Mike Hoare, le mercenaire qui citait Shakespeare et haïssait les communistes
Peu de gens pleureront la mort de Mike Hoare, et c’est compréhensible : « Mad Mike » incarnait le mercenaire blanc dans le Congo nouvellement indépendant. Il citait Shakespeare, sauvait des prêtres et des religieuses belges, et détestait les communistes. Et ses troupes commettaient des massacres.
« Mike Hoare vivait dans la conviction qu’on tire un meilleur parti de la vie en vivant dangereusement », se souvient son fils Chris. « Il est donc d’autant plus remarquable qu’il ait vécu jusqu’à plus de 100 ans. » L’homme est mort le 2 février à Durban, en Afrique du Sud, dans une maison de repos.
D’origine irlandaise, Hoare était plutôt petit, certainement pas imposant de par sa stature. Il combat dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, y connaît trop peu d’action à son goût et accède au grade de major, avant que la paix l’oblige à chercher un autre emploi. Il trouve un poste de comptable en Afrique du Sud. Mais Hoare ne se passionne pas pour le métier de comptable. Il tente de rendre sa vie plus intéressante en organisant des expéditions et des safaris.
Lors d’un de ces safaris, il se plaint à l’un de ses clients du manque d’aventure dans sa vie. Il s’avère que l’homme en question travaille pour la CIA. Il attire l’attention de Hoare sur une offre d’emploi lucrative au Congo, où la société minière belge Union Minière finance des mercenaires. Ainsi, en 1961, Hoare se retrouve chef d’un petit contingent de mercenaires dans le guêpier qu’est le Congo.
Le Congo a accédé à l’indépendance un an auparavant. La riche province du Katanga a fait sécession sous l’impulsion de Moïse Tshombe. Hoare allait aider à défendre ce Katanga indépendant. Au bout de quatre mois, les forces de maintien de la paix des Nations unies émettent un mandat d’arrêt contre des mercenaires. Hoare et ses hommes doivent fuir pour sauver leur vie. Deux de ses hommes meurent dans des conditions atroces.
La première aventure d’Hoare est une débâcle
Trois ans plus tard, en juillet 1964, les cartes sont rebattues. Le Katanga n’est plus indépendant. Le mouvement Simba, une sorte de rébellion paysanne soutenue par la drogue et la magie (et plus tard soutenue par le bloc communiste), conquiert de grandes parties du pays, et l’armée nationale du Congo ne fait pas le poids. Contre toute attente, Moïse Tshombe, le président déchu du Katanga est nommé Premier ministre du Congo. Il promet de mettre de l’ordre en quelques mois. Les gouvernements belge et américain conviennent qu’une armée de mercenaires est « la seule solution possible » – selon les termes du colonel belge Frédéric Vandewalle.
Cette fois, la CIA dépense sans compter. Hoare est autorisé à recruter 300 hommes, et incarne la force mercenaire pour le monde anglo-saxon. Le Français Bob Denard et le Belge Jean Schramme deviennent les autres chefs de file des mercenaires.
Hoare s’entend bien avec Tshombe. Il le connaît depuis ses mois au Katanga. Mobutu, le commandant en chef de l’armée congolaise, est un partenaire moins évident. Mobutu ne fait pas le poids face à une armée de mercenaires blancs et nie d’ailleurs longtemps le recrutement de mercenaires. « J’ai eu l’impression qu’il n’appréciait pas ma présence », écrit Hoare. Les mercenaires sont la preuve vivante que son armée est incapable de faire face à la rébellion. « J’ai compris que notre relation devait être gérée avec tact. »
« Les affreux »
Lors de sa précédente intervention au Katanga, Mike Hoare affirme avoir pris conscience de la mauvaise réputation des mercenaires au Congo. On les appelait « les affreux ». C’était surtout la faute des mercenaires belges et français, qui « se promenaient avec une barbe de quatre jours, se soûlaient, portaient des shorts d’où leurs couilles pendaient … ». Leurs chaussettes tombaient. Leur langage était grossier. Ils étaient également « inutilement armés » en dehors du travail et dans la vie nocturne.
