Préhistoire: nos ancêtres, les chasseresses
Vieille de 9.000 ans, la sépulture d’une femme préhistorique garnie d’outils de chasse au gros gibier a été mise au jour au Pérou. Une découverte qui contredit l’idée d’une distinction naturelle entre les activités féminines et masculines.
Les hommes préhistoriques chassaient le mammouth pendant que les femmes cueillaient des baies, préparaient les repas et s’occupaient des enfants. Cette image reflétant des rôles bien tranchés pourrait quelque peu s’estomper au vu d’une découverte majeure, intervenue récemment au Pérou. Dans une sépulture datant de 9.000 ans, des archéologues américains ont mis au jour des outils de chasse pour gros gibier et des ossements humains appartenant à une femme. Surpris, ils ont entrepris de réévaluer leurs connaissances sur le sexe des défunts de la même période dans cette région andine. Conclusion? Entre 30 et 50% des chasseurs de gros gibier pourraient avoir été des femmes. « La répartition du travail entre les sexes était fondamentalement différente, et probablement plus équitable, dans le passé de chasseur-cueilleur de notre espèce « , commente Randall Haas, professeur d’anthropologie et principal auteur de l’étude publiée dans Science Advances. De quoi contredire bien des idées reçues. Encore faut-il rester prudent, tempère Marcel Otte, professeur honoraire de préhistoire à l’ULiège, spécialiste de l’origine d’Homo sapiens, de la pensée et de la métaphysique. Lui juge cette interprétation un peu osée. « On ne peut pas généraliser au départ d’un cas aussi exceptionnel. D’autant qu’il existe partout une opposition mythique entre le sang versé par l’animal et celui des menstruations féminines. » Lorsqu’il y avait du sang versé à l’époque de nos ancêtres, il ne pouvait être contaminé par celui d’une autre espèce, selon cette théorie qui explique que les femmes auraient été tenues à l’écart de la mise à mort d’animaux sauvages.
De là à exclure leur participation à la chasse… Préhistorienne au CNRS, Marylène Patou-Mathis est spécialiste des Néandertaliens. Cousins d’Homo sapiens, ces hominidés se sont éteints il y a environ 30.000 ans. « Les femmes néandertaliennes participaient à la chasse », assenait-elle sur les ondes de France Culture. « Certaines femmes néolithiques d’Europe centrale étaient très costaudes et avaient un bras plus développé que l’autre. Sans doute devaient-elles lancer la sagaie. » Pour la directrice de recherche, autrice d’un essai sur le sujet paru l’an dernier (1), la division sexuée du travail à la préhistoire n’a jamais été prouvée par des vestiges. Il s’agit, au contraire, d’un biais classique, les professions d’archéologue et d’anthropologue préhistorien étant restées l’apanage des hommes jusque dans les années 1980. « Ils ont simplement calqué leur système sociétal et de pensée sur le mode de vie préhistorique. »
Tout est donc question d’interprétation. Pour le professeur Otte, « nous ne pouvons pas ignorer la découverte de chasseuses préhistoriques andines simplement parce qu’elle ne correspond pas à notre manière de voir habituelle. Mais nous ne pouvons pas non plus révolutionner aussi allègrement les milliers de données déjà disponibles en sens inverse. » Il préconise l’étude d’autres nécropoles, notamment européennes, pour étayer ces hypothèses. Dans un sens ou dans l’autre.
Des preuves ténues
Déterminer le genre d’un défunt à partir de restes fossilisés n’est pas une sinécure. Les traces d’ADN n’étant guère probantes en préhistoire, les paléoanthropologues se tournent généralement vers l’analyse de la morphologie du bassin. Or, les chercheurs n’en ont pas trouvé trace dans la tombe récemment découverte. C’est donc sur la base de la seule « nature qualitativement gracile » de la partie centrale d’un fémur qu’un squelette féminin a été suggéré. Ce résultat a été confirmé par une toute récente technique d’analyse protéomique (étude de l’ensemble des protéines) menée sur… une dent. Pour déterminer si celle-ci a appartenu à un homme ou à une femme, on y mesure la quantité d’amélogénine, une protéine de l’émail dont la synthèse dépend de gènes situés sur les chromosomes sexuels.
Tout contre la défunte andine, les archéologues ont découvert vingt-quatre outils en pierre. Notamment des pierres massives destinées à briser les os ou racler le gras sur les peaux des bêtes, ainsi que des pointes pouvant servir à abattre des animaux de grande taille. De quoi conclure à la présence d’une femme chasseuse de gros gibier? Le professeur Otte tempère: « Le fait que cette sépulture soit associée à des armes ne signifie pas qu’elles aient été utilisées. Bien souvent, les armes sont des symboles honorifiques, chargés d’une valeur mythologique. Ici, elles sont intactes et très élaborées, suggérant qu’il s’agit plus d’un signe que d’un outil. »
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