire d’une serveuse ou dans le fait d’avoir, écrit David Lopez, «un vieillard pour seul spectateur, porté là à scruter le vent». Lopez peut se montrer plus mordant et acide lorsqu’il évoque Noël, un homme seul un peu pathétique… On n’en dira pas plus, au risque de spoiler. Mais la fulgurance du texte, c’est lorsque le narrateur se fait mal sur sa bécane en s’attaquant au Ventoux. «J’ai grimpé le Galibier en 2019, la veille de l’étape du Tour de France, et le Ventoux, je l’ai fait deux fois. En montée sèche, c’est le plus dur. La douleur? C’est le passage obligé pour l’ accomplissement. Une phrase du rappeur Kaaris dit qu’il n’y a pas de montagne, uniquement des sommets, et je suis assez d’accord. J’y vais. Comme dans un combat. Je gémis, je parle mal et même si parfois je dis à la montagne que je vais la niquer, je dois l’honorer. Mais quand même, il y a une existence à côté du vélo. Tant que je suis seul dans le silence et dans la nature à chercher un bord de rivière ou une clairière dans un bois pour y passer la nuit, ça me va.» C’est qu’il nous ferait pousser la chansonnette, David: «Quand on partait de bon matin/Quand on partait sur les chemins…»
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