UN NOVEMBRE ROUGE À BRUXELLES ?

Les photos de l’entrée triomphale à Bruxelles de la famille royale le 22 novembre 1918 ont marqué la mémoire collective belge. Le récit sur la sortie de guerre se limite souvent à ces images d’unité nationale. Or, le roi se réinstalle dans une capitale qui vient de vivre deux semaines mouvementées.

Siège d’une importante administration allemande et point de passage inévitable pour les troupes allemandes qui se retirent du front occidental, Bruxelles est en ébullition depuis la mi-octobre 1918. Dès le 30, des affiches appellent les soldats à s’opposer à la poursuite de la guerre. Né en Allemagne, le mouvement révolutionnaire gagne ainsi les territoires occupés. Si cette agitation est dans un premier temps peu visible dans l’espace public, tout change le 10 novembre.

Dans l’après-midi, un long cortège composé essentiellement de militaires allemands traverse la ville de la gare du Nord au palais de justice, en passant par la Grand-Place. Un autre cortège libère les prisonniers politiques et les déserteurs de la prison de Saint-Gilles. Les drapeaux impériaux sont remplacés par des étendards rouges, mais aussi par des drapeaux français. Lorsque ce groupe arrive à destination, il comprend au moins 6 000 hommes, Allemands et Belges. Après quelques discours, le cortège se dirige rue de la Régence, ancien siège de ministères belges et centre de l’administration allemande. Des drapeaux rouges sont notamment hissés à la Kommandantur. Les officiers deviennent la cible de soldats qui les dépouillent de leurs signes d’autorité, notamment en leur arrachant leurs épaulettes.

L’effervescence touche aussi la population locale. Son attitude à l’égard de ce mouvement révolutionnaire allemand est ambiguë et hésitante. L’ordre à (r)établir ne fait pas immédiatement l’unanimité. Dans les cortèges qui parcourent la ville le 10 novembre, les drapeaux belges, français et rouges se côtoient souvent. Plusieurs observateurs témoignent de scènes de fraternisation entre soldats allemands et Bruxellois. Mais des réactions de rejet du message universaliste de la révolution sont aussi rapportées.

ON SE SERAIT CRU AU CARNAVAL

Dès le soir du 10 novembre, les mouvements allemand et belge qui ont gardé jusqu’alors une certaine unité formelle, en formant un cortège unique et en utilisant, en partie, le même répertoire de chansons dont La Marseillaise, vont progressivement se dissocier. La Brabançonne, Vers l’Avenir et God Save the King viennent compléter le répertoire belge. La population s’en prend à des kiosques à journaux allemands édifiés à la Bourse, sur la place de Brouckère et devant la Monnaie. Paul Max, journaliste et cousin d’Adolphe Max, le bourgmestre emprisonné de Bruxelles, rapporte dans son journal personnel :  » Une foule considérable a circulé en ville en chantant. On se serait cru au carnaval. « 

Novembre 1918, les soldats allemands quittent Bruxelles, une ville en ébullition depuis la mi-octobre.
Novembre 1918, les soldats allemands quittent Bruxelles, une ville en ébullition depuis la mi-octobre.© AGR, COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES 1914-1918

Le soir même, une première victime belge est à déplorer suite à des affrontements entre soldats révolutionnaires et des troupes restées fidèles au gouvernement impérial. Selon des rapports allemands, ces troubles font entre 30 et 40 morts du côté allemand.

Le lendemain, 11 novembre, les rues retrouvent le caractère noir, jaune, rouge des journées d’août 1914. Dans son journal personnel, le médecin Adolphe Bayet exprime la peur des élites belges face à une éventuelle  » contamination  » révolutionnaire des classes populaires :  » Je sors vers 8 heures. La rue est pavoisée ! Aux fenêtres, le drapeau national […] Vers 10 heures, je descends rue Haute. Je suis curieux de voir si le caractère communiste de la révolution allemande aura eu une répercussion sur le quartier populaire. Dans ma bonne veille rue, il y a une quarantaine de drapeaux nationaux ; pas un seul drapeau rouge à la maison du peuple, ni sur aucun monument public. « 

DES AUTORITÉS SUR LEUR RÉSERVE

Le 11 novembre toujours, le collège communal estime  » qu’il est intempestif pour la population de manifester dès maintenant sa joie. Attendons pour déployer nos drapeaux que les troupes allemandes aient évacué Bruxelles. Défions-nous des avances que nous feraient certains Allemands.  » Mais, dès le matin, des cortèges belges composés essentiellement de jeunes hommes des lycées et collèges parcourent la ville. Ce sont eux qui portent l’agitation nationaliste pendant ces journées.

A côté de la tricolore, la personne du roi se trouve au centre de l’effervescence. Après quatre années passées sur le front, il n’a cessé de gagner en popularité. Dans la soirée, plusieurs magasins allemands sont pillés par des civils belges.

Mais cette première agitation belge est de courte durée. D’abord, des unités impériales sèment la confusion en s’opposant à ces manifestations. Ensuite, une autre violence très brutale commence à s’emparer de l’agglomération bruxelloise. En effet, l’espace urbain passe aux mains de bandes de soldats incontrôlables. Ces jours se caractérisent par un manque de contrôle quasi-total des forces de l’ordre tant allemandes que belges. Une atmosphère de guerre civile s’empare de la capitale.

SCÈNES DE PILLAGE

Les soldats allemands, pour la plupart armés, sont brutalement plongés dans un monde dépourvu de toute autorité militaire. Leurs espoirs d’un futur meilleur s’envolent. Leur arsenal de la violence est en partie celui dont ils disposent sur le front. L’utilisation des mitrailleuses dans une ville caractérisée par de grands espaces et quelques larges boulevards s’avère particulièrement meurtrière. Les scènes de pillages se multiplient, le plus spectaculaire étant le vol de 125 000 francs à la banque Allard, de nouveaux affrontements entre soldats révolutionnaires et loyalistes s’engagent autour de la gare du Nord et font, le 11 novembre, au moins huit tués du côté belge. Certains quartiers de Bruxelles connaissent d’âpres combats. Ce n’est que l’arrivée des troupes alliées à partir du 15 qui met définitivement fin à cette révolution allemande en territoire occupé.

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