Un tankiste allemand capturé durant la bataille des Ardennes.

Les six erreurs du Führer

Les événements auraient pu se dérouler d’une tout autre manière, estime l’historien britannique Ian Kershaw dans Choix fatidiques. Dix décisions qui ont changé le monde 1940-1941. L’auteur de The Storm of War : A New History of the Second World War va même plus loin. « Si Hitler avait été aussi fin tacticien qu’il le pensait, il n’aurait sans doute jamais commis de telles  » erreurs « .

Novembre 1936 ALLIÉ AVEC MUSSOLINI

Lorsqu’en 1933, il devient chancelier du Reich, Hitler porte le dictateur fasciste d’Italie en haute estime. En novembre 1936, le Duce annonce la création de l’axe Rome-Berlin à la suite d’un accord amiable avec l’Allemagne. Les puissances de l’Axe sont nées. Rêvant de restaurer l’ancien Empire romain, Mussolini fait déferler en avril 1939 ses soldats, nombreux mais mal entraînés, en Albanie et en Grèce. Il veut ensuite continuer vers l’Egypte, mais sans tenir compte de la présence de forces anglohelléniques dans les Balkans et de troupes alliées en Egypte. En vertu de leur alliance, Hitler se doit donc de mobiliser ses propres unités pour sauver les Italiens de la défaite. Le manque de ces précieuses ressources militaires va retarder l’invasion de l’Union soviétique et différer l’opération Barbarossa à l’été 1941, l’armée allemande se retrouvant coincée au coeur de l’hiver russe avec des uniformes prévus pour une campagne d’été.

Lors de l’offensive, les porte-avions étaient miraculeusement absents de la base et la plupart des bâtiments coulés se trouvaient en eaux peu profondes

Mai 1940 LES MIRACULÉS DE DUNKERQUE

En mai 1940, l’armée allemande envahit les Pays-Bas, la Belgique et la France. En dix jours, les troupes d’Hitler atteignent la Manche. La guerre éclair a fonctionné à merveille. A Dunkerque, les Britanniques se retrouvent coincés comme des rats, le général allemand Ewald von Kleist étant posté avec des chars et deux divisions d’infanterie à quelques kilomètres à peine. En théorie, Dunkerque peut être prise dans la journée. Au lieu de quoi Hitler leur ordonne de faire halte à Gravelines, sur la rivière Aa, pour donner aux hommes un peu de répit après leur marche éreintante. Winston Churchill en parlera comme du « miracle de Dunkerque ». Cette décision fournit aux Britanniques une fenêtre inespérée pour déclencher l’opération Dynamo, soit l’évacuation des troupes, à grande échelle, vers l’Angleterre. Le vice-amiral Ramsay parvient à réunir une flotte combinée, britannique et française, de contre-torpilleurs, dragueurs de mines, patrouilleurs, cargos, bateaux de plaisance et même chalutiers privés. Du 26 mai au 4 juin 1940, cette armada de plus de 900 navires fera franchir la Manche à plus de 340 000 soldats et du précieux matériel militaire. Hitler vient de perdre une fameuse chance d’en finir une fois pour toutes avec l’armée britannique.

Benito Mussolini et Adolf Hitler, lors d'une parade organisée en Allemagne.
Benito Mussolini et Adolf Hitler, lors d’une parade organisée en Allemagne.

Eté 1940 LA BATAILLE D’ANGLETERRE

Ce nom évoque la guerre aérienne menée par la Luftwaffe contre la Royal Air Force (RAF) qui a tenaillé la Grande-Bretagne du 10 juillet 1940 au 31 octobre suivant. Cette vaste offensive aérienne a été ordonnée par Hitler dans les prémisses de l’opération Seelöwe (Lion de mer), son plan d’invasion des îles britanniques. Les attaquants prennent pour cibles les aérodromes et les usines de la RAF pour affaiblir la défense aérienne britannique en détruisant ses pistes, fabriques d’avions, réserves de carburant et centres de commandement. Une cuisante défaite guette l’Angleterre, offrant à l’Allemagne une sérieuse chance de remporter la Seconde Guerre mondiale avant qu’elle n’ait véritablement commencé. Mais les pilotes britanniques ripostent en bombardant Berlin et le Führer ordonne dès lors à la Luftwaffe de mettre immédiatement le cap sur Londres. Cet épisode des plus tragiques pour la capitale britannique sera néanmoins exploité pour restaurer la flotte de la RAF, qui finira ainsi par gagner la bataille des airs.

31 mai 1940. Arrivée, à Douvres, de troupes anglaises évacuées de Dunkerque à bord d'un destroyer.
31 mai 1940. Arrivée, à Douvres, de troupes anglaises évacuées de Dunkerque à bord d’un destroyer.

