Pourquoi nous voyons rarement des sourires dans les portraits d’époque
Déambuler dans un musée, c’est chercher le calme qu’offre ce lieu solennel. Mais le silence pesant peut parfois déranger, et nous forcer à changer de pièce, dans l’espoir d’échapper aux regards sérieux de chefs-d’oeuvre qui nous entourent. Et pour cause, en parcourant ces salles aux murs remplis de peintures, il y a rarement un visage qui nous sourit.
Aujourd’hui, lorsqu’on nous prend en photo, nous sourions. Un réflexe naturel et social de notre époque. Seules les photographies d’identité nous forcent à garder un visage dénué d’expression.Mais dans les portraits d’époque, ce visage neutre semble être à la mode. Et les quelques rares sourires aperçus ça et là, comme l’emblématique tableau de la Joconde, tranche dans ce décor des plus sérieux.
Comme explication, on pourrait éventuellement songer à l’hygiène buccale de nos ancêtres occidentaux, dont la dentition cassée et jaunâtre pourrait écoeurer n’importe qui. Peut-être alors se sont-ils abstenus de dévoiler au grand jour cette caractéristique peu attrayante. Mais cette mauvaise hygiène était si courante à l’époque,qu’en aucun cas,elle n’était considérée comme un ennemi de l’attractivité.
Non, la réponse est plus évidente encore. Tout est une question de temps. Si aujourd’hui, prendre une photo se fait en quelques secondes seulement, peindre un portrait prenait beaucoup plus de temps. Prendre la pose est une tâche ardue, et quiconque fait appel aux services d’un artiste s’engage à rester figé durant plusieurs heures. Faire un sourire n’est pas de tout repos. Si environ trente muscles interviennent dans les expressions du visage, 17 d’entre eux entrent en jeu dans le sourire. Impossible donc de faire fonctionner ses zygomatiques sans relâche. Cela demande un effort constant et déjà au bout de quelques secondes, votre sourire se déforme en une grimace d’inconfort.
L’art retrouve le sourire
Attention, si l’histoire de l’art nous prouve que le sourire n’était pas tant apprécié des Occidentaux, cela ne signifie pas pour autant que les artistes n’ont jamais osé le peindre. Antonello da Messina, Léonard de Vinci, Van Honthorst, de Leyster… Tant d’artistes qui représentent la joie dans leurs oeuvres grâce à un sourire énigmatique, narquois ou éclatant.
Au 17esiècle, en Europe, les aristocrates pensaient que « grincer des dents », en public et dans les arts, était une expression obscène réservée aux classes inférieures et aux ivrognes. Les Néerlandais ont, quant à eux, toujours privilégié l’observation directe de la nature. Ils sont donc particulièrement attachés aux sourires.
La preuve avec Antonello da Messina, artiste italien de la Renaissance, formé aux techniques de peinture à l’huile développées aux Pays-Bas. Il introduisit sans pudeur le sourire dans ses portraits, afin de rendre ses modèles toujours plus réalistes.
Léonard de Vinci peint lui aussi des sourires de natures diverses. Le sourire énigmatique de la Joconde restant l’un des plus célèbres, il ne faut pas non plus oublier l’un de ses plus grands sourires, qui apparaît dans son tableau « Saint Jean-Baptiste ». L’expression narquoise de Saint Jean-Baptiste est en effet très répandue dans l’histoire de l’art occidental.
Les sourires fermés, aux lèvres pincées, figurent principalement dans les portraits de femmes de l’élite, et suggèrent une séduction. Mais pour des artistes comme Van Honthorst, avec « The Merry Fiddler » et Leyster, avec « The Concert », on découvre un sourire éclatant, souvent associé à la musique et à l’amour. Quelques connotations de l’ivresse et de la sexualité sont aussi présentes : le violoneux dans le tableau de Van Honthorst tend une coupe de vin aux spectateurs, les trois jeunes musiciens du tableau « The Concert », quant à eux, semblent sur le point de vivre un ménage à trois.
Ce n’est pourtant que bien plus tard, après l’invention de la photographie (au milieu du 19e siècle), que le sourire devient une partie intégrante du portrait.
Source : CNN
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