Ci-dessous : diplôme décerné aux décorés de la Médaille du prisonnier politique 1914-1918. © PIERRE-YVES RAYNIER. SOURCE: WWW.MEDAILLES1914-1918.fr

L’HÉROÏSME CIVIL LAISSÉ POUR COMPTE

A la différence de ce qui se produira après 1945, les civils ayant résisté clandestinement lors de la Grande Guerre ne seront jamais militarisés. Si la lutte pour l’obtention du statut militaire est un enjeu social, elle révèle également une différence de nature et de mentalité entre les deux conflits.

La résistance civile connaît une grande diversité en Belgique en 1914-1918. Des milliers de citoyens s’investissent clandestinement dans des groupes organisés de  » patriotes  » – le terme  » résistant  » n’existe pas encore. Au moins 6 500  » agents  » oeuvrent ainsi directement pour les services de renseignement des alliés, espionnant les mouvements des troupes allemandes ou participant à l’exfiltration des soldats isolés derrière les lignes. Moins directement impliqués dans les enjeux militaires, d’autres aident à diffuser la presse clandestine, principal moyen de contrer la propagande allemande, ou font circuler la correspondance avec le front, seul moyen de communication entre particuliers.

L’économie belge endommagée, le gouvernement fait tout pour éviter l’inflation victimaire.

La différence la plus notable entre les deux guerres mondiales est l’absence de résistance armée en 1914- 1918. Le refus de donner du crédit à la légende des  » francs-tireurs  » – propagée par les Allemands lors de l’invasion pour justifier les massacres de civils – explique en partie cette différence. Mais surtout, contrairement au second conflit, l’armée belge restera invaincue sur son propre territoire tout au long du conflit. Quiconque désire user d’armes pour refouler l’envahisseur peut s’évader de la Belgique occupée pour rejoindre l’armée de l’Yser. La configuration de la guerre reste traditionnelle, les armées conservant le monopole de la lutte armée.

La gloire de l’armée belge de 1918, victorieuse, sera sans commune mesure avec celle de 1945. Vaincue, cette dernière se voit de fait concurrencée par la résistance armée de l’intérieur, qui lui conteste sa légitimité. Alors que les  » combattants de l’intérieur  » du second conflit sont assimilés à l’armée, synonyme de pensions et de distinctions honorifiques, les  » patriotes  » de la Grande Guerre sont en revanche éclipsés par le prestige de leur armée, et négligés par l’Etat. Alors que les  » Jas  » ou  » piottes  » belges reçoivent des pensions et de multiples décorations, les  » résistants  » ne pourront prétendre qu’à des indemnités pour compenser leurs dépenses, voire à des pensions d’invalidité. Ces dernières sont vues comme des réparations de dommages, physiques ou matériels, subis par tout citoyen victime de la guerre. Il n’y a donc guère de place pour récompenser l’héroïsme civil. La division entre les soldats, auréolés du monopole de l’héroïsme, et les civils, éternelles victimes, est ainsi consommée. Les décorations créées à destination des civils renforcent également cette division : les déportés et les prisonniers politiques seront quasiment les seuls à obtenir une décoration spécifique, en tant que victimes plutôt que héros.

DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT

Le primat militaire de la reconnaissance par l’Etat belge s’explique aussi par sa faible influence sur les groupes de résistance civile organisés. Une concurrence farouche entre services de renseignement alliés en Belgique occupée a effectivement largement tourné en faveur des Britanniques, qui comptent de très loin le plus grand nombre d’agents belges. D’autre part, et pour cette raison, la Belgique considère que le premier devoir des jeunes hommes était de rejoindre l’armée nationale pour poursuivre la lutte dans les tranchées. L’armée belge a été confrontée à d’importantes difficultés de recrutement en étant coupée de son  » arrière « , et cette situation a créé des ressentiments à l’encontre de ceux qui sont perçus comme des  » planqués  » en Belgique occupée ou en exil.

Alors que les alliés français et britanniques sont disposés à un accord pour le versement de pensions à leurs agents belges, l’Etat belge refuse. Il est vrai qu’il doit faire face, bien plus que ses alliés, à un phénomène à la fois massif et diffus de revendications de la part des civils, ce qui constitue une nouveauté sociétale. Si l’on ajoute le fait que l’économie belge est bien plus endommagée que celle de ses voisins, on comprend que le gouvernement cherche à tout prix à éviter l’inflation victimaire. C’est aussi au même moment que l’Etat effectue timidement ses premiers pas vers l’interventionnisme social, qui ne débouchera sur la mise en place d’un Etat providence qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Les résistants de 1940-1945 seront dès lors aux premières loges de cette transformation.

Les décorations des  » patriotes « 

À l’issue du conflit, les civils ont accès à diverses distinctions honorifiques, qui peuvent être réparties en trois catégories :

Les décorations pour actes individuels exceptionnels. C’est le cas des décorations appartenant aux ordres de chevalerie (Ordre de Léopold, Ordre de la Couronne, etc.), ainsi que la Croix civique. Elles sont toutes antérieures à la guerre et récompensent les civils sur une base individuelle et exceptionnelle. Un certain nombre de  » résistants  » en seront ainsi honorés, sans que cela ne permette la mise en valeur de la grande majorité des membres des organisations clandestines.

Les décorations humanitaires, à destination des civils s’étant engagés dans les oeuvres de charité, telles la Médaille de la Reine Elisabeth, la Médaille du roi Albert, ou la Médaille du comité national. Elles ne concernent pas la lutte clandestine.

Les décorations à destination des victimes civiles de la répression allemande. Elles sont au nombre de deux : la Croix des déportés (1922) et la Médaille des prisonniers politiques (1930). Une exception à cet égard est l’insigne des agents belges des Services de renseignement militaires (1922), octroyé à la minorité des agents ayant oeuvré  » avec bravoure  » pour des services belges. Les bénéficiaires de ces trois décorations pourront également prétendre à certaines décorations militaires, sans toutefois bénéficier des avantages réservés à ce statut.

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