Pierre Angulaire de l’équilibre planétaire
Le Congo joue un rôle essentiel dans la balance climatique de la planète. Immense puits de carbone, avec son fleuve et sa forêt équatoriale, son bassin est aujourd’hui plus performant en captage de CO2 que l’Amazonie.
La Terre est une gigantesque machine climatique dont tous les éléments sont liés : les océans, les continents, l’atmosphère, l’énergie, les nuages, la glace, les vents, la pluie, et la vie elle-même dont nous faisons partie. L’ensemble des éléments, le manteau terrestre et le sommet de l’atmosphère, en interaction permanente, assurent un équilibre dynamique en perpétuelle évolution de la planète, assurant son homéostasie. Mais cette belle machine, nous la déréglons depuis le XIXe siècle, notamment par notre utilisation effrénée d’énergies fossiles. C’est cet équilibre du système Terre que les sociétés humaines rompent en exploitant massivement pétrole, charbon, tourbe et gaz naturel (ou en drainant les tourbières qui se mettent à brûler pendant des semaines ou des mois, comme en Indonésie).
Le poumon de la planète menacé
La forêt du bassin du fleuve Congo est le second massif forestier tropical au monde et aussi le plus actif. Des découvertes récentes, dont celle des tourbières congolaises, renforcent plus encore ce rôle de tampon climatique longtemps sous-estimé. Le bassin du Congo abrite la plus grande zone de tourbières au monde, soit un puits de carbone qui équivaut à 30 ans des émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis. Selon le professeur Simon Lewis et son équipe (université de Leeds, Grande-Bretagne) qui publie sa découverte en 2017 dans la revue Nature : « Nous avons récemment découvert le plus grand complexe de tourbières tropicales au monde, couvrant une zone plus grande que l’Angleterre, au coeur de l’Afrique. Notre objectif est de comprendre comment les tourbières se sont établies, comment elles fonctionnent aujourd’hui et comment elles réagiront aux changements climatiques d’origine humaine et aux différentes voies de développement futures. Les résultats éclaireront les décisions stratégiques cruciales concernant la région. La superficie de tourbe est d’environ 145 500 km2, faisant de la Cuvette centrale le complexe tourbeux le plus étendu des tropiques, qui stocke 30 milliards de tonnes de carbone. En comparaison, en 2016, les émissions du Royaume-Uni étaient de 0,1 milliard de tonnes de carbone. Les tourbières aident donc, si on les protège, à réduire les effets néfastes sur le changement climatique. Mais si on les détruit, cela amplifiera la mutation climatique. » Le bassin du fleuve Congo est donc un gigantesque piège à CO2, aujourd’hui en danger. S’y concentrent près du quart des forêts tropicales du monde, plus de la moitié des espèces terrestres végétales et animales connues, une biodiversité halieutique unique et – si l’on n’y prend garde – une bombe à retardement en mesure d’asphyxier une majeure partie de la planète.
Pourtant, peu à peu, les temps changent. Depuis la COP21 de Paris (2015) et la COP22 de Marrakech (2018), et sous l’impulsion de quelques-uns d’entre eux, les chefs d’Etat africains ont compris l’enjeu économique des business verts, une cause à la fois porteuse, éthique et potentiellement « bancable ». Une prise de conscience s’opère aux allures de révolution copernicienne. Alors que nombre de ses enfants continuent de migrer vers le nord, une partie de l’Afrique tient entre ses mains, au coeur de ses forêts, de ses tourbières et de son écosystème, une partie du destin de l’humanité.
En Afrique, l’information sur l’environnement demeure largement inégalitaire, car réservée à une élite experte. Pour la grande masse des citoyens, obligés de se contenter d’une communication gratuite de mauvaise qualité, ces défis qui les concernent échappent encore très largement à l’entendement.
La pauvreté mange la forêt
En 2012, la RDC adopte un plan ambitieux pour la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts, prenant en compte le rôle de la gestion durable des forêts, de la conservation et de l’accroissement des stocks de carbone forestiers, dénommée brièvement Stratégie-Cadre nationale REDD+. Celle-ci vise à stabiliser le couvert forestier à 63,5 % dès 2030, et de le maintenir ensuite. Le Plan d’investissement REDD+ de la RDC pour la période 2015-2020 aborde tous les moteurs directs et indirects (agriculture, bois-énergie, forets, mines et hydrocarbures, infrastructures, aménagement du territoire, foncier, population et gouvernance). Car les images satellites que l’on obtient facilement (et gratuitement) nous disent que la grande forêt du bassin du Congo a perdu 700000 hectares entre 2000 et 2010, presque autant de 2010 à 2018. Un grignotage de la forêt par défrichement. La cause fondamentale, ce sont les producteurs agricoles qui représentent près de 80 % des communautés rurales et qui sont livrés à eux-mêmes. Pas encadrés, ils ont peu évolué dans les pratiques agricoles. C’est le cercle vicieux de la pauvreté qui les rend responsables de la déforestation.
Les chercheurs du département des sciences géographiques de l’université du Maryland, aux Etats-Unis, ont publié une étude indiquant qu’au rythme actuel de leur destruction, les forêts naturelles en RDC pourraient disparaître d’ici à 2100. L’étude affirme que 84 % des perturbations forestières de la région sont dues au défrichement à petite échelle et non mécanisé de forêts », ce qui casse l’idée répandue dans la région selon laquelle ce sont les compagnies d’exploitation forestière qui seraient les premiers responsables de la déforestation.
Partout, les fronts forestiers reculent. Autour de Kinshasa, dans la région de Gemena dans l’Equateur, le long du fleuve Kasaï, au Nord et au Sud-Kivu. Dans certaines régions, le taux de déforestation atteint de 1 à 2 % par an. Ce qui veut dire que dans trente ou quarante ans et certainement d’ici 2100, l’essentiel de la forêt congolaise aura disparu.
Un consensus mondial existe au sujet du rôle clé de la prochaine décennie afin de réduire l’impact des changements climatiques avant que des dommages irréparables puissent survenir. Cela concerne la survie de la biodiversité et celle de notre espèce. En effet, il n’y a aucune solution pour créer ou remplacer une espèce disparue. Or, le processus de perte de biodiversité a pris une pente abrupte. Il reste tout au plus dix à quinze ans pour la mise en place effective de mesures qui puissent enrayer le déclin et la catastrophe.
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