Dans le nouveau projet, au service d’un État reconnu, Hoare impose des règles plus strictes à ses hommes : « Se raser tous les jours. Toujours en uniforme. Pas de viol. Traitez bien les prisonniers – s’ils se comportent bien. » Défilé le dimanche. Mais surtout : un entraînement régulier, et un comportement coordonné, comme cela se produirait dans une unité ordinaire de l’armée.
Il appelle son groupe Les Oies Sauvages, en référence à une armée de mercenaires irlandais du 18e siècle. Il essaie également d’interdire le terme de mercenaire et de le remplacer par le terme plus convivial de « volontaire ». Il n’y est jamais parvenu.
Tout cela – la discipline britannique, la dénomination, l’atmosphère de raison – correspond aux projets de Hoare de faire de son armée de mercenaires une cause permanente : une puissance qui pourrait être déployée à la demande des régimes anticommunistes. Car deux choses sont plus importantes pour lui que l’argent, écrit-il : l’aventure et l’idéologie. Le communisme est son grand ennemi, la « maladie insidieuse qui progresse », « le plus grand cancer que le monde ait jamais connu ».
Évidemment, l’argent joue un rôle. Hoare, selon ses propres calculs, gagne environ quatre fois plus que ce qu’il aurait eu en Afrique du Sud. Ses hommes gagnent environ la moitié de ses revenus. Leur assurance est minutieusement élaborée. Par exemple, ses hommes savent combien ils percevraient si un bras est touché. Le bras d’écriture vaut plus que l’autre bras – pour chaque mercenaire, on déterminait à l’avance quel bras coûte le plus cher.
Pendant un certain temps, tout cela semble parfait pour ses financiers. L’attaché militaire américain Knut Raudstein écrit que ceux qui soutiennent Tshombe « peuvent s’estimer heureux d’avoir quelqu’un qui a le tempérament, le caractère et les capacités de Hoare ». Des journalistes américains témoignent que l’armée de mercenaires de Hoare se comporte effectivement mieux que la moyenne, du moins tant que Hoare lui-même est présent. Hors de son champ de vision, les incidents se multiplient.
Hoare y est pour quelque chose. Il recrute des personnalités qui dès que les choses se gâtent partent dans tous les sens.
Ses hommes portent des crânes d’opposants tués et les attachent à leurs véhicules. Au moins l’un d’entre eux essaie de vendre ces crânes comme souvenirs. Les mercenaires des Oies sauvages pillent. Ils pratiquent la torture et le viol. Les prisonniers désarmés sont humiliés, menacés, abattus sans pitié. Dans un rapport, la CIA énumère les « excès graves » : « vol, viol, meurtre et coups ». Les médias italiens et britanniques font état de meurtres et de tortures commis par des mercenaires. Il ne faut pas chercher loin sur YouTube pour trouver des preuves.
Lors de sa précédente mission au Katanga, Hoare avait déclaré qu’il oeuvrait à ce qu’un mercenaire qui avait torturé et abattu un prisonnier soit condamné à mort par une cour martiale. Mais l’homme a été acquitté. Dans le cadre de sa nouvelle mission, un de ses « volontaires » tue une Congolaise qu’il avait violée. Hoare savait, dirait-il plus tard, que ses hommes ne le prendraient pas s’il faisait exécuter l’auteur. Il opte pour une « peine alternative ». L’homme était un footballeur professionnel. Hoare lui fait arracher les gros orteils.
Mad Mike
Hoare et son armée sont des dons du ciel pour les machines de propagande du conflit. Presque toute l’Afrique noire est en mode d’indépendance. Tshombe se rend impopulaire en recrutant des mercenaires blancs dans les bastions racistes de Rhodésie et d’Afrique du Sud.
