A partir de 1919, l'Institut des aveugles de guerre de Boitsfort s'occupe de la rééducation des mutilés aveugles tant militaires que civils. © MUSÉE ROYAL DE L'ARMÉE ET D'HISTOIRE MILITAIRE

TRAUMATISMES : LA CHAIR, LE COEUR ET L’ESPRIT

La violence inédite de la guerre a laissé des traces profondes dans la chair et l’esprit des soldats belges. Plus de 6 000 d’entre eux rentrent au foyer avec un handicap physique ou mental permanent. Pour eux et leur famille commence alors une nouvelle vie.

L’Etat belge est conscient de la dette morale contractée envers ses citoyens que la guerre a définitivement marqués. Dès 1917, le gouvernement décrète un règlement provisoire des pensions d’invalidité tout en organisant la revalidation et la rééducation des mutilés. Il s’agit de leur permettre de récupérer leurs facultés intellectuelles et manuelles afin qu’ils puissent exercer leur profession ou apprendre un nouveau métier. Non seulement ils subviendront de cette manière aux besoins de leur famille mais ils pourront ainsi participer à la reconstruction du pays.

A côté des initiatives gouvernementales se développe aussi un immense élan de charité privée. En Belgique occupée, la comtesse Jean de Merode, trésorière du Comité belge de la Croix-Rouge, met sur pied le Comité aide et apprentissage aux invalides de guerre. Elle investit en 1915 la propriété de la veuve de l’industriel Edmond Parmentier à Woluwe-Saint-Pierre pour y installer des ateliers de rééducation professionnelle pour les soldats mutilés lors des premiers mois de la guerre et qui ne sont pas partis en captivité. Cet institut fonctionnera jusqu’en 1925.

DES RETROUVAILLES DIFFICILES

Quand les invalides rentrent en Belgique à la fin de la guerre, les retrouvailles avec leur famille ignorante de leur état sont souvent difficiles. Le mutilé ou le soldat souffrant de crises nerveuses peinent à se réadapter. La diversité des expériences de guerre vécues par les uns et les autres sont incommunicables. Face aux exigences de la société moderne, les emplois se dérobent aux invalides malgré une rééducation réussie et une législation favorable. Les mutilés craignent d’être cantonnés dans des emplois subalternes. Les malades nerveux en proie à des crises intermittentes conservent difficilement leur place quand les allers-retours à l’asile se multiplient.

Conscient de ces difficultés, le gouvernement crée, en octobre 1919, l’OEuvre nationale des invalides de guerre (ONIG), censée relayer la charité privée. L’OEuvre soutient matériellement (dons, prêts, bureau de placement professionnel), médicalement (accès aux soins, gestion de homes et maisons de santé) et moralement (aide aux familles au cours des pénibles démarches de reconnaissance) les invalides. Son journal L’Invalide belge se charge de répercuter auprès de l’opinion leurs besoins et leurs revendications. Il est aussi la seule voix de ceux qui, emmurés dans les asiles, sont incapables de s’exprimer.

En raison des réticences financières d’un gouvernement confronté à la reconstruction du pays, l’aide privée se poursuit. Organisation de tombolas, vente de cartes postales, concerts de la Chorale et de l’Harmonie royales des militaires mutilés et invalides de la guerre font appel à la générosité du public. A Anvers, en 1923, une société privée (Foyers pour invalides de guerre et autres victimes du devoir) veut apporter une solution au double problème du manque de logements et de secours aux invalides. Elle finance la construction de deux cités-jardins qui leur sont réservées, l’une à Deurne (Cité des héros) et l’autre à Schoten (Schotenhof).

INVALIDES OUBLIÉS

Les invalides, plus encore que les autres anciens combattants, ont besoin de reconnaissance. A côté des pensions, les décorations et insignes qui leur sont décernés doivent témoigner de leur sacrifice face à une opinion publique trop vite oublieuse. En effet, si au cours de la translation du corps du Soldat inconnu à la colonne du Congrès, le 11 novembre 1922, les invalides sont à l’honneur, ils sont absents des monuments commémoratifs. Seuls les héros morts sont honorés. Les statues magnifient le soldat, le déporté, la veuve, la victoire mais jamais l’invalide.

La mutilation ou le traumatisme mental viennent ajouter aux épreuves subies par quatre ans de guerre l’effet du choc psychologique, la persistance de la fatigue, le poids du regard – le sien et celui des autres – porté sur un corps abîmé et un esprit égaré.

Rééducation professionnelle : la Belgique en pointe

Dès avant la guerre, la Belgique se place parmi les pays pionniers dans le domaine de la rééducation professionnelle. Au XIXe siècle, les progrès de l’industrialisation augmentent les accidents qui laissent les ouvriers mutilés ou estropiés. C’est pourquoi dans les années 1870, des écoles d’apprentissage se mettent en place dans le nord de l’Europe. Dans la foulée, en 1908, sous l’impulsion du député Paul Pastur, s’ouvre à Charleroi une Ecole provinciale d’apprentissage et ateliers pour estropiés et accidentés du travail. Quelques années plus tard, en 1914, un institut semblable s’ouvre à Bruxelles. Ces écoles offrent des ateliers manuels et une formation intellectuelle (comptabilité) pour permettre au mutilé de se réinsérer dans la société qui, ainsi, ne perd pas une main-d’oeuvre utile. L’école se donne aussi un rôle moral en voulant arracher l’ouvrier estropié à l’oisiveté. L’exemple belge est célèbre en Europe et l’on vient y chercher un modèle et une inspiration.

Poursuivant la tradition, le gouvernement belge ouvre durant la guerre à Port-Villez (département des Yvelines, en France) l’Institut militaire belge de rééducation professionnelle des grands blessés de guerre. Les invalides y reçoivent une formation obligatoire les menant à la réinsertion professionnelle. Redevenus économiquement rentables, ils ne seront pas à la charge de l’Etat.

Après la guerre, les mutilés dont la formation n’est pas terminée se retrouvent dans les deux écoles existantes ainsi qu’à l’institut du parc Parmentier fondé pendant la guerre par la comtesse de Merode et à l’Institut des aveugles à Boitsfort (Bruxelles).

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