Meurtres politiques: les sanglantes années 1930
Entre les deux guerres, les groupes d’extrême droite ont le vent en poupe. Ils n’hésitent pas à recourir à la violence pour prendre et garder le pouvoir. Des régimes autoritaires ou dictatoriaux s’établissent au Japon, en Allemagne, en Autriche, en Yougoslavie et en Espagne.
LA VALLÉE OBSCURE
Dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale, le Japon n’avait qu’une expérience limitée de la démocratie parlementaire. L’esprit de caste traditionnel des guerriers samouraïs était encore vivace dans toutes les strates des forces armées. Tandis que la plupart des officiers subalternes considéraient que tous les politiciens étaient corrompus, de nombreux militaires furent aisément influencés par les idées de Kita Ikki qui avait mis au point un fascisme à la japonaise. Kita et ses disciples rêvaient d’une dictature militaire avec l’empereur en figure de proue.
Avant même la Première Guerre mondiale, le Japon s’était approprié la Corée et Formose (aujourd’hui Taiwan). Par ailleurs, les Alliés avaient cédé à Tokyo la gestion de certains archipels stratégiques de l’océan Pacifique pour remercier le pays de son support pendant la guerre. Le commandement des armées japonaises ne s’en satisfit pas et manoeuvra pour annexer des régions de la Chine, à commencer par la province nord-orientale de Mandchourie.
En septembre 1931, des unités japonaises envahirent la ville portuaire de Mukden à l’insu du gouvernement et, au début de l’année suivante, des combats eurent lieu jusqu’à Shanghai. Déjà âgé, le Premier ministre Inukai Tsuyoshi considérait qu’il fallait trouver un arrangement avec la Chine. Mais les militaires restaient convaincus qu’ils étaient seuls responsables, avec l’empereur, de la politique étrangère et qu’il fallait poursuivre l’approche agressive de la Chine.
Dans le but d’intimider Inukai, huit cadets de la marine impériale se rendirent à sa résidence le 15 mai 1932. Ils se répartirent en deux groupes et se frayèrent un chemin vers son bureau. Le Premier ministre fit un geste d’apaisement. Mais en vain. Les cadets tirèrent plusieurs salves qui lui coûtèrent la vie. Ce meurtre ne fut pratiquement pas sanctionné.
Les actes de violence contre les politiciens modérés se succédèrent. En 1934, des extrémistes manigancèrent même un plan pour bombarder les immeubles gouvernementaux mais cet attentat fut déjoué. Le point culminant eut lieu la nuit du 25 au 26 février 1936 durant une terrible tempête de neige. Diverses unités d’infanterie quittèrent leurs casernes et se rendirent aux domiciles du Premier ministre et de quelques autres politiciens qui figuraient sur leur liste noire.
Partout, des portes furent forcées et les habitants, des hommes âgés pour la plupart, furent passés par les armes. Seul le Premier ministre, l’amiral Okada, échappa à la mort parce que les agresseurs l’avaient confondu avec son beau-frère.
Les soldats détachés pour la circonstance n’avaient aucune idée de la suite à y donner. A leur grande surprise, l’empereur les informa qu’il ne pouvait pas fermer les yeux sur leur mutinerie et qu’ils devaient rendre leurs armes. Pendant quatre jours, les mutins restèrent face à face avec les soldats dépêchés pour rétablir l’ordre. Ce n’est qu’alors qu’ils se rendirent. Un capitaine se tira une balle dans la tête, les autres officiers passèrent en cour martiale. Treize d’entre eux furent condamnés à mort et exécutés.
Bien que ces événements aient considérablement terni l’image de la classe militaire, celle-ci garda son influence et les politiciens ne purent empêcher les militaires de précipiter le Japon dans la guerre cinq ans plus tard (Pearl Harbor, décembre 1941).
LA NUIT DES LONGS COUTEAUX
Dans les premières années de la république de Weimar, ce sont surtout des milices d’extrême droite qui rendaient dangereuses les rues d’Allemagne. Si leurs victimes les plus célèbres furent les politiciens Erzberger et Rathenau, on put en dénombrer quantité d’autres. La plupart des milices finirent par se fondre en un commando de choc, la SA (SturmAbteilung ou Section d’Assaut). La SA fut impliquée dans la guerre des rues contre les communistes, » le contrôle des rues étant la clé du pouvoir absolu « .