Hoare, au cours d’une conversation avec l’attaché militaire américain Raudstein, qui devait donner son avis sur lui, se présente comme un « modéré », quelqu’un qui désapprouve « certains concepts » du régime d’apartheid. Mais cette modération est une question de forme plutôt que de contenu. Lorsque des mercenaires noirs se présentent, Hoare les refuse résolument, écrit Piero Gleijeses, de l’Université Johns Hopkins. Dans son livre Conflicting Missions, Gleijeses cite la réponse écrite de Hoare : « Nous n’engageons que des mercenaires blancs ». Nous allons montrer de quoi un petit groupe d’hommes blancs déterminés est capable », dit-il plus tard à ceux qui ont été engagés. Il travaille sur l’avenir de « l’homme blanc » en Afrique, et voit en Tshombe un allié et une garantie pour une présence blanche durable en Afrique noire.
Hoare engage l’ancien sergent de la Wehrmacht Siegfried Müller, et l’autorise à porter sa Croix de Fer. Dans un film de propagande communiste est-allemand, « Kongo Müller » symbolise des horreurs infligées par les mercenaires au Congo. Hoare est décrit à la radio est-allemande comme le « limier fou Hoare ». Depuis, il est surnommé « Mad Mike ».
De l’autre côté du spectre de la propagande, on écrit beaucoup sur les horreurs causées par les Simba, les exécutions d’opposants, de Congolais instruits, les viols de religieuses.
Sur le champ de bataille, les mercenaires s’en sortent plutôt bien. Ils sont bien armés ou du moins mieux armés que les Simbas. Ils bénéficient d’un soutien aérien organisé par les États-Unis et avancent rapidement vers Stanleyville (plus tard Kisangani), la capitale des rebelles.
Les Simba constatent que malgré leur protection magique, ils ne sont pas invulnérables, et qu’ils perdent la lutte.
Alors qu’ils sont contraints de se retirer militairement, les rebelles prennent en otage des résidents blancs, et même des Pères et des religieuses. Les chiffres sont très contestés, mais quelque deux mille otages américains et surtout européens (belges) auraient été détenus, ainsi que plusieurs centaines de Congolais.
La Belgique décide d’intervenir et de lâcher des parachutistes pour délivrer les otages. Pendant que les parachutistes belges sont en action, des mercenaires et l’armée gouvernementale conquièrent la ville.
C’est pour Hoare un moment de triomphe, mais c’est en même temps le moment où s’efface le vernis de la civilisation. Lui et ses mercenaires sont accompagnés d’un photographe alors qu’ils passent les quartiers au peigne fin à la recherche d’otages. Le photographe capture les visages blancs en larmes et profondément reconnaissants. Certains prisonniers libérés présentent encore des signes de mauvais traitements. Hoare, touché par une éraflure, porte un pansement sur le visage. C’est devenu, selon l’un de ses mercenaires, « le pansement le plus usagé de tous les temps ».
Le bain de sang de Stanleyville
La conquête de Stanleyville dégénère rapidement en massacre de Stanleyville. Les mercenaires de Mobutu et l’armée gouvernementale assassinent tous ceux qui sont soupçonnés de sympathie pour les rebelles de Simbare. Les représailles sont interrompues pour des séances de pillage. On fait sauter les coffres des banques, les magasins d’alcool sont vidés. Les lions du zoo sont chassés dans la rue.
« Je sais que mes hommes pillaient », dira plus tard Hoare, « mais avec toute l’horreur qui m’entourait, je ne voyais aucune raison d’intervenir. Pas après ce que j’avais vu. » Face à un journaliste, il qualifie cependant ses hommes, officieusement, d' »abominable racaille ».
La manière de diffuser les événements dans les médias occidentaux avantage Hoare. Les otages libérés font la une des journaux. Hoare, avec son pansement, est considéré comme un héros. Dans la plupart des médias occidentaux, le pillage, les représailles et le massacre des Congolais sont tout au plus des informations de seconde ligne.
