Patrice Lumumba, icône inusable des luttes anticoloniales
La République démocratique du Congo (RDC) célèbre mardi le 60e anniversaire de son indépendance de la Belgique, et l’une de ses héros nationaux, Patrice Emery Lumumba, icône des nouveaux militants anticoloniaux qui demandent aux anciennes puissances coloniales d’assumer leur passé.
Patrice Lumumba entre dans l’histoire et la légende ce 30 juin 1960 avec son discours contre le racisme des colons en présence du roi des Belges Baudouin pendant la cérémonie officielle marquant la naissance du Congo: « nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres ».
Le Premier ministre du président Joseph Kasa-Vubu répondait au monarque qui venait de saluer l’oeuvre colonisatrice de son ancêtre, Léopold II, un « civilisateur » et non un « conquérant » selon lui.
La Ville de Louvain a retiré une statue de Léopold II de la niche de l’hôtel de ville et celle de Gand un buste du souverain qui régnait sur la Belgique tout en possédant le Congo à titre personnel, avant sa reprise par la Belgique en 1908.
Des effigies de Baudouin et Léopold II, accusé par le collectif « Réparons l’histoire » d’avoir tué « plus de dix millions de Congolais », ont été vandalisées début juin à Anvers et Bruxelles, en lien avec le mouvement « Black Lives Matter ».
A l’inverse, un tout petit square Patrice Lumumba a été inauguré en plein centre de Bruxelles en 2018, aux portes du quartier africain de Matonge. « C’est extrêmement important pour que la Belgique puisse assumer son passé colonial, et pour la fierté des Afro-descendants », explique Kalvin Soiresse, 38 ans, député au Parlement bruxellois d’origine togolaise.
Le parcours fulgurant de Patrice Lumumba s’achève six mois et demi après son discours retentissant, le 17 janvier 1961. Déchu, humilié, torturé, le martyr de l’indépendance est exécuté en pleine brousse à 50 km d’Elisabethville (l’actuelle Lubumbashi) par des séparatistes katangais et leurs hommes de main belges. Il avait 35 ans.
Le Congo avait sombré dans le chaos (mutineries, sécessions, intervention militaire belge et de l’Onu). L’éphémère Premier ministre avait été renversé dès septembre 1960.
Ses appels du pied à l’Union soviétique en pleine Guerre froide avaient braqué les Etats-Unis, qui redoutaient de perdre leurs approvisionnements en cobalt congolais. « Lumumba devint en un rien de temps un martyr de la décolonisation, un héros pour tous les opprimés de la Terre, un saint du communisme sans dieu », résume l’écrivain David Van Reybrouck dans sa somme « Congo, une histoire ». « Ce statut, il le devait plus à l’horrible fin de sa vie qu’à ses succès politiques », avec seulement deux mois et demi au pouvoir, nuance l’auteur belge.
La Belgique a reconnu sa « responsabilité morale » dans l’assassinat de Lumumba, dès 2001 au terme d’une commission d’enquête parlementaire. Le parlement belge envisage une nouvelle commission sur la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi.
Mardi, le prophète Lumumba sera célébré sans excès dans son propre pays, où aucune cérémonie n’est prévue en raison du coronavirus – les autorités ont annoncé une journée de « méditation ».
A Kinshasa, sa statue, main droite levée vers le ciel, semble haranguer les automobilistes au milieu de l’immense boulevard qui porte son nom entre l’aéroport et le centre-ville. Elle n’a été érigée qu’au début des années 2000, à l’époque des régimes Kabila père et fils.
Dans le paysage politique subsiste un petit Parti lumumbiste unifié (Palu) dont le patriarche, Antoine Gizenga Fungu, vice-Premier ministre en 1960, est décédé en 2019, à 93 ans. Son fils, Lugi, qui lui a succédé à la tête du Palu, est mort début juin.
Hors ce parti, des personnalités perpétuent l’héritage nationaliste de Lumumba, comme l’ex-porte-parole du président Joseph Kabila (2001-2019), Lambert Mende Omalanga. « Etre lumumbiste aujourd’hui, c’est mener le combat pour que le Congo soit libre de choisir ses partenaires économiques en fonction de ses propres intérêts », affirme M. Mende, toujours prompt à dénoncer le « néocolonialisme » des « partenaires occidentaux » de la RDC.
Et que reste-t-il de Lumumba chez les moins de 20 ans (50% des plus de 80 millions de Congolais)? Au lycée, son histoire est enseignée de « façon lapidaire » reconnaît un professeur, Egide Mawaso. Le sujet peut être délicat. Dans sa chute, Lumumba a été trahi par d’autres pères de l’indépendance, à commencer par son modeste chef d’état-major, Joseph Mobutu, le futur maréchal-président-dictateur (1965-1997).
Enfin, le mythe d’un Lumumba communiste a été entretenu par l’URSS elle-même, qui a donné son nom à une université accueillant à Moscou des étudiants africains venus de « pays frères ». « Communiste, il ne l’était pas. Il a répété plusieurs fois qu’il était nationaliste et non communiste », assure l’universitaire Jean Omasombo.
Cet auteur d’un livre sur Lumumba dénonce la « propagande coloniale » qui le présentait comme un agent soviétique. Le débat continue.
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