Toutankhamon nous révèle encore ses secrets
Un siècle après sa découverte, le trésor de Toutankhamon reste entouré de mystère. L’égyptologue Dimitri Laboury, de l’ULiège, lève un coin du voile à la lumière de nouvelles recherches, qui suscitent des interprétations parfois controversées.
«Vous voyez quelque chose?», demande avec impatience Lord Carnarvon. «Oui, des merveilles!», bredouille Howard Carter. En cette fin d’après-midi du 26 novembre 1922, au cœur de la vallée des Rois, sur la rive ouest du Nil, l’aristocrate anglais et son compatriote égyptologue se sont approchés de la brèche ouverte dans la porte d’entrée du tombeau de Toutankhamon. L’ air chaud qui s’échappe du caveau fait trembler la flamme de la bougie de Carter. L’archéologue scrute l’obscurité de l’antichambre du sépulcre et devine un bric-à-brac d’objets, «des animaux aux formes étranges, des statues et de l’or, partout le scintillement de l’or!»
Après des années de vaines recherches dans la nécropole thébaine, la septième campagne de fouilles dirigée par Carter et financée par Carnarvon met au jour le legs le plus spectaculaire de l’histoire de l’archéologie: l’hypogée presque intact du douzième pharaon de la XVIIIe dynastie, né vers 1345 avant notre ère et mort à 18 ou 19 ans. La tombe «KV62» (la 62e trouvée dans la King’s Valley) est ouverte officiellement le 29 novembre 1922. La nouvelle de la trouvaille se répand aussitôt à travers le monde. Carter met dix ans à déblayer les quatre pièces – antichambre, annexe, chambres du trésor et funéraire – et à inventorier leurs 5 398 objets, dont le masque funéraire en or du roi, de plus de dix kilos, et le sarcophage de 110 kilos d’or massif abritant sa momie.
Le transfert du trésor au nouveau Grand Musée égyptien est l’occasion de restaurer les objets et de les étudier de plus près.
Toutmania
Un siècle plus tard, le somptueux trésor fascine encore. Depuis 1961, des expositions itinérantes d’objets de la tombe sillonnent le monde. Toutankhamon, son tombeau et ses trésors présente un millier de répliques à Tour et Taxis, à Bruxelles, jusqu’à la fin décembre.
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En Egypte, le trésor, naguère visible au Musée égyptien du Caire, sera exposé au Grand Egyptian Museum (GEM). En chantier depuis dix ans sur le plateau de Gizeh, il devait être inauguré ce mois-ci. Toutefois, seul le complexe commercial du bâtiment à 1,2 milliard de dollars sera accessible aux visiteurs. Les salles d’exposition ne sont pas encore achevées en raison de difficultés techniques et bureaucratiques.
L’ égyptologue Dimitri Laboury, directeur de recherches au FNRS et professeur à l’ULiège, est codirecteur de la mission archéologique belge dans la nécropole thébaine. En 2010, il a publié Akhenaton (éd. Pygmalion), biographie archéologique du royal adorateur d’Aton. De la vallée des Rois à Amarna, le site de Moyenne-Egypte où le souverain réformateur a créé une ville nouvelle, Laboury enquête pour éclairer le règne de ce roi et celui de son fils Toutankhamon.
Un siècle après la découverte du tombeau de Toutankhamon, pourquoi ce pharaon fascine-t-il toujours autant?
Parce que sa tombe est la découverte la plus extraordinaire de l’histoire de l’archéologie, celle qui fait fantasmer tout amateur de l’Egypte antique. Parce qu’elle nous livre une quantité sidérante d’informations sur ce pharaon qui a régné moins de dix ans. Parce que la destinée de ce souverain oublié de l’histoire, victime d’une damnatio memoriae après son règne, est romanesque. Et parce que le destin d’Howard Carter est lui aussi hors du commun. Après la mort prématurée de Lord Carnarvon, en avril 1923, la presse a brodé sur le thème de la malédiction de la momie. En réalité, si «malédiction» de Toutankhamon il y eut, c’est celle dont a été victime Carter, submergé par sa découverte, qui a suscité une folle curiosité et une égyptomania débridée. Retourné en Angleterre en 1932 après dix années passées à vider le tombeau, il est décédé à Londres en 1939, seul, dans l’oubli, rejeté par sa communauté scientifique.
A la faveur du centenaire de la découverte, des accusations ont ressurgi selon lesquelles Howard Carter a dérobé des objets du tombeau.
Il est aujourd’hui avéré que Carter et Carnarvon ont prélevé en douce quelques souvenirs, probablement dès le 26 novembre 1922, lors de leur première visite dans la tombe, non officiellement ouverte. La correspondance de Lady Evelyn, la fille de Carnarvon, y fait allusion. L’ égyptologue et son bailleur de fonds espéraient un bon retour sur investissement. La loi de l’époque prévoyait que la moitié des objets trouvés revenait au découvreur et l’autre moitié à l’Egypte, mais, eu égard à l’importance de la découverte, les autorités égyptiennes ont rendu cet arrangement caduc. La plupart des objets emportés se trouvent aujourd’hui dans des musées américains ou des collections privées. Il y a un siècle, l’archéologie était encore largement une «chasse au trésor» et les fouilles étaient financées par de riches mécènes.
