Spy, Wéris, Spiennes: sur les traces de la préhistoire en Wallonie
La Wallonie compte plusieurs sites préhistoriques remarquables qui n’ont pas livré tous leurs secrets. Voyage spatio-temporel, en cinq étapes, à la découverte des premiers âges de l’humanité.
Embarquement immédiat pour une virée sur cinq sites préhistoriques de cinq époques différentes. Une expédition jusqu’à 120 000 ans en arrière en compagnie de spécialistes des lieux, paléontologues, archéologues et guides-historiens locaux.
1re étape: il y 5 000 ans, les bâtisseurs de mégalithes de Wéris
Une ambiance de mystère émane du lieu. Est-ce dû aux légendes qui s’y rattachent? Wéris, en province de Luxembourg, mérite son nom de «cité des mégalithes». A l’ouest du village s’étend, sur huit kilomètres, le plus grand champ mégalithique de Belgique. Il compte deux dolmens de type «allée couverte» et le plus bel ensemble de pierres dressées de nos régions.
Les hommes qui ont érigé ces dolmens et menhirs ne sont pas des Gaulois: le phénomène mégalithique est bien antérieur aux Celtes. La datation au radiocarbone des ossements humains trouvés sur place confirme que ces bâtisseurs ont vécu il y a 5 000 ans, à la fin du Néolithique, dernière période de la préhistoire.
• Des sépultures collectives
Pillées anciennement, les deux allées couvertes ont fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles entre 1888 et 1997. «Ces monuments ont servi de sépultures collectives», signale Timothée Fraiture, historien au musée des mégalithes de Wéris. Lors des fouilles, des pointes de flèches en silex et des tessons de poteries ont été mis au jour. Ils trahissent l’appartenance des dresseurs de mégalithes à la culture Seine-Oise-Marne. Wéris apparaît comme un trait d’union culturel entre le bassin parisien, à l’ouest, et la Hesse-Westphalie, à l’est.
L’alignement des mégalithes suit l’axe de la Calestienne, une bande calcaire fertile coincée entre la Famenne, au nord, et l’Ardenne, au sud. Selon certains, cette orientation nord-nord-est tient compte des levers et couchers de soleil aux équinoxes et aux solstices, ce qui conduit à supposer l’existence d’une astronomie néolithique. Nicolas Cauwe, préhistorien au Musée art et histoire, conteste l’hypothèse: «L’orientation est liée au relief et non à des visées astronomiques. L’approche des bâtisseurs de mégalithes tient plus du cheminement que d’une vision spatiale globale.»
• L’installation des monuments
L’organisation sociale développée des hommes de la fin du Néolithique leur permet de mobiliser les énergies pour de grands projets collectifs, comme l’érection des mégalithes. «L’installation de ces monuments manifeste leur volonté de poser une empreinte durable sur le territoire, assure Timothée Fraiture. Quelques millénaires plus tard, les clochers des églises et les chapelles joueront le même rôle dans nos régions.»
Les gros blocs utilisés par les bâtisseurs sont du poudingue local, un béton naturel. Leur transport et leur édification ont nécessité ingéniosité et efforts. «Les reconstitutions expérimentales montrent qu’un nombre restreint d’individus parvient à déplacer ces blocs de pierre sur des centaines de mètres et à les redresser, raconte le guide-historien. Le transport s’est fait grâce à des rondins roulant sur des rails faits de troncs d’arbres. Des plans inclinés, cordes et leviers ont permis la mise en place des monuments.»
L’intensification des travaux agricoles et la récupération des blocs de poudingue pour les hauts-fourneaux aux XIXe et XXe siècles ont menacé la survie des mégalithes. Certains ont été détruits, enfouis, déplacés ou christianisés, car ils incarnaient de vieilles croyances. «Aujourd’hui encore, beaucoup reste à faire pour protéger le site de Wéris et le mettre en valeur, prévient Timothée Fraiture. On oublie que nos mégalithes, librement accessibles aux promeneurs, sont des assemblages fragiles.»
