Martin Luther King la mort d’un rêve

Le 4 avril 1968, le célèbre militant pour les droits civiques des Noirs aux Etats-Unis est assassiné à Memphis au cours d’une allocution publique. Le plus jeune lauréat du prix Nobel de la paix n’avait que 39 ans.

Sa voix était la mauvaise conscience de l’Amérique. Elle s’est tue, jeudi dernier (NDLR : le 4 avril 1968), à Memphis, Tennessee, la capitale du coton. Ce jour-là, à 19 h 05, le pasteur Martin Luther King, 39 ans, héros des droits civiques, prophète de la non-violence et prix Nobel de la paix, est mort assassiné. Sur le front des races, en 1968, l’Amérique attendait le pire. Le pire est arrivé. En moins de vingt-quatre heures, le président Johnson, au bout de sa plus longue semaine, lançait deux appels pathétiques à la nation, conjurant tous les Américains, blancs et noirs, de s’unir pour que ne se lève pas, de Los Angeles à New York, le drapeau noir de la violence :  » La fibre de l’étoffe même de la République est mise à l’épreuve.  » Pour toute réponse, l’extrémiste noir Stokeley Carmichael demandait à ses frères de race de saisir leurs fusils. A Washington, un policier blanc était assassiné. A Boston, à Raleigh, à Nashville, à Jackson, à Harlem, où patrouillaient 7000 policiers, à Memphis, où 4000 gardes nationaux étaient placés en état d’alerte, des bandes de Noirs, ivres de rage, saccageaient, pillaient, brûlaient. Avant que l’Amérique, dans un dimanche de deuil national, ne se regarde elle-même avec peur et consternation, le vice-président Humphrey avait tout dit :  » Une honte « . Il restait au maire de New York, John Lindsay, à recommander la prière. Au moment le plus chaud des émeutes de l’été 1967, le président Johnson avait déjà proclamé  » un jour national de prière et de réconciliation « , dont la seule conséquence avait été la mise en vente, par les brocanteurs de Harlem, de macarons :  » God is alive, but He is not involved  » ( » Dieu est vivant, mais cela ne le concerne pas « ).

J’ai rêvé qu’un jour, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens esclavagistes prendront place tous ensemble à la table de la fraternité

À MEMPHIS

Pour les Noirs, le temps n’est plus à la prière. La stupeur enregistrée après l’attentat contre le pasteur King a rapidement cédé le pas à la colère. A Washington, le Snick (Organisation des étudiants non violents) a lancé un appel à la grève générale. Les dirigeants du Core (Congrès pour l’égalité raciale) ont fait une proclamation :  » La non-violence a disparu avec King.  » Et James Meredith, le premier Noir qui entra à l’université du Mississippi, au prix de plusieurs émeutes, lui aussi un non-violent confirmé, a déclaré, après le crime :  » Voilà la réponse de l’Amérique à ceux qui utilisent la voie pacifique pour obtenir leurs droits dans ce pays.  » Pourtant, l’époque n’était pas loin où Martin Luther King lançait, à Washington, devant 200 000 manifestants, sa fameuse homélie :  » J’ai un rêve, un rêve profondément enraciné dans le rêve américain. Je rêve qu’un jour, sur les collines rousses de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens esclavagistes prendront place tous ensemble à la table de la fraternité.  » C’était le 28 août 1963. Walter Reuther, chef du tout-puissant syndicat des ouvriers de l’automobile, et Philip Randolph, un Noir élu président du syndicat des employés de wagonslits, participaient côte à côte à cette grande marche de Washington.  » Eh bien ! Philip, nous y sommes, avait dit Reuther à son compagnon. Pensez-vous que nous n’y parviendrions jamais ? – Oui, j’ai toujours eu la foi « , répliquait Randolph.

Martin Luther King la mort d'un rêve
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SUR LES ROUTES DU SUD

Qui ne l’avait pas, alors ? Le mouvement des droits civiques paraissait irrésistible. Depuis trois ans et sous l’impulsion de King, de jeunes Américains, noirs et blancs, se lançaient sur les routes du Sud pour conquérir, avec leur sang et leur courage, la justice promise. Dans les villes, tous les mouvements libéraux partaient à l’assaut de l’intégration. Le Congrès légiférait, la Cour suprême tranchait, l’Amérique tout entière, sous l’impulsion des présidents Kennedy puis Johnson, partait à l’assaut de la frontière des races. Mme Elsa Mae Booker, d’Atlanta, pouvait se rendre dans un restaurant jusqu’alors réservé aux Blancs et déclarer fièrement, par la suite :  » J’ai commandé une tranche de pastèque et j’ai dit au garçon, un Blanc : « Enlevez les pépins, s’il vous plaît » ». Les pépins sont restés. Les Noirs, bouclés dans les ghettos des villes, se sont peu à peu détachés de King et de sa non-violence, pour écouter la voix d’un autre prophète, Malcolm X, qui déclarait, avant d’être assassiné, lui aussi, le 21 février 1965 :  » Une majorité blanche n’acceptera jamais de se départir de ses privilèges en faveur d’une minorité noire, à moins qu’on ne l’y oblige par la violence.  » Débordé par les nouveaux extrémistes partisans du Pouvoir noir, les Rap Brown et les Stokeley Carmichael, Martin Luther King avait durci ses positions au cours des deux dernières années. Il rejetait la responsabilité de la violence, non pas sur les émeutiers des ghettos, mais sur  » la politique pratiquée par les Blancs « . Lui aussi avait fini par appeler les Noirs à des manifestations massives d’insubordination civique. Il s’était rangé résolument dans le camp des colombes parce qu’il pensait, comme James Tobin, l’économiste de Yale, que  » le beurre sacrifié aux dieux de la guerre devient toujours la margarine du pauvre « .

LES POUBELLES DE L’HISTOIRE

L’été brûlant 1968 a commencé le 30 mars, alors que le printemps avait à peine huit jours. Le pasteur King s’était rendu à Memphis pour organiser un défilé de soutien aux éboueurs de la ville (90 % sont noirs) en grève depuis sept semaines. En dépit de ses appels au calme, la manifestation s’était soldée par un mort, plusieurs dizaines de blessés, 146 foyers d’incendie… Pour le pasteur King, cette émeute prenait un aspect d’autant plus poignant qu’à l’échelle nationale, les extrémistes noirs prédisaient à son action  » les poubelles de l’histoire « . Martin Luther King a voulu prouver qu’ils avaient tort. Il s’était rendu une seconde fois à Memphis, jeudi dernier, pour préparer une autre manifestation, non violente celle-là. Mais, comme à Dallas quand Kennedy tombait, la violence a gagné.

A Atlanta, le 9 avril 1968, des milliers de personnes suivent le cortège des funérailles du pasteur assassiné.
A Atlanta, le 9 avril 1968, des milliers de personnes suivent le cortège des funérailles du pasteur assassiné.© PHOTO 12 / WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM

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