Avec Röhm à sa tête, la SA multiplia par quatre le nombre de ses adeptes : de 100 000 à 400 000. La SA était ainsi devenue une véritable armée qui pouvait rivaliser avec la Wehrmacht, l’armée officielle. Alors que les soldats de métier considéraient les SA comme des véritables casseurs, Röhm rêvait de fusionner la SA avec la Wehrmacht pour former une nouvelle armée révolutionnaire dont il prendrait le commandement.
Après la prise de pouvoir de Hitler au début de 1933, Röhm veilla à ce que la SA et les SS (la SchutzStaffel – escadron de protection – qui était, à l’origine, la garde rapprochée de Hitler) fournissent les effectifs de la police antiémeute spéciale nouvellement constituée. Ainsi, les champions de la terreur urbaine devinrent les responsables de l’ordre. Ils pouvaient dissoudre impunément les rassemblements d’opposants politiques à coups de matraque et veillaient à ce que quiconque qui avait l’audace de se plaindre des violences ou des intimidations des nazis se retrouvent face à leurs bourreaux.
Mais des dissensions surgirent rapidement entre Hitler et Röhm. Le chancelier de l’Etat voyait de plus en plus Röhm comme un concurrent qui se profilait ouvertement comme tel. Röhm trouvait notamment que les nationaux-socialistes devaient prêter une plus grande attention à la révolution sociale. Lors d’un entretien privé avec Röhm, le 4 juin 1934, le Führer tenta de le faire changer d’avis, mais en vain. Un nouvel entretien fut fixé au 1er juillet, mais il n’eut jamais lieu. Göring, Himmler (chef de la SS) et Goebbels convainquirent Hitler que Röhm fomentait un coup d’Etat. Des troupes d’élite furent dépêchés aux quatre coins du pays pour procéder à quelque 150 arrestations. En ligne de mire, non seulement la tête de la SA, mais tous les opposants au régime. Ces événements entreraient dans l’histoire sous le nom de la Nuit des Longs Couteaux.
Aux premières heures du matin du 30 juin, Hitler partit avec Goebbels et un groupe de SS à Bad Wiessee, dans les Alpes bavaroises, où Röhm résidait dans un hôtel avec ses principaux collaborateurs. Le Führer était présent lorsque Röhm fut tiré du lit. Ce jour-là et les jours suivants, ce sont 80 chefs de la SA ainsi que quelques dizaines d’autres personnes qui furent passés par les armes sans autre forme de procès. Röhm obtint le privilège de mourir » honorablement » : un pistolet chargé fut posé dans sa cellule. Comme il n’en avait pas encore fait usage deux jours plus tard, il fut abattu, purement et simplement. Il semble que Röhm ait pensé jusqu’au dernier moment qu’il s’agissait d’un épouvantable malentendu. Ses derniers mots furent » Vive le Führer « .
DES VIOLENCES NAZIES EN AUTRICHE
Six semaines après la Nuit des Longs Couteaux, les nazis se manifestaient cette fois dans un pays voisin, l’Autriche, en commettant un meurtre spectaculaire. La victime était le chancelier Engelbert Dollfuss, menacé depuis un moment déjà.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il existait en Autriche, surtout dans la partie occidentale, un mouvement de fond qui souhaitait une annexion à l’Allemagne. C’est ainsi que 99 % de la population des Länder du Tyrol et de Salzbourg s’étaient dits favorables à une fédération avec la république de Weimar lors d’un référendum au printemps de 1921.
Dans les années qui suivirent, les deux partis les plus forts, les sociaux-démocrates et les démocrates-chrétiens, se trouvaient en équilibre et se partageaient généralement la responsabilité gouvernementale. Pendant un temps, il ne fut plus question d’une fusion avec l’Allemagne, notamment parce qu’un tel projet n’aurait jamais été approuvé par les Alliés, vainqueurs de la Première Guerre mondiale.
Lors des dernières élections libres avant la Seconde Guerre mondiale, celles de 1930, les nationaux-socialistes autrichiens remportèrent à peine 3 % des voix. Mais quand les nazis prirent le pouvoir en Allemagne, leur popularité augmenta aussi sensiblement en Autriche. Sur la base des résultats de quelques élections provinciales, on estime qu’au début de 1934, 25 à 50 % de la population leur étaient favorables. Pour maintenir en place son gouvernement vacillant, le chancelier démocrate-chrétien Dollfuss avait mis le parlement hors-jeu en 1933, gouvernant par décrets.
