Anciens combattants médaillés de guerre, Buta, 1922. © COLLECTION MRAC TERVUREN ; PHOTO J. NÈVE

NOUVEAU DÉPART POUR LE CONGO BELGE

Le colonialisme a conféré au conflit européen une dimension mondiale. Entraînée dans la guerre, au détriment de sa neutralité, la jeune colonie belge y voit un moyen d’assurer la survie de son intégrité territoriale face aux autres grandes puissances coloniales qui, dès 1908, envisagent de partager ou d’acquérir le Congo.

Remportées avec le sang et les larmes de nombreux soldats, de milliers de porteurs et la contribution forcée des populations africaines, les victoires des alliés sur les troupes coloniales allemandes jettent les bases d’une réorganisation des empires coloniaux en attribuant l’Afrique orientale allemande (AOA), le Togo, le Cameroun et le Sud-Ouest africain aux vainqueurs. La conquête par l’armée belgo-congolaise (Force publique) d’une importante partie de l’AOA garantit à la Belgique de pouvoir la monnayer lors des pourparlers de paix. Elle est aussi le gage d’une reconnaissance plus soutenue de la légitimité de la colonie belge dans le concert des nations.

Les responsables belges ne revendiquent aucune ambition territoriale. Ils souhaitent seulement consolider l’accès de la colonie à l’océan Atlantique en rectifiant la frontière entre le Congo et l’Angola sur le bas-fleuve Congo. Refus du Portugal. Le projet d’établir la souveraineté belge sur les deux rives du fleuve est donc bloqué. En revanche, la Belgique obtient de la Société des Nations un mandat sur le Ruanda et l’Urundi tandis que la Grande-Bretagne concède les  » Belbases « , baux perpétuels à Kigoma et Dar es Salaam, en Tanzanie, où les Belges seront autorisés à construire des bases portuaires extraterritoriales qui faciliteront le transport de matériaux lourds pour l’industrie congolaise.

Après la guerre, les combats victorieux permettent de récompenser les actes de bravoure et imprègnent l’imaginaire patriotique.

L’autre revendication consiste à mettre un terme au régime de l’Acte de Berlin (1885) qui imposait à la colonie d’importantes contraintes politiques et économiques. La Convention de Saint-Germain-en-Laye (1919) modifie considérablement ses clauses en supprimant, notamment, la neutralité des territoires du bassin conventionnel du Congo qui faisait penser que la colonie était placée sous un régime spécial où les étrangers avaient droit de regard. En matière commerciale surtout, elle permet de lever sans aucune limite des droits d’entrée, jusqu’ici interdits, mais maintient une égalité de traitement entre nationaux et étrangers. Grâce à cette convention, la Belgique réaffirme sa souveraineté sur le Congo et sa volonté d’ouverture économique.

Après la guerre, le ton est donc au nationalisme. Les combats victorieux permettent de récompenser les actes de bravoure et imprègnent l’imaginaire patriotique. La colonie affirme fièrement son caractère  » belge  » même si des inquiétudes demeurent au sujet de l’internationalisation des colonies, prônée par des cercles progressistes, en Grande-Bretagne et ailleurs, ou par des revendications allemandes sur le rétablissement de ses anciennes possessions.

NOUVEAUX INVESTISSEMENTS

Au Congo, les intérêts belges s’expriment avec plus de vigueur qu’avant la guerre où, malgré l’encouragement des autorités à développer les capitaux privés nationaux, les Belges actifs étaient beaucoup moins nombreux que les étrangers. De nouveaux investissements affluent bientôt dans la colonie ; les petits colons indépendants et les fonctionnaires y trouvent des zones protégées pour reconstituer leur capital après les pertes de guerre et dans un climat social moins contraignant qu’en métropole. Les grandes sociétés capitalistes belges implantées sur place, notamment dans la région minière du Katanga, s’opposent à l’installation de petites entre prises étrangères. L’avenir économique de la colonie nécessite de relever d’immenses défis. De vives tensions politiques témoignent des questionnements qu’il suscite, en particulier, l’irruption de la modernité dans les sociétés africaines. On assiste aux premiers découpages de la colonie en territoires économiques et en espaces d’activités privilégiées avec, en parallèle, la mise en route de grands travaux d’infrastructures et de transports afin de relier les nouvelles zones industrielles et commerciales à l’hinterland.