« L’opinion publique occidentale », écrit Le Monde, « est plus sensible à la mort d’un Européen qu’à la mort de vingt Noirs ».
Dans les jours qui suivent la libération de 2000 otages, les Simbas « ont tué quatre-vingt-dix religieux à l’intérieur du pays par vengeance », écrit David Van Reybrouck dans son livre Congo : « Le nombre de morts du côté congolais n’a jamais été établi ».
Après Stanleyville, Hoare désire démissionner. « Je ne voulais plus rien avoir à faire avec ce misérable pays. J’avais fait mon temps, j’étais à bout de forces. »
Mais Tshombe et Mobutu le persuadent et lui offrent une grosse somme d’argent. Selon son fils Chris, c’était le facteur décisif – Hoare ne s’est peut-être pas surtout battu pour l’argent, mais l’argent a bel et bien joué un rôle.
Au bout de 18 mois, les Simba sont battus. Tshombe est encore écarté. Mobutu prend le pouvoir. Che Guevara, qui a d’abord dénoncé les horreurs de l’intervention belge à Stanleyville et des mercenaires pour l’ONU, se rend avec un groupe de Cubains au Congo pour soutenir la lutte des Simba. Après plusieurs mois, il bat en retraite.
Richard Burton
Les tentatives de Hoare de se déplacer avec son armée – au Nigeria, en Angola, peut-être même en Thaïlande – ne donnent rien. Mais il connaît un autre type de succès. Il donne des conférences aux États-Unis. Il devient conseiller pour un film inspiré ses expériences au Congo – Les Oies sauvages, avec Richard Burton, Roger Moore et Richard Harris dans les rôles principaux. Rétrospectivement, il est intéressant de voir en quoi le film diffère de la réalité. Dans le film, son alter ego Burton recrute des noirs, bien que le racisme soit un thème de son armée. Et ils ne libèrent pas de prêtres et de religieuses belges, mais un dirigeant africain éclairé. Politiquement, Burton ne se fait aucune illusion. Quoi qu’il en soit, Hoare est enchanté. Il affirme que Burton a fait retirer le langage obscène du film sur ses conseils, et que grâce à lui, Burton se tient au milieu de ses hommes et ne leur parle pas d’en haut. L’image des mercenaires reste une priorité pour lui. Il discute – un moment fort de sa vie – de Shakespeare avec le célèbre acteur.
Après le film, il accorde une interview au Washington Post. Il aurait voulu vivre à l’époque de Francis Drake, suggérait-il, le capitaine britannique du XVIe siècle, marchand d’esclaves et corsaire, qui avait ravagé la flotte espagnole pendant la guerre anglo-espagnole. « Partir naviguer, piller les Espagnols. Après avoir rapporté le butin à la reine Elizabeth, vous vous agenouilliez devant elle et elle vous sacrait chevalier. « Vous étiez respectable – même si vous étiez un voleur. » Après le film, sa carrière décline.
En 1981, Mike Hoare, alors âgé de 62 ans, tente d’organiser un autre exploit militaire. Les Seychelles sont sous régime socialiste, et Hoare, au su et d’après lui avec le soutien du gouvernement sud-africain, souhaite renverser ce régime. Un groupe de ses partisans prend l’avion, soi-disant pour faire la fête avec les membres d’un club de rugby. À l’aéroport, on découvre que les passagers portent des armes. Un incendie éclate, le groupe détourne un avion et retourne en Afrique du Sud bredouille. Là, Hoare et ses hommes sont condamnés (pour le détournement de l’avion, pas pour la tentative de coup d’État) par le régime d’apartheid qui nie toute implication. Hoare est condamné à dix ans de prison, mais est libéré après moins de trois ans.
Après sa libération, il refuse des offres de conférences aux États-Unis. Selon son fils, il comprend que les temps ont changé et qu’il est de plus en plus difficile de justifier l’engagement de mercenaires (blancs) en Afrique.
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