Sans doute inspirés par la Nuit des Longs Couteaux, les nazis autrichiens pensaient procéder de même avec Dollfuss. Le 25 juillet 1934, deux groupes se préparèrent à prendre le pouvoir à Vienne. Le premier occupa l’immeuble de la radio et informa la population que le gouvernement avait démissionné. Le second se rendit à la résidence officielle du chancelier. Il y trouva, non pas l’ensemble du gouvernement comme il s’y attendait, mais seulement Dollfuss. En effet, les ministres avaient quitté le bâtiment quand avait circulé la nouvelle de l’imminence d’un coup d’Etat. Le chancelier fut abattu dans son bureau. Bien que grièvement blessé, il ne reçut pas de soins médicaux. Il mourut quelques heures après l’attentat.
Entre-temps, les occupants de l’immeuble de la radio s’étaient rendus. Quelques heures plus tard, les assassins de Dollfuss furent assurés d’un laissez-passer pour l’Allemagne, mais ils furent arrêtés quand ils se rendirent. Les nazis avaient échoué. La tentative de coup d’Etat fut condamnée d’abord par Mussolini et ensuite par Hitler. Quatre ans plus tard, lors de l’ Anschluss de 1938, Hitler put annexer son pays natal sans coup férir.
LE MEURTRE D’ALEXANDRE DE YOUGOSLAVIE
L’année 1934 fut marquée par une succession d’assassinats politiques spectaculaires. Deux mois à peine après l’assassinat de Dollfuss, le roi de Yougoslavie Alexandre Ier était abattu au début d’une visite d’Etat en France, sous les yeux de milliers de personnes, dans la rue la plus animée de Marseille.
Le nouveau royaume ne fut pas un mariage heureux. Ses divers composants avaient trop longtemps pu, ou dû, suivre leur propre destin. Après quelques mois déjà, les Croates commencèrent à exiger une plus grande autonomie. La jeune démocratie parlementaire passa rapidement d’une crise politique à l’autre et la violence ne se fit pas attendre. En 1929, en pleine session plénière du Parlement, un député serbe ouvrit le feu sur ses collègues. Deux Croates moururent aussitôt, et leur leader, Stjepan Radic, décéda quelques jours plus tard.
Le roi Alexandre profita du chaos qui s’ensuivit pour asseoir une dictature personnelle en janvier 1929. Il abolit la constitution et le Parlement, interdit les partis politiques et modifia le nom du pays en royaume de Yougoslavie.
Les Croates menèrent une opposition farouche contre la domination serbe et la dictature royale. Le mouvement des Oustachis (les insurgés), organisé sur le modèle fasciste, ne se priva pas de recourir à la violence. Il bénéficiait du soutien financier de Mussolini et opérait au départ de l’Italie. L’annonce d’une visite officielle d’Alexandre Ier à la France au début d’octobre 1934 lui parut l’occasion rêvée d’en découdre avec le roi dictateur.
Quatre terroristes se rendirent d’Italie en Suisse pour passer ensuite en France. La mission n’était pas simple, car les Français surveillaient de près les frontières suisse et italienne et craignaient les infiltrations d’agents oustachis. Une fois à Genève, le quatuor était attendu par le terroriste croate Eugen Dido Kvaternik. Deux bateaux à moteur loués les amenèrent à Thonon-les-Bains, sur la rive française du lac Léman. Ils partirent ensuite pour Paris où ils mirent au point les derniers détails de l’opération. Deux terroristes iraient attendre le roi à Marseille. En cas d’échec, leurs deux collègues restés à Paris trouveraient l’occasion de passer à l’action.
Dans l’après-midi du 9 octobre, le croiseur Dubrovnik s’amarra dans le port de Marseille. Alexandre y fut accueilli par le ministre français des Affaires étrangères, Louis Barthou. Acclamée par la foule, la suite du roi monta à bord d’une Delage, une luxueuse marque française. Le cortège se rendit par le centre-ville à la préfecture où était prévue une réception. Le roi et son hôte prendraient ensuite le train pour Paris le soir même.
Curieusement, la surveillance de tout l’événement fut déplorable. Il y avait le long du parcours moins d’agents que prévu, sans parler de la très médiocre sécurisation de la voiture utilisée. Sous ses dehors impressionnants, la Delage n’était pas blindée et elle circulait décapotée.