2e étape: il y a 6 000 ans, les mineurs néolithiques de Spiennes
Mais pas d’Emile Zola en 4 000 avant notre ère pour raconter l’histoire de ces mineurs qui, pendant des centaines d’années, ont creusé à coups de pics des puits et galeries dans le sous-sol calcaire pour y récolter la roche siliceuse tant convoitée. «Dans ces cavités basses, les mineurs devaient travailler couchés ou accroupis, remarque le préhistorien Nicolas Cauwe. Ils se sont encrassé les poumons à force de gratter la craie. Leur seul éclairage était la faible lumière qui parvenait de l’extérieur.»
• Pas la vie des mineurs de charbonnages
L’archéologue Hélène Collet, coordinatrice du Comité de gestion des minières de Spiennes, met en garde contre les rapprochements anachroniques: «La vie des travailleurs des minières néolithiques ne peut pas être comparée à celle des mineurs de nos charbonnages. Les mineurs préhistoriques de Spiennes étaient des villageois qui, une partie de l’année, abandonnaient les travaux des champs et l’élevage pour récolter du silex.»
Laureline Cattelain, membre de l’équipe de fouilles, reconnaît qu’il devait y avoir une spécialisation des tâches pour le creusement des puits, le halage des paniers de silex jusqu’à la surface et la taille des pierres. «Mais les mineurs de Spiennes n’étaient pas pour autant soumis à une hiérarchie», estime-t-elle. Le site, qui s’étend sur une centaine d’hectares, est parsemé de 20 000 à 40 000 puits. Hélène Collet conteste néanmoins l’idée d’une présence massive de mineurs au même moment. «Le creusement des puits s’est étalé sur deux millénaires», rappelle-t-elle.
• Descente dans les puits
Seuls quinze puits ont été explorés à ce jour: le premier aux alentours de 1890, les deux plus profonds (quinze et seize mètres) au début du XXe siècle et les trois derniers au cours des 25 dernières années, par l’équipe d’Hélène Collet, de l’Agence wallonne du patrimoine (Awap). Nous avons pu descendre dans deux d’entre eux, celui situé sous le musée Silex’s et celui en cours de fouilles. On se glisse dans un trou cylindrique de moins d’un mètre de diamètre, qui s’élargit à la base pour former les galeries d’exploitation des bancs de silex. Pas besoin de soutènement dans ces cavités: les creuseurs ont veillé à préserver des piliers dans la craie.
«Dans les puits d’accès aux mines, rebouchés après leur utilisation, nous avons trouvé des vestiges de la vie quotidienne au Néolithique: des outils en os ou en bois de cerf, des os d’animaux consommés, des carcasses de veaux, cochons et chèvres, des fragments de céramique, détaille Hélène Collet. Trois squelettes humains ont été exhumés, dont l’un dans le puits fouillé actuellement. Cette découverte renforce l’hypothèse d’une utilisation des puits comme lieux occasionnels de sépulture.»
• Fabrication de haches pour défricher
Grâce à des moyens techniques ingénieux, les mineurs parvenaient à ramener des dalles de silex à la surface, dont certaines pesaient plusieurs centaines de kilos. «Ces silex servaient surtout à fabriquer des haches destinées à défricher la forêt et à aménager champs et pâturages, précise Hélène Collet. A Spiennes et au Camp-à- Cayaux ont aussi été mis au jour des lames qui, emmanchées, ont servi d’outils pour la découpe des végétaux. Cette production se retrouve jusqu’à 160 kilomètres du site.»
3e étape: il y a 14 000 ans, les chasseurs magdaléniens des grottes de Furfooz
Une route minée de nids-de-poule mène au pavillon d’entrée des visiteurs, une cabane en bois, en lisière de forêt. Adrien Laconte, agent d’accueil de la réserve naturelle de Furfooz, ne cache pas sa satisfaction: le parc, joyau de la région dinantaise fréquenté par près de vingt mille visiteurs par an, bénéficiera d’un subside de plus d’un million d’euros octroyé dans le cadre du Plan de relance wallon. Ce budget permettra, d’ici à la fin 2024, d’améliorer la préservation du site archéologique et de moderniser le local d’accueil.
