Reda Chebchoubi : « En rangeant les gens dans des cases, on les éloigne »
Acteur de la célèbre pièce Djihad, Reda Chebchoubi a grandi à Auderghem entre cultures belge et marocaine. » Les Gaulois font partie de mon histoire « , revendique-t-il.
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Reda Chebchoubi, un des acteurs de Djihad – » pièce que personne ne voulait à la base mais qui a été jouée 350 fois en trois ans » – est né à Ixelles et a grandi à Auderghem. Il décrit son parcours de vie et de comédien (21 courts métrages, 11 longs métrages, 3 téléfilms, 2 séries, 7 pièces de théâtre…) dans Mes Ancêtres les Gaulois (1). Sa philosophie : » Dans la vie, soit on gagne, soit on apprend. Mais on ne perd jamais. »
Vous passez votre enfance dans une commune où il y a de la mixité sociale et où la cohabitation est apaisée. N’était-ce pas plus fréquent à cette époque qu’aujourd’hui ?
J’ai grandi à Auderghem, où tous les gens se saluaient. Gamin, je m’occupais d’une dame âgée, madame Gaby. J’allais faire ses courses. Je lui tenais compagnie. Elle me racontait la Seconde Guerre mondiale. J’avais des copains principalement belgo-belges, de confession catholique. Pour moi, il n’y avait pas de religion, pas de couleur. On était juste des amis. J’ai connu ma première discrimination à 8 ans quand je n’ai pas été invité à un anniversaire parce que j’étais différent aux yeux de quelqu’un. On n’est pas différent ; on nous fait croire que l’on est différent. On m’a ensuite lancé : » C’est quand que tu vas retourner dans ton pays ? » Une question que je ne comprenais pas. On passait nos vacances à La Panne. Il n’y avait pas plus belge que cela comme vacances (NDLR : au moment de l’interview, Reda Chebchoubi, accompagnant des ados de Bruxelles, est en route vers… Durbuy).
Quel impact ont eu sur votre vie ces discriminations ?
Moi, elles m’ont renforcé. Mais elles ont détruit d’autres personnes. La Belgique existe depuis 1830. Elle a accueilli plusieurs immigrations, certaines plus anciennes que d’autres.
Est-ce pour cela que vous assumez que vos ancêtres sont gaulois ?
J’endosse cette identité. Je la revendique. Les Gaulois font partie de mon histoire. Malheureusement aujourd’hui, beaucoup de jeunes sont en rupture identitaire. Si vous retirez une partie de ses racines à une plante, elle va survivre difficilement, même si on la soutient. Si ses racines sont solides et bien ancrées, elle va grandir. Jeune, on m’expliquait que la Belgique avait fait venir des Italiens pour travailler dans les mines, et puis des Maghrébins et des Turcs pour oeuvrer dans le bâtiment. C’est seulement plus tard que j’ai appris que des combattants d’origine marocaine, algérienne, malienne, camerounaise avaient servi dans l’armée française et étaient devenus des héros. La bataille de Gembloux les 14 et 15 mai 1940 est la première de la Seconde Guerre mondiale où les Allemands ont reculé de dix kilomètres près de la igne de front d’Ernage. La nécropole de Chastre abrite de nombreux combattants d’origine marocaine. Si vous enseignez ce pan d’histoire à l’école, le gamin de couleur ou le jeune d’origine maghrébine pourra relever la tête et se dire qu’il n’est pas le petit-fils de n’importe qui.
L’école n’enseigne-t-elle pas suffisamment cette histoire plurielle ?
Non. Pourtant l’enseignement est la solution. Jean-Paul Sartre disait : » Ma plume est mon épée. » Le savoir est une arme. Beaucoup de gens deviennent agressifs parce qu’ils n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Dans les ateliers que je donne, j’essaie de développer un esprit critique chez les jeunes, les faire réfléchir par eux-mêmes pour qu’ils puissent s’épanouir dans leur identité. Si un jeune d’origine maghrébine me dit qu’il ne croit pas en l’islam, je lui réponds : » C’est très bien ; c’est ton droit. » Le Coran dit d’ailleurs que » nul n’a le droit de juger, hormis Dieu « . Pourtant, beaucoup de gens jugent les autres. Or, de plus en plus de jeunes ne pratiquent plus le ramadan alors que de plus en plus de convertis trouvent des réponses dans le Coran.
A l’école, on vous a imposé le cours de religion islamique alors que vous auriez préféré rester avec vos copains à celui de religion catholique. Est-ce que la société a tendance à assigner les gens à leur communauté d’appartenance ?
Totalement. La société n’aime pas que les choses lui échappent. Un peuple qui dort est un peuple que l’on peut gouverner plus facilement. Le problème est quand les gens posent des questions. Je suis un étranger tant que vous ne me connaissez pas. Mais si on discute ensemble, on s’apercevra que l’on se ressemble. Je suis plus proche d’un Belge athée que d’un musulman de Malaisie. En rangeant les gens dans des cases, on les éloigne.
Dans votre livre, on a l’impression que vous avez quelque difficulté à endosser un certain conservatisme de votre culture marocaine. Est-ce exact ?
J’ai vécu cela comme d’autres l’ont expérimenté avec le catholicisme il y a quarante ans. Je connais beaucoup d’amis auxquels le catholicisme, à part le signe de croix quand ils vont à un mariage ou une communion, ne parle plus parce que le conservatisme de l’Eglise les a éloignés de ce qu’ils étaient vraiment. On leur a dit : » Ça, c’est bien ; ça, c’est mal. » Mais on ne leur a jamais demandé ce qu’ils aiment, qui ils sont, ce qui leur fait du bien. On s’attarde trop au groupe et pas assez à l’individu.
Mes Ancêtres les Gaulois, ou quand tu apprends qu’une identité, c’est comme un millefeuille, par Reda Chebchoubi, La Boîte à Pandore, 228 p.
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