Main-d'oeuvre mobilisée pour la réparation du ballast du chemin de fer au Katanga.
Main-d’oeuvre mobilisée pour la réparation du ballast du chemin de fer au Katanga.© COLLECTION MRAC TERVUREN ; PHOTO E. GOURDINNE, 1918

Cependant, les importations en provenance du Congo ont été largement réduites pendant la guerre. La dévaluation du franc congolais en 1919, à la suite de la décision du ministre des Colonies Louis Franck de le lier au franc belge, stimule les exportations de matières premières qui progressivement approvisionnent l’industrie belge. L’Union minière du Haut-Katanga (UMHK), par exemple, acquiert une place importante sur les marchés mondiaux et va participer à la formation du cartel mondial du cuivre. En parallèle, la Belgique réalise un gros effort pour équiper la colonie en biens manufacturés pour le transport et les mines. Exceptionnellement et à l’encontre de la Charte coloniale qui établit une nette séparation entre les budgets de la métropole et de la colonie, de l’argent public belge est envoyé au Congo pour moderniser ses infrastructures. De même, les collusions entre l’Etat et les sociétés privées, alors même qu’elles étaient condamnées par les autorités qui y voyaient un legs du régime léopoldien à bannir, vont continuer à persister  » sous prétexte d’industrialisation « .

ENCADREMENT DES POPULATIONS

La guerre a démontré la possibilité de recruter d’importants contingents de main-d’oeuvre et de les nourrir, grâce, notamment, à un programme improvisé de cultures vivrières obtenues sous la contrainte, comme le riz dans l’est du Congo. A l’issue du conflit, le ministère des Colonies encourage la création de sociétés privées de plantations. Une cogestion entre l’Etat et les entreprises veut favoriser certaines productions africaines comme l’huile de palme villageoise ou le coton, encore en mode artisanal durant la guerre. Après le conflit, celles-ci prennent une ampleur industrielle. Un programme cotonnier, inspiré de l’Ouganda, est réalisé sur la base d’une alliance entre l’administration publique et les notables locaux qui contrôlent l’application des cultures obligatoires.

La production vivrière et industrielle se développe à un rythme rapide. La mobilisation de davantage de main-d’oeuvre devient impérative. A l’UMHK, 42 000 travailleurs sont recrutés en 1921 contre 8 000 en 1914. Outre les impositions, les travaux manuels pour la construction des routes et du chemin de fer, les excavations de mines ou le portage représentent une très lourde charge sociale pour les Africains. Phénomènes présents jusqu’au début de la guerre, la mortalité sur les chantiers, les désertions et les coups assénés sévissent désormais dans la cueillette, dans les régions huilières surtout. Le sort des Congolais provoque l’indignation dans les sphères catholiques et libérales. Des réformes profondes sont demandées pour une utilisation plus rationnelle de la force de travail dans les grandes sociétés, pour des engagements sur base volontaire et un encadrement des travailleurs par la création de services sociaux et médicaux. La santé publique en particulier fait l’objet de toutes les attentions. En 1919, le Congo encore dénutri et exsangue n’échappe pas à l’épidémie de grippe, avec des pertes évaluées à près d’un demi-million de personnes. La lutte contre les autres grandes épidémies, surtout la maladie du sommeil, sera inspirée des expériences brésiliennes et de l’Afrique équatoriale française.

Mortalité sur les chantiers, coups assénés : le sort des Congolais provoque l’indignation dans les sphères catholiques et libérales.

Les transformations profondes s’accompagnent d’une évolution rapide de la société. La structure sociale des coloniaux se modifie. Les militaires, commerçants et religieux d’avant 1910 laissent la place à un nouveau corps de fonctionnaires issus de l’Ecole coloniale supérieure d’Anvers et à la présence importante des missions catholiques. Les femmes accompagnent davantage leurs époux.