Derrière le pavillon, un sentier raide mène à des thermes romains, reconstruits en 1956. Plus haut, on atteint le sommet de la falaise, qui surplombe la vallée de la Lesse. Les ruines d’une forteresse médiévale dépassées, le chemin plonge vers les grottes. Deux d’entre elles, le trou des Nutons et le trou du Frontal, ont accueilli, voici 14 000 ans, des chasseurs magdaléniens, l’une des dernières civilisations du Paléolithique supérieur.
• Le bouillon de bois de rennes
Ces grottes ont été fouillées pour la première fois en 1864 par le géologue dinantais Edouard Dupont. Le trou des Nutons se présente aujourd’hui sous l’aspect d’une vaste cavité de vingt mètres de long sur six mètres de large et douze mètres de haut. «La grotte était bien différente quand les premiers fouilleurs l’ont abordée, note Adrien Laconte. A l’entrée, les sédiments atteignaient plus de huit mètres de hauteur.»
On y a trouvé des silex taillés et des restes osseux d’époque magdalénienne. Les os de renards polaires et d’un loup montrent des traces de silex, signe d’un dépeçage soigné. Leur fourrure était appréciée pour la confection des vêtements et couvertures. Pendant la belle saison, les chasseurs se déplaçaient à la suite des troupeaux et édifiaient des campements provisoires aux entrées des grottes. Le trou des Nutons comprend plus de trois cents fragments de bois de renne. «Les ramures femelles, dont la partie interne est spongieuse, ne conviennent pas pour la fabrication d’outils, mais les Magdaléniens ont probablement consommé ces bois gorgés de sang sous forme de bouillon», relève notre guide.
• Des chasseurs de chevaux
Le trou du Frontal disposait d’un dallage. Les occupants des lieux chassaient essentiellement le cheval et le renne, mais aussi l’auroch et le chamois. «L’auroch dessiné sur une dalle de grès de la terrasse du trou de Chaleux, voisin des grottes de Furfooz, reste l’exemple le plus accompli d’art paléolithique en Belgique», assure l’archéologue Nicolas Cauwe.
4e étape: il y a 42 000 ans, l’Homme de Spy
Un sentier sinueux permet de descendre jusqu’à la grotte. Pas de risque de s’égarer vers l’abri sous roche, isolé en plein bois sur la commune de Jemeppe-sur-Sambre: des poteaux indicateurs orientent le visiteur. Mais la silhouette dessinée sur ces panneaux a de quoi perturber l’imaginaire: l’Homme de Spy représenté ressemble plus à un inquiétant yéti qu’à un Néandertalien.
Une dalle incrustée dans la roche rappelle que c’est ici qu’ont été découverts, en 1886, les fameux squelettes fossiles. «Les», car l’Homme de Spy est plusieurs: les ossements humains appartiennent en réalité à trois individus, «Spy I», une femme, «Spy II», un homme de moins de 25 ans qui mesurait 1,53 mètre, et un enfant d’1 an et demi. Ce troisième squelette a été repéré seulement en 2010.
• Spy II, jeune homme intermédiaire
«Les calottes crâniennes en bon état ont permis de certifier que ces individus étaient des Néandertaliens, mais plusieurs caractères crâniens de Spy II suggèrent qu’il était un intermédiaire entre l’Homme de Neandertal et Sapiens, l’homme moderne», indique Marie Decerf, responsable de l’Espace de l’Homme de Spy (Ehos).
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Les panneaux et les textes de l’exposition permanente du musée doivent être révisés car, en 2021, une nouvelle analyse de l’ADN des fossiles de Spy et d’Engis (où a été exhumé, dès 1829, le premier Homme de Neandertal) a démontré que ces Néandertaliens n’ont pas vécu il y a 36 000 ans, comme on le pensait depuis 2008, mais bien plus tôt, entre 44 200 et 40 600 ans avant aujourd’hui. A ce stade, les chercheurs ne sont pas en mesure d’affirmer que des relations se sont établies, il y a environ 42 000 ans, entre l’Homme de Neandertal, alors en voie d’extinction dans nos régions, et Homo Sapiens, qui a commencé à se répandre en Europe il y a environ 45 000 ans.