Pourquoi Howard Carter n’a-t-il pas rédigé une publication scientifique du contenu du tombeau?
Carter et son équipe ont accompli un travail remarquable dans la tombe, supérieur aux standards de l’époque. Mais l’archéologue autodidacte n’avait pas les compétences pour mener à bien une publication complète de sa découverte. Ce travail colossal a été entrepris après lui et se poursuit de nos jours. Des spécialistes publient des recherches dans de nombreux domaines. Un collègue néerlandais a analysé les fragments de cuir trouvés dans la tombe. Ils permettent de comprendre comment étaient équipés les chars égyptiens, notamment leurs roues. Une spécialiste allemande a ausculté la verroterie des pièces incrustées. Elle a prouvé que les Egyptiens d’il y a plus de 3 300 ans étaient capables de fabriquer des verres translucides, invention que l’on pensait romaine. Le transfert du trésor de Toutankhamon au nouveau Grand Musée égyptien est l’occasion de restaurer les objets et de les étudier de plus près avec les techniques du XXIe siècle. A ces analyses s’ajoute l’examen de l’ADN des momies de Toutankhamon et de sa famille.
Je ne suis pas ceux qui prétendent aujourd’hui que Toutankhamon était un pharaon difforme et estropié!
Qu’avez-vous déduit de cet examen?
L’un des constats est la présence, dans cette famille, d’une densité génétique inhabituelle. Elle n’est pas due au fait que frères et sœurs s’épousaient, comme on l’a longtemps cru. Cette tradition-là est plutôt celle de la famille de Cléopâtre et des souverains hellénistiques lagides. Aux temps bien plus anciens de la XVIIIe dynastie, trois générations de veuves de pharaons, depuis la grand-mère d’Akhenaton, ont fait épouser à leur jeune fils une de leurs nièces. Cette stratégie matrimoniale des reines mères visait à resserrer les liens entre la famille royale et leur influente famille originaire d’ Akhmîm, en Haute-Egypte. La belle Néfertiti était une nièce de la reine Tiyi, mère d’Akhenaton, donc une cousine germaine de ce dernier, son futur époux.
Que sait-on aujourd’hui de la période mystérieuse qui sépare le règne d’Akhenaton de celui de Toutankhamon?
La fin du règne d’Akhenaton est marquée par une perte de l’influence égyptienne en Syrie-Palestine et une succession de deuils familiaux. Quatre des filles d’Akhenaton meurent, de même que leur grand-mère Tiyi. L’ épidémie de peste qui sévissait à l’époque en est sans doute la cause. Le paludisme faisait également des ravages. Les Egyptiens sont convaincus que leur royaume est victime d’une punition divine. Après les disparitions d’Akhenaton et de Néfertiti, il semble bien que leur fille aînée, Méritaton, soit devenue pharaonne et ait associé à son pouvoir sa seule sœur survivante, tandis que leur petit frère Toutankhamon, héritier au trône âgé de 5 ans maximum, est mis à l’écart en province. Au début de son règne, Méritaton s’inscrit dans la continuité théocratique atonienne, puis amorce un retour aux cultes traditionnels. A sa disparition, durant sa troisième année de règne, Toutankhamon, alors toujours appelé Toutankhaton, ce qui signifie «image vivante d’Aton», accède au trône et reprend à son compte le virage vers le polythéisme, sans doute sous l’influence de ses deux plus proches conseillers et futurs successeurs: Aÿ, père présumé de Néfertiti, et le général Horemheb, alors homme fort du pays.
Le célèbre archéologue égyptien Zahi Hawass estime que c’est plutôt Néfertiti qui, à la mort de son mari Akhenaton, a gouverné l’Egypte pendant trois ans.
La thèse de l’égyptologue français Marc Gabolde me semble mieux étayée. Il a étudié des objets de la tombe de Toutankhamon et a constaté qu’ils doivent être attribués à Méritaton. Cette pharaonne n’a pas été enterrée avec le somptueux mobilier funéraire qu’elle s’était fait préparer. Ces objets ont été réutilisés pour Toutankhamon. Des cartouches et autres hiéroglyphes trouvés dans son trésor ont été regravés: le nom de Méritaton a été remplacé par celui de Toutankhamon. Le pharaon s’est ainsi «vengé» de sa sœur aînée en deux temps: en récupérant la nouvelle orientation politico-religieuse, puis, post mortem, en lui volant son trésor.
L’ étude de sa momie montrerait que Toutankhamon avait les pieds en mauvais état et pouvait difficilement se tenir debout. Il aurait aussi souffert de retard mental, pour cause de consanguinité.
Son bilan de santé n’est pas bon, c’est le moins que l’on puisse dire, mais je ne suis pas de ceux qui prétendent qu’il était difforme et estropié. Cette image ne correspond pas aux radiographies de la momie. Les os manquants du sternum ont été volés par des pillards pendant la Seconde Guerre mondiale avec les restes d’un collier. Le pied momifié un peu déformé de Toutankhamon n’implique pas que le pharaon boitait ou qu’il a été écrasé par un char, comme certains l’affirment. Les centaines de cannes trouvées dans sa tombe ne signifient pas non plus qu’il était boiteux. La canne est l’attribut du chef. De même, suggérer que Toutankhamon était un retardé mental relève de la spéculation. Où sont les preuves?
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