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Le personnage de fiction préféré de Guillermo Guiz: «Omar Little, parce que c’est l’outsider flamboyant»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Super-héros, aventurière, salaud, battante, loser, grande âme… Quel est votre personnage de fiction préféré? Chaque semaine, une personnalité se prête au jeu. En révélant beaucoup d’elle-même.

Il dit qu’il était «vraiment un enfant des films, un enfant de la télé». Aujourd’hui encore: «Le temps que je passe devant des fictions, dans ma vie, c’est effrayant.» Chroniqueur radio, humoriste et étoile toujours davantage montante du stand-up, Guillermo Guiz a sans doute partagé plus avec des personnages qui n’existent pas qu’avec les vraies gens qui gravitent autour de lui. Parmi les premiers, c’est Omar Little, de la mythique série télé américaine The Wire (cinq saisons, entre 2002 et 2008), qui est son favori depuis vingt ans. The Wire raconte «le quotidien des trafiquants de drogue à Baltimore, celui des quartiers les plus compliqués de la ville et celui de la police. Elle est considérée comme un chef-d’œuvre, sociologiquement fabuleuse et d’une écriture incroyable. C’est l’anatomie d’une ville, où il y a beaucoup, beaucoup de problèmes.» Et où Omar, gangster gay, dézingue les dealers. Souvent seul, toujours en longue gabardine, avec gilet pare-balles, fusil gros calibre et en sifflant The Farmer in the Dell (la comptine Le Fermier dans son pré) pour s’annoncer.

Si tu n’arrives pas à être à la hauteur de tes modèles, tu deviens une version un peu délavée de ce que tu aurais aimé être.

Pourquoi Omar Little?

De tous les livres que j’ai lus, films que j’ai vus et séries que j’ai suivies, c’est un des personnages qui m’a le plus marqué. Au point que j’ai l’une de ses citations tatouée sur un bras: It’s all in the game («C’est le jeu»). The Wire, c’est ma série culte, je l’ai vue trois fois, les cinq saisons. Et l’acteur qui joue Omar, Michael K. Williams, mort il y a un an et demi, joue aussi dans mes deux autres séries préférées, Les Soprano et Boardwalk Empire. Omar, il m’a fait chialer, il m’a exalté, j’étais heureux de le revoir à chaque fois. Pas forcément le personnage central, mais au cœur du dispositif. Une espèce de grand méchant loup pour les dealers de Baltimore. Un gangster, impitoyable, mais qui agit avec un vrai code, qui est droit, juste. Les antihéros, dans l’histoire de la fiction, ça a quand même toujours été ça le plus intéressant. Walter White, dans Breaking Bad, Tony Soprano dans Les Soprano…: ils ne font pas le bien mais on sent une humanité en eux, des fêlures, une lumière. Et ils sont intelligents. Avec la bonne répartie au bon moment, comprenant bien les situations. Ça m’impressionne toujours, ça. Ce sont des outsiders mais flamboyants. Et Omar, pour ça, est vraiment incroyable. En marge, aussi vu son homosexualité, dans un milieu très viril. Un personnage particulier. Différent. Donc, touchant. Il est d’ailleurs devenu une référence culturelle. Barack Obama a affirmé que c’était aussi son personnage de fiction préféré!

Omar Little est aussi le personnage de fiction préféré de Barack Obama.
Omar Little est aussi le personnage de fiction préféré de Barack Obama. © hbo

Au point, dans la vraie vie, de vous en être parfois inspiré?

C’est difficile de dire à quel point la fiction infuse en nous. La fiction, c’est un plaisir, pas un guide de vie. Omar n’a pas peur de manier le fusil et s’il faut tuer, il tue ; ce n’est quand même pas mon cas. Mais si ses valeurs et sa cohérence m’ont autant touché, c’est peut-être qu’elles sont un idéal qui m’habite aussi mais que je n’arrive pas forcément à atteindre. C’est dur, dans la vraie vie, d’être toujours en adéquation avec ses idées et de faire face à toutes les conséquences de ce qu’une prise de position peut provoquer. Dans The Wire, il y a d’autres personnages, avec des valeurs qui me correspondent et d’autres armes qu’un fusil à pompe. Des humains qui parlent à des humains, sans se comporter forcément comme le règlement l’impose, mais comme on le fait quand on est face à une situation où il est question d’êtres humains. Omar est le plus fictionnalisé de la série, tous les autres sont sociologiquement très plausibles et crédibles.

Auriez-vous aimé être Omar dans la vie?

