PIONNIÈRE DU DROIT INTERNATIONAL
Le premier conflit mondial est à bien des titres celui d’une » guerre pour et par le droit « . La Belgique, petite économie ouverte protégée par son statut de neutralité, est le théâtre inaugural de l’invasion d’août 1914, en violation d’un droit international qu’elle ne tardera pas à incarner aux yeux de beaucoup.
Lambition de réglementer par le droit les relations entre Etats n’est pas neuve lorsque le premier conflit mondial éclate. Cicéron évoque déjà le » droit de la paix et de la guerre » dans un de ses discours. Les réflexions se poursuivent aux XVIe et XVIIe siècles. La fin du XVIIIe consacre le terme d’ International Law, ce que la langue française ne manque pas de traduire au XIXe siècle par » droit international « . La Belgique, petit pays neutre protégé par le droit – et non par la force – et fruit d’âpres négociations en 1830-1831, fait rapidement figure de tête de pont de la promotion du droit international en cours de consolidation dans les champs scientifique, politique et académique. Elle fait office de lieu de réunion récurrent de l’Association internationale pour le progrès des sciences sociales dès 1862, qui constitue un réseau de juristes à l’initiative de la Revue de droit international et de législation comparée (1869), la première du genre dont le siège est à Gand.
STOP À L’ANGÉLISME
Comment ne pas considérer le conflit, inauguré par une violation fondamentale de la neutralité belge, comme un échec du droit international ? S’il paraît juste d’affirmer aujourd’hui que 1914-1918 a permis l’émergence d’une nouvelle vision du droit international et l’épanouissement de la sécurité collective en Europe, il est aussi vrai que vers 1918-1920, parmi les juristes belges comme Albéric Rolin, de nombreux doutes sont émis quant à l’avenir du droit international. D’autres – dont le Liégeois Fernand Dehousse dans les années 1930-pensent que l’expérience de la Grande Guerre ne peut plus permettre aucun angélisme à ceux qui pensent les relations entre les Etats. Le pacifisme est alors jugé comme une chimère dangereuse, comme un enfer pavé de bonnes intentions dont les plus beaux symptômes se retrouvent dans l’esprit munichois de 1938. Dehousse prône plutôt la défense décomplexée du ius ad bellum (droit à la guerre), à savoir : mieux vaut encadrer la guerre par le droit, étant donné que, quoi qu’il arrive, celle-ci reviendra comme un boomerang, tôt ou tard. N’est-elle pas par essence dans la nature humaine ?
LES PARTISANS DE LA SDN
D’autres voix sont plus optimistes, comme celles des membres de la délégation belge envoyée à Versailles au printemps 1919, où l’on trouve un vivier de juristes parmi lesquels figurent les futurs défenseurs de la SDN. Bien que ses réclamations soient peu entendues, la délégation posera les jalons d’une politique étrangère belge plus attentive à l’expertise juridique, par le biais de noms tels que Jules Van den Heuvel et Edouard Rolin-Jaequemyns, mais aussi les trois premiers membres du service juridique du ministère des Affaires étrangères : Charles de Visscher, Maurice Bourquin et Henri Rolin. Pays réputé pour sa contribution théorique au droit international avant 1914, la Belgique devient une sorte de territoire d’expérimentation après la guerre. La violation de sa neutralité lui a octroyé un relief épique. Ses juristes en sont devenus l’incarnation. Et, bien que le pays perde sa place de petite puissance » forte » de l’avant-guerre suite à l’arrivée dans les eaux internationales de nouveaux » poissons » tels que les pays sud-américains ou la Chine, les juristes belges, chargés de ce background théorique et pratique, ne manqueront pas de bénéficier d’une réputation remarquable. Leur parole est d’autant mieux écoutée que le pays est encore plus inoffensif qu’avant 1914. Ce sont les grands temps de la démocratisation des élites, d’une foi inébranlable dans une SDN à laquelle on confie nos plus intimes espoirs et à l’égard de laquelle la déception (face à son impuissance) accouchera d’une politique de retour à la neutralité en 1936 et qui – les temps changent ! – sera en grande partie pensée par les juristes du ministère des Affaires étrangères.
Ernest Mahaim, un juriste qui a « mal aux autres »
Il y a un siècle, les juristes de droit international n’étaient pas reconnus pour leur fibre sociale. En bons rouages de l’Etat bourgeois, toute effusion socialiste leur apparaît subversive. Pourquoi limiter par des lois sociales le progrès élevé au statut de culte ? Ernest Mahaim, professeur à l’université de Liège, décédé en 1938, contraste avec ce cadre. Issu d’un milieu modeste, pris en affection par un autre original du monde universitaire, l’économiste liégeois Emile de Laveleye, il prend conscience très tôt, depuis sa chambre d’étudiant de la rue Saint-Gilles, que le droit social doit rendre leur dignité aux classes laborieuses, véritables laissés-pour-compte d’une Belgique en pleine santé économique mais où les autorités tirent sur les ouvriers grévistes de Liège et de Charleroi en 1886. Il veut un droit international ouvrier. Cette audace lui vaudra plus de vingt ans d’une certaine marginalisation universitaire. La guerre change la donne. Coauteur de la Partie XIII ( » Travail « ) du Traité de Versailles, considéré comme un des pères du droit international du travail, cofondateur de l’OIT, il est un des artisans de la loi des » huit heures » de travail journalier de 1921. Mahaim devient un des symboles de la Belgique d’entre-deux-guerres, aux côtés d’Henri Pirenne et d’Ernest Solvay. Avec sa coupe en brosse et sa moustache de bonhomme, il avait vu éclore ce droit social vivant dont il rêvait, tout destiné à ceux pour lesquels le loisir n’existe pas, où c’est » le travail, puis le tombeau « . Il était né en 1865.
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