Le quadrillage politique des populations africaines en chefferies, zones économiques, zones culturelles, plus adapté aux Etats européens qu’aux réalités locales, accentue les fractures. Au début des années 1920, des mouvements chrétiens noirs comme le kimbanguisme illustrent une forme de résistance et de conscience politique et sociale dans un milieu perturbé par des tensions multiples. Dépourvues face à un mouvement de masse pacifique, les autorités coloniales répondent par la répression. L’anxiété apparaîtra aussi face aux mouvements de conscience noire qui se développent après la guerre à travers la diaspora africaine et afro-américaine. Un arsenal législatif et la censure accentuent la ségrégation raciale dans les lieux de rencontre urbains, les magasins, les cinémas ou les bars. La moralisation de la société coloniale blanche et noire est en marche, avec l’assentiment et le soutien de l’Eglise catholique.

Début des services de santé à l'UMHK : deux infirmières et leurs auxiliaires africains, Elisabethville, avril 1918.
Début des services de santé à l’UMHK : deux infirmières et leurs auxiliaires africains, Elisabethville, avril 1918.© COLLECTION MRAC TERVUREN ; PHOTO E. GOURDINNE, 1918

 » L’AVENIR DU CONGO MENACÉ « 

En 1919, Alexandre Delcommune publie un manifeste intitulé L’avenir du Congo menacé. Il dresse le bilan des dix premières années de l’administration coloniale belge et vise à apporter des solutions pour sortir le Congo de l’ornière. Ancien commerçant du bas-fleuve et connaisseur de l’économie marchande informelle durant le régime léopoldien, puis administrateur-délégué au sein de nombreuses sociétés du puissant holding de la Compagnie du Congo pour le commerce et l’industrie, il plaide pour des réformes économiques profondes, convaincu de l’épuisement des pratiques anciennes. Selon lui, la rationalisation de la production et des échanges dans une économie de marché moderne va de pair avec la prise en compte du bien-être et des intérêts des populations, notamment par le biais de leur éducation matérielle et morale, de mesures prophylactiques contre la maladie du sommeil, d’application de pressions  » paternelles  » au niveau de l’impôt et d’une certaine liberté commerciale. Sans des mesures adaptées, la colonie sera bientôt un territoire dépeuplé, soumis à de grandes injustices et qui ne provoquera que méfiance et haine. En tant que Belge, l’auteur estime avoir fait son devoir pour signaler les dangers réels de la politique coloniale affaiblie par la guerre et proposer les remèdes pour  » faire du Congo une colonie digne de la Belgique « .

LA CONSCIENCE NOIRE

Paul Panda Farnana représente une figure importante mais méconnue des débuts du nationalisme congolais et des mouvements de conscience noire. Emmené en Belgique par Jules Derscheid, il est le premier Congolais diplômé en 1909 d’une école technique (agricole) supérieure en Belgique. Engagé comme volontaire de guerre, il participe à la bataille de Namur avec le Corps (blanc !) des Volontaires congolais. Après sa libération de la prison allemande de Soltau, il devient secrétaire de l’Union congolaise, une association d’entraide des combattants et civils natifs du Congo, sous tutelle des milieux coloniaux et soutenu par le socialiste Emile Vandervelde. L’érection d’un monument au Soldat inconnu congolais est plusieurs fois revendiquée afin de marquer la dette de la Belgique à l’égard de la Force publique. En 1920, il participe activement au 1er Congrès colonial belge, où il propose d’associer des Congolais à la direction politique et à l’éducation de leur pays. Il se rapproche de W.E.B. Du Bois, un Afro-américain à la tête de la National Association for the Advancement of Colored People qui prône le retour de la diaspora noire dans une Afrique libérée du joug colonial. Avec le soutien de celui-ci, de Paul Otlet et de Henri La Fontaine, internationalistes et pacifistes convaincus, il participe en 1921 à Bruxelles à une session du Congrès panafricain au nom du comité belge  » Les Amis des Noirs « . Il y propose notamment d’envoyer en Belgique des  » sujets d’élite « . Ses aspirations seront brisées par sa mort prématurée au Congo en 1930.

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