• Mangeurs de mammouth et de rhinocéros
La disposition des ossements du deuxième individu découvert dans la grotte de Spy et l’orientation est-ouest de ces fossiles conduisent les chercheurs à émettre l’hypothèse d’une sépulture, indice de préoccupations religieuses chez les Néandertaliens. Par ailleurs, la configuration anatomique de leur larynx incite à penser qu’ils possédaient une forme de langage. En 2007, une équipe de l’Institut Max Planck, en Allemagne, a étudié l’ADN de deux Néandertaliens d’il y a 43 000 ans. Cette recherche a permis de découvrir un gène impliqué dans toutes les fonctions associées à la parole. «De même, les analyses isotopiques d’os et de dents fossiles livrent de précieux enseignements sur l’alimentation des hommes de Spy, complète Marie Decerf. Elles montrent un apport en protéines provenant de grands mammifères, comme le mammouth et le rhinocéros laineux.»
5e étape: il y a 120 000 ans, l’Enfant de Sclayn
Il faut quitter la rive droite de la Meuse, entre Namur et Andenne, pour atteindre le Fond des Vaux, où se niche la grotte Scladina. Découverte en 1971, la caverne couverte de stalagmites et stalactites a été exploitée par des spéléologues et archéologues amateurs, qui ont dégagé l’entrée, remplie de terre jusqu’à la voûte.
La grotte a fait l’objet de fouilles officielles à partir de 1978. Des milliers d’os et de dents d’animaux du temps des glaciations (chamois, daims, rennes, chevaux, ours des cavernes, bisons des steppes…) y ont été mis au jour. Les silex taillés trouvés sur place prouvent que l’Homme de Neandertal a occupé le site à plusieurs reprises.
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• Une découverte majeure
Un coup de théâtre marque l’été 1993: une stagiaire découvre dans la grotte une mandibule néandertalienne. Cet «enfant de Sclayn», dont on a aussi retrouvé un fragment de maxillaire et seize dents, est qualifié de «découverte anthropologique belge la plus significative du XXe siècle». Près de trente ans plus tard, les fouilles s’étendent sur une cinquantaine de mètres à l’intérieur de la cavité. Le chantier de fouilles se poursuit sans interruption, mené par l’asbl Archéologie andennaise sous la direction de Dominique Bonjean, en collaboration avec l’ULiège.
• Un portrait précis de la fillette
Des enquêtes scientifiques permettent de dresser un portrait précis de l’enfant de Sclayn. Son ADN nucléaire, extrait sur une molaire à l’Institut Max Planck de Leipzig, a révélé que c’était une fille. Le microscope a repéré l’existence de 2 939 couches d’émail sur ses dents, ce qui correspond à un enfant de 8 ans et 17 jours. La mesure du taux de baryum dans une dent a mis en évidence un sevrage de l’allaitement maternel à 14 mois. Le carbone et l’azote, en combinaison dans les os, ont indiqué le type d’alimentation de la fillette: elle avait un régime carnivore comparable à celui d’une lionne! L’examen des molaires a montré qu’elle consommait aussi des végétaux, dont les minéraux ont éraflé l’émail de ses dents. L’usure des incisives et des canines suggère une traction répétée, sans doute liée à la consommation de viande séchée, dont la gamine arrachait des lambeaux. Les incisives de l’enfant présentent le ratio typique d’isotopes du strontium de la vallée de la Meuse. En revanche, sa deuxième molaire supérieure droite indique qu’elle occupait un autre territoire à l’âge de 7 ou 8 ans. Ce constat apporte ainsi la preuve du nomadisme des clans néandertaliens.
L’enfant de Sclayn est un Néandertalien de type ancien. «Sa mandibule est typiquement néandertalienne, avec un menton fuyant», confirme Dominique Bonjean. Un spectromètre, qui mesure la désintégration de l’uranium dans les dents et les os, a daté le fossile de 127 000 ans. Toutefois, Bonjean déduit des couches de sédiments dans lesquelles ont été retrouvés les fossiles que l’enfant a vécu il y a maximum 121 000 ans.
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