SURCHAUFFE POUR LE MOUVEMENT WALLON
Si la guerre n’a pas entraîné de ralliement en masse aux idées wallonnes, elle les a confortées chez les militants les plus radicaux tandis que d’autres se laissaient séduire par un nationalisme belge – voire même grand belge – auquel ils étaient étrangers avant le conflit. Une vague de radicalisme s’est mêlée à un courant modéré.
Pendant longtemps, on a cru le mouvement wallon largement passif durant la Grande Guerre. La réalité est plus contrastée. Tout au long du conflit, des militants se sont réunis de manière discrète. Des projets ont été formulés et ont circulé sous le manteau. La mise en oeuvre de la séparation administrative par l’occupant allemand a convaincu certains qu’il était impossible de rester inactif. Une poignée s’est investie dans les ministères wallons. Il y a donc eu un activisme wallon même s’il est loin d’avoir eu l’ampleur de ce qui s’est passé au nord du pays.
Tardivement, l’occupant s’est intéressé au mouvement wallon et on peut même parler d’une Wallonenpolitik par laquelle l’occupant envisage la mise en place d’un système confédéral à deux. Des journaux censurés tels L’Avenir wallon et Le Peuple wallon ont également relayé certaines idées défendues avantguerre par le mouvement wallon. Plus importante est la présence de militants wallons à Paris dont le journal, L’Opinion wallonne, subit à plusieurs reprises les affres de la censure. Le point de vue exprimé est celui d’un courant radicalisé qui revendique sans hésitation le fédéralisme, loin des atermoiements d’avantguerre. Il y a certes des convergences entre les revendications formulées en Belgique occupée et en exil mais le contexte est bien évidemment différent.
La déclaration des 14 points du président Wilson va nourrir l’espoir de militants wallons qui se mettent à rêver de voir appliqué à la Wallonie le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le premier choc de la libération ne se fait pas attendre. Dans son discours du 22 novembre 1918, le roi évoque l’égalité des langues et la promesse d’une université flamande à Gand. Chez les militants wallons, ces propos suscitent la colère. Ils estiment que l’attitude de réserve dans laquelle se sont confinés nombre des leurs n’est nullement reconnue et qu’au contraire, le roi évoque les griefs flamands, alors que ce sont » les Flamands » qui se sont compromis avec l’occupant. Ce discours est implicitement perçu comme une reconnaissance, une légitimation de ceux qui ont » trahi » – les activistes flamands (les seuls à être mentionnés par le roi) – et comme une forme de désaveu de ceux qui n’ont pas jugé utile d’agir sous le couvert de l’occupant. Ce sentiment dépasse d’ailleurs les cénacles wallons.
Dès décembre 1918, l’assemblée wallonne se réorganise. Mis à part les groupes régionaux – Liège, Bruxelles et Charleroi -, l’assemblée wallonne en tant que structure centralisée mettra près de quatre mois avant de se réunir, une période mise à profit par les associations les plus radicales pour exprimer des professions de foi fédéralistes très affirmées. Derrière des intitulés à l’apparence très militante, il est bien difficile de connaître l’ampleur d’une mobilisation. A l’heure des premières réunions de l’après-guerre, le vent de radicalisme semble provisoirement l’emporter, comme si la fin de la guerre marquait l’heure de tous les possibles. Le fédéralisme est sur toutes les lèvres et la discussion de fond sur ce concept a enfin lieu.
Mais, au bout de quelques mois et pas moins de sept réunions, la revendication est écartée au bénéfice du courant très modéré qui prône le bilatéralisme – un système qui prévoit que chaque loi devrait être adoptée par une majorité dans chaque communauté linguistique – et la défense de la langue française. Ce revirement s’inscrit pleinement dans l’exaltation patriotique qui suit la Grande Guerre. Tout est fait pour faire oublier les quelques activistes wallons et le fait que c’est l’occupant allemand qui a introduit la séparation administrative, une revendication brandie avant-guerre par le mouvement wallon. Le terme est désormais trop connoté. Quant à ceux qui ont épousé la cause de l’activisme, ils se retrouvent devant les tribunaux et sont condamnés. Les peines prononcées, en majorité par contumace, vont du non-lieu à une peine de vingt ans de détention. Les condamnés sont bien évidemment exclus du mouvement. L’heure est au nationalisme belge et il faudra du temps pour que le fédéralisme sorte du discrédit dans lequel la Grande Guerre l’a plongé.
Jules Destrée
Avant la guerre, Jules Destrée incarne à lui seul le militantisme wallon. Durant le conflit, l’auteur de la Lettre au Roi s’illustre surtout par son engagement à défendre la cause de la Belgique à Londres, Rome et Paris et l’engagement de l’Italie aux côtés des alliés. Dans ses Souvenirs des temps de guerre, plus rien n’évoque ses prises de position wallonnes. C’est tour à tour le parlementaire, le diplomate, l’homme privé qui s’exprime… mais de la Wallonie et de la séparation administrative, il n’est plus question nulle part. A ses yeux, la guerre a révélé l’essence de la Belgique en tant que nation : » En quelques jours, mieux, en quelques heures, sans discussion, sans débats, sans hésitation, d’un élan unanime, la Nation se serre autour de son Roi. Il n’y eut plus ni partis ni querelles ; catholiques, libéraux, socialistes, Flamands ou Wallons n’eurent plus qu’une même pensée, qu’une même résolution : sauver l’honneur et faire face à l’ennemi « . Revenu en Belgique en février 1919, son point de vue n’est assurément plus celui de la Lettre au Roi de 1912 : » Je ne suis pas de ceux auxquels la guerre n’a rien appris « . Le parlementaire carolorégien privilégie son engagement socialiste et devient ministre des Arts et des Sciences. Mais il rêve également d’une grande Belgique et milite au sein du Comité de politique nationale. Il faut attendre 1923 pour voir l’éveilleur des consciences wallonnes progressivement prendre ses distances avec ces propos et s’engager à nouveau dans un combat fédéraliste.
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