Au milieu de la Canebière, l’artère principale de la ville, le tireur d’élite bulgare et instructeur des Oustachis Vlado Tchernozemski se détacha de la foule. Tout en criant » Vive le roi Alexandre « , il sauta sur le large marchepied de la Delage, sortit un pistolet et tira à plusieurs reprises sur ses trois passagers, le roi Alexandre, le ministre Barthou et le général George. Dans le chaos, la police paniquée fit feu et blessa plusieurs spectateurs. Il se peut même que Barthou ou George aient été touchés par des balles des policiers. Le roi Alexandre fut quasiment tué sur le coup. Le ministre Barthou ne fut atteint qu’au bras mais mourut exsangue par faute de soins rapides.
L’agresseur ne survécut pas non plus à l’attentat. D’abord frappé à coups de sabre, Tchernozemski reçut ensuite une balle dans la tête puis fut lynché par la foule en colère. Les trois autres terroristes impliqués dans le complot furent arrêtés et condamnés à perpétuité. L’organisateur de l’opération, Eugen Kvaternik, parvint à gagner l’Italie mais fut condamné à mort par contumace.
LE PROLOGUE DE LA GUERRE D’ESPAGNE
Dans l’entre-deux-guerres, l’Espagne connut plusieurs changements de régime. En 1923, un coup d’Etat réalisé avec la bénédiction du roi Alphonse XIII avait installé le fasciste José Primo de Rivera au pouvoir. La dictature de Rivera et le règne d’Alphonse prirent fin en avril 1931 lorsque la république fut proclamée pour la deuxième fois dans l’histoire du pays.
Initialement, la jeune république semblait promise à un bel avenir. Les partis de centregauche remportèrent une victoire confortable aux élections de juin 1931 et ne tardèrent pas à mettre en oeuvre une ambitieuse réforme agricole et à rendre les régions autonomes, la Catalogne en tête. Malgré toutes les intentions louables, le processus de réforme traîna. Les résultats des élections de la fin 1933 vinrent compliquer les choses : la droite emporta 207 sièges, le centre 167 et la gauche 99. Avec l’aide de la droite, un gouvernement centriste fut mis en place et, au cours des deux années suivantes, les réformes de la gauche furent annulées.
Mais le pays devint peu à peu ingouvernable. En vue des nouvelles élections de février 1936, une sorte de front populaire fut formé, une large coalition de formations de gauche et de syndicats qui réussit à s’arroger la victoire. Mais bientôt, le pays sombra à nouveau dans le chaos : les domaines des grands propriétaires fonciers furent occupés, les églises et les monastères brûlés. Dans les quatre premiers mois, on dénombra pas moins de cent grèves générales.
L’Espagne vivait dans une vacance de gouvernance. Le gouvernement de gauche ne réussissait pas à réfréner ses propres éléments révolutionnaires et, sur le flanc droit du paysage politique, l’armée et la Phalange, un parti d’obédience fascisante, s’apprêtaient à prendre le pouvoir. Tous les Espagnols pressentaient qu’une confrontation entre la gauche et la droite était inévitable. Partout, la violence répondait à la violence.
Tout débuta le 12 juillet 1936 avec l’assassinat d’un officier communiste de la Garde d’assaut. Dès le lendemain, les troupes de la garde ripostèrent en enlevant José Calvo Sotelo, un membre éminent de la droite. Calvo Sotelo fut tué, probablement dans le camion dans lequel il fut enlevé. Plus tard, son corps fut jeté à l’entrée d’un cimetière. Pour la droite, la coupe était pleine. Le 17 juillet, au Maroc espagnol, Francisco franco et quelques autres généraux retiraient leur confiance à la république. La guerre d’Espagne avait commencé.
Peu après, Grenade fut le théâtre d’un assassinat qui choqua le monde entier. Il coûta la vie à l’un des plus grands poètes d’Espagne. Bien qu’il ne fût membre d’aucun parti, Federico García Lorca était réputé pour ses sympathies gauchisantes. De plus, son beau-frère, Fernandez Montesinos, était le bourgmestre socialiste de Grenade.
Au cours des premières semaines de la guerre civile, le contrôle des villes andalouses fut l’enjeu d’une lutte féroce dont Montesinos fut l’une des premières victimes. Lorca savait qu’après le meurtre de son beau-frère, il était lui aussi en danger. Il chercha refuge auprès d’un ami, le poète Luis Rosales dont le frère était phalangiste. Cet abri qui semblait idéal ne permit pourtant pas de sauver García Lorca. Trahi et découvert, il fut assassiné.
Par Marc Gevaert
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