Non, parce qu’il habite dans les quartiers pauvres de Baltimore, il doit rester dans les planques tout le temps, les mecs avec qui il sort se font buter parce qu’ils sont homosexuels, il doit voler, blesser ou tuer pour subsister. Il n’a pas du tout une vie glamour, Omar. Bon, la mienne n’est pas forcément passionnante. Elle est très plan-plan, je ne voyage pas, je ne fais pas de moto, de saut en parachute, des machins comme ça. En fait, la fiction te permet d’aller avec des gens là où tu n’irais pas spécialement seul. Ça veut dire que ça peut rester un fantasme. En général, les héros avec lesquels on a grandi, moi en tout cas, ceux qui ont nourri mon imaginaire, plaisaient aux femmes, multipliaient les conquêtes, étaient courageux, se dressaient contre la tyrannie, ne réfléchissaient pas à leurs doutes, allaient au bout de leur truc. Ce n’était pas juste des gentils et doux. Et à la fin, le bon gagnait toujours contre le méchant. Or, quand tu te confrontes à ça, dans ta vie, tu te dis: «Moi, je veux bien défendre la veuve et l’orphelin, mais je risque de prendre des coups de couteau, là.» Il faut une force de caractère particulière pour se dire «j’y vais malgré tout». On n’est pas forcément très courageux, on n’a pas forcément envie de s’engager. Les moments, les contextes, font que parfois, ben, t’es pas un héros. Un personnage de fiction peut influencer ta vie, mais il peut aussi te mettre une pression parce que, toi, tu as moins de courage ou tu ressens moins l’envie d’être confronté aux conséquences. Et si tu ne le fais pas, tu as l’impression d’être une merde. Tu es déçu de toi. Si tu n’arrives pas à être à la hauteur de tes modèles, tu deviens une version un peu délavée de ce que tu aurais aimé être. La fiction, surtout pour quelqu’un comme moi, plutôt introverti, solitaire, c’est super parce qu’elle véhicule des valeurs comme la droiture, la cohérence, la loyauté, et je pense que ce sont de bonnes valeurs, mais est-ce que je le pense parce que je les ai vues en fiction ou parce que ce sont mes propres valeurs?

Omar, c’est une espèce de grand méchant loup pour les dealers. Impitoyable, mais juste.

Y a-t-il un personnage fictif que vous auriez voulu être, en vrai?

Il y en a plein auxquels je me suis identifié mais sans pour autant vouloir être eux dans la vie. Tyler Durden, joué par Brad Pitt, dans Fight Club. Le mec libre, beau gosse, corps incroyable, qui s’en fout de l’argent, vit à fond, rock’n’roll… Une icône. Quand tu as 18 ans et que tu découvres ce film, tu prends une tarte. Mais après, va-t-en vivre vraiment comme Tyler Durden! Ou comme De Niro dans Heat, le Keyser Söze (NDLR: incarné par Kevin Spacey) de Usual Suspects, George Clooney dans Out of Sight, Di Caprio dans Le Loup de Wall Street – même si on vomit les valeurs qu’il incarne. Des flamboyants, des fous, des têtes brûlées, qui osent tout, à qui tu as envie de ressembler. Des personnages qui t’ont façonné, que tu retiens. Tu ne retiens pas Didier Bourdon dans Les Trois Frères. Ce n’est pas à lui que tu veux t’identifier. Ni à Woody Allen, dont j’ai pourtant adoré les films. On s’identifie plutôt à cette espèce d’archétype de mecs sûrs d’eux, virils… Les films de Scorsese, de mafia, de braquage, j’étais vachement là-dedans. Mais je n’ai pas envie d’être un des personnages qu’on y retrouve. C’est plutôt le fait de s’y attacher, surtout ceux des séries. On est connecté, émotionnellement. Parfois beaucoup plus qu’à des amis, parce qu’on est dans la vie de ces personnages, qu’on suit jusque dans leur intimité, et ce n’est pas le cas des gens autour de soi, qui ont leur vie, où la porte se ferme à un moment donné. C’est ça qui explique la connexion très forte avec un personnage de fiction que tu aimes: tu le suis jusque dans ses états d’âme. Comme avec Omar Little dans The Wire.

Guillermo Guiz
Guillermo Guiz © belgaimage

Bio express: Guillermo Guiz

Naissance le 23 novembre 1981, à Etterbeek (Bruxelles). Journaliste, chroniqueur, humoriste, stand-upper, DJ, oiseau de nuit, don Juan et ex-grand espoir du foot belge, il perd sa mère à 17 ans. Il est élevé par son père et est orphelin à moins de 30 ans. Démarre sa carrière sur les planches en 2013, alors qu’il est encore, entre autres, free-lance à Focus Vif. Son humour très perso, entre autodérision, grivoiserie, dissection de la société et missiles à tête nucléaire, le fait cartonner, en Belgique et en France, en radio, en télé et sur scène. Prochain spectacle – son troisième – début 2024.

Bio express: Omar Little

Naît dans les années 1950, à Baltimore (Maryland), où il meurt à 34 ans. Orphelin, il est élevé par sa grand-mère, Josephine, qu’il escorte chaque dimanche à l’église. Braqueur, «électron libre qui vogue entre le bien et le mal» comme résume S!ck, le «magazine cross-culture», c’est un hors-la-loi mais qui ne s’attaque qu’aux dealers. Gay, tranquille et redoutable, capable de pactes ponctuels et temporaires, dégaine incroyable, balafré, intarissable source d’inspiration pour le rap, c’est l’un des personnages les plus charismatiques de l’histoire des séries télé.

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