L’histoire du patrimoine culinaire belge: comment est né le combo moules-frites
Durant l’été, Le Vif plonge dans l’histoire de notre patrimoine gourmand. Cette semaine, on s’intéresse au célèbre moules-frites, présent toute la belle saison dans nos restaurants.
Pour tout savoir sur le monument de la gastronomie belge qu’est le plat de moules, poussons la porte de l’une des institutions dédiées à ce mets fumant: Chez Léon. Kevin Vanlancker, sixième génération à la tête de l’établissement, connaît l’histoire de cette spécialité comme personne: «Le restaurant d’en face, Aux armes de Bruxelles, a été le premier à importer les moules dans le quartier de l’Ilot Sacré, dans les années 1920. Mais c’est en 1958 qu’elles ont fait un tabac, lors de l’Expo universelle. A partir de là, le Belge en est devenu très friand, spécialement des zélandaises.»
A cette période, le combo moules-frites n’existe pas encore. Traditionnellement, les coquillages sont servis accompagnés de pain gris. Jusqu’à ce qu’un restaurateur décide de tenter quelque chose. «Comme Chez Léon était une “friture”, on a décidé de créer “la spéciale” et de servir les marinières avec des frites. Jacques Brel est d’ailleurs venu manger chez nous et a ensuite chanté le célèbre “On ira manger des moules et puis des frites, des frites et puis des moules, et du vin de Moselle”.» La machine est lancée et la préparation apparaît au menu de nombreux établissements. «Aujourd’hui, “la spéciale” est toujours à la carte même si, aux yeux des clients, elle n’a rien de particulier puisqu’il s’agit d’une marinière avec des frites et que c’est entré dans les habitudes. Mais on a souhaité garder le nom historique», poursuit Kevin Vanlancker, fier de cette invention maison que revendique pourtant aussi le nord de la France. Chaque année, lors de la grande braderie de Lille, la tradition veut que le plat soit largement consommé tout au long du week-end par les visiteurs. Et il n’existe pas de réel consensus historique à ce propos.
Auparavant, il n’y avait pas de camions frigorifiques. C’est de là qu’est née la rumeur des mois en « bre ».
Belgique et France se disputent d’ailleurs également l’origine des frites. Chez nous, la légende raconte qu’elles sont nées à Namur. A l’époque, les habitants de la ville étaient habitués à pêcher du poisson dans la Meuse et à le frire. Un hiver, alors que le fleuve avait gelé, ils ont coupé des pommes de terre en forme de poisson à la place. Ainsi seraient nées les frites. En réalité, la véritable origine, et cela nous coûte de l’admettre, se trouverait plutôt de l’autre côté de la frontière. Selon plusieurs historiens de la gastronomie, la frite aurait été créée à Paris, à la fin du XVIIIe siècle. Des vendeuses de beignets auraient eu l’idée de faire frire des tranches de pomme de terre puis de les vendre sur le pont Neuf.
Le plat revisité de…
Une chose est sûre, le finaliste belge de Top Chef 2022, Arnaud Delvenne, a un parcours atypique. D’abord serveur au Menta e Rosmarino, à Liège, puis manager d’un Quick, il fut également cuisinier dans une prison, avant d’ouvrir son restaurant, L’atelier du goût, puis d’être le chef du Moment, tous deux dans la Cité ardente. Lors de sa participation au programme télé français, il a revisité à deux reprises le traditionnel moules-frites. Un mets qui lui tient particulièrement à cœur, car il lui rappelle sa maman. «Je pense que pour tous les Belges, c’est un plat qui a bercé leur enfance, tout comme la pêche au thon, raconte-t-il. Ma mère avait l’habitude de les préparer marinières avec des carottes, du céleri et des oignons. Ce que j’aimais surtout, c’était sa mayonnaise, légèrement liquide. On mangeait ça avec de bonnes frites et c’était super.» Pour le chef, il s’agit du plat parfait à repenser: «C’est populaire, facile et il met en valeur nos produits du terroir. Il me plaît beaucoup. J’ai vraiment aimé le réinterpréter. C’était une façon de le rendre plus travaillé, plus gastronomique.» Pour y arriver, Arnaud Delvenne s’est penché sur ses goûts, ce qu’il avait envie de retrouver dans cette préparation. «J’ai décidé de faire des chips au vinaigre, avec une marinière montée au beurre et à la crème pour amener un peu d’acidité et de gras. J’ai voulu aussi jouer sur les textures, car le moules-frites, c’est du mou avec du mou. Là, j’ai vraiment essayé d’utiliser tous les aspects intéressants des ingrédients.» Tout a été réfléchi afin de donner une touche de modernité à la recette traditionnelle. «Au lieu de mettre de la mayonnaise, j’ai choisi l’aïoli pour rajouter un côté piquant. Les chips plutôt que les frites permettent aussi d’un alléger un peu le plat.» Qu’en pense Léon?
Nono, 22 place du Vingt-Août, à Liège.
Retrouvez la recette sur levifweekend.be
Le charme des zélandaises
Mais revenons aux moules… S’il s’agit d’un plat typiquement belge, nous avons tendance à préférer les zélandaises et, surtout, à les manger «en pleine saison». Une notion à nuancer, selon notre chef bruxellois: «Auparavant, il n’y avait pas de camions frigorifiques. C’est de là qu’est née la rumeur des mois en “bre”, selon laquelle la saison des moules s’étend de septembre à décembre. En vérité, il ne s’agissait que d’une question de conservation. Forcément, des moules envoyées à dos d’âne en plein mois de juillet n’arrivaient pas en bon état. Il fallait attendre que les températures baissent pour commencer à en amener depuis la côte jusqu’à la capitale. La vraie saison pour en manger se situe en fait entre mi-juin et janvier.»
Avant d’arriver dans nos assiettes, nos «Hollandaises» préférées doivent passer trois mois dans les eaux de là-bas si elles veulent bénéficier de l’appellation. «Certains grands groupes parviennent à avoir des moules un ou deux mois avant le début de la saison, parce qu’avec leurs paquebots, ils vont les chercher ailleurs et leur font faire trempette trois mois en Zélande. Mais normalement, une vraie moule de Zélande aura passé toute sa croissance là-bas», insiste Kevin Vanlancker, rappelant que la qualité a son coût…
Selon l’Observatoire de la consommation alimentaire, le prix de ces mollusques a pratiquement doublé entre 1999 et 2009. Pas étonnant que le tarif du moules-frites grimpe lui aussi en flèche, surtout en Belgique. «Auparavant, on achetait des moules de toutes les tailles. Depuis quelques années, les Néerlandais ont créé la calibreuse, qui trie les moules par taille et le prix est fixé selon ce critère. Les clients aimant les calibres plus grands, ça me coûte plus cher», déplore le patron de Chez Léon, qui voit une conséquence sur ses ventes. Et d’ajouter: «Il y a dix ans, je vendais deux casseroles de moules pour un steak. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On est passés de trente à quinze tonnes par mois.» Si une chute de la consommation se fait sentir, les moules restent malgré tout un classique de la cuisine belge. Avec ou sans frites, la question ne se pose pas.
Un article de Shirine Ghaemmaghami.
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