L’insuffisance de génie militaire d’Hitler laisse le champ libre aux bombardiers de la RAF pour éliminer des cibles stratégiques et des usines d’armement en Allemagne. Dans la nuit du 30 au 31 mai 1942, le premier raid de mille bombardiers anglais arrose Cologne d’un tapis de bombes. L’obscurité minant toute l’efficacité des batteries antiaériennes, plus de 13 000 bâtiments seront rasés par la RAF en une seule nuit. Et Cologne n’est que la première d’une longue série de villes allemandes qui subiront le même sort. Cette tactique fait des ravages jusqu’à ce que les chasseurs de la Luftwaffe s’en prennent aux bombardiers lors de l’atterrissage sur les aérodromes britanniques. Cherchant obstinément à remonter le moral du peuple allemand, Hitler exige toutefois que les avions soient abattus en survolant le territoire du Reich – laissant toute latitude aux raids britanniques pendant quelques semaines décisives.

10 septembre 1940. Un laitier transporte ses bouteilles dans une rue dévastée de Holborn, dans le West End londonien. Derrière lui, les pompiers s'affairent.
10 septembre 1940. Un laitier transporte ses bouteilles dans une rue dévastée de Holborn, dans le West End londonien. Derrière lui, les pompiers s’affairent.

Juin 1941 OPÉRATION BARBAROSSA

Euphorisé par ses succès à l’Ouest, Hitler lance la campagne contre l’Union soviétique. Les Allemands ont grand besoin de Lebensraum, d' » espace vital  » et, considérant les Russes comme un peuple inférieur, ils croient pouvoir n’en faire qu’une bouchée. Mais en ouvrant un nouveau front alors que l’Angleterre n’est pas encore vaincue et que la Wehrmacht ne fonctionne pas encore à plein régime, Hitler commet une erreur tactique gravissime. Sa décision contredit tous les principes de la doctrine militaire, qui préconise de ne jamais lancer une guerre sur deux fronts. En hiver 1941, l’opération Barbarossa s’enlise déjà. L’armée allemande n’est plus qu’à quelques kilomètres de Moscou au mois de décembre quand elle est stoppée net par les forces staliniennes sur les rives de la Volga. Les généraux implorent le Führer de battre en retraite, il ne veut rien savoir. Quand s’annonce le dégel, les troupes allemandes sont laminées par le froid et les privations. L’été suivant, au lieu de mener son offensive finale sur Moscou, Hitler préfère diviser ses forces en deux. Le gros du Groupe d’armées Sud marchera sur Bakou pour s’emparer des riches gisements pétrolifères caucasiens, tandis que la 6e armée reçoit l’ordre de prendre la  » ville de Staline « . Entamée en juillet 1942, la bataille de Stalingrad est sur le point de marquer un grand tournant : la tactique de la guerre éclair s’avère ici inopérante et les Allemands commencent à perdre du terrain. Un rigoureux hiver les attend, au cours duquel les troupes encerclées tomberont les unes après les autres sous les balles, la faim et l’épuisement, l’hypothermie faisant le reste. Sous le commandement du maréchal Friedrich Paulus, la 6e armée se rend avec plus d’un quart de million d’hommes. Là s’achève la progression des Allemands. A partir de 1943, ils ne feront plus que perdre du terrain. La bataille de Stalingrad aura coûté à la Wehrmacht près de 750 000 soldats! L’un des affrontements les plus meurtriers de l’histoire.

9 juillet 1940. Un Heinkel He 111 survole la Tamise à Londres, sur laquelle il largue ses bombes. La Bataille d'Angleterre avait commencé un mois plus tôt et durera jusqu'en avril 1941.
9 juillet 1940. Un Heinkel He 111 survole la Tamise à Londres, sur laquelle il largue ses bombes. La Bataille d’Angleterre avait commencé un mois plus tôt et durera jusqu’en avril 1941.

Décembre 1941 LES ÉTATS-UNIS ENTRENT EN GUERRE

Au lendemain de l’attaque de la base navale américaine de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, l’ambassadeur du Japon tente de convaincre le ministre allemand des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop de déclarer la guerre aux Etats-Unis. Mais le succès incontestable du raid nippon n’est pas aussi total qu’il apparaît. Lors de l’offensive, les porte-avions américains sont miraculeusement absents de la base et la plupart des bâtiments coulés se trouvent en eaux peu profondes. Très vite, ils seront renfloués, réparés et réarmés. Et les Japonais n’ont pas non plus détruit les réservoirs de carburant américains. Le 8 décembre, les Etats-unis déclarent la guerre au Japon. Si von Ribbentrop est intimement persuadé que l’implication des Américains dans le conflit n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne, Hitler est d’un tout autre avis. Il voit plutôt le Japon comme un allié imbattable qui se chargera de vaincre les Américains avant de se retourner contre l’Union soviétique. Le 11 décembre, il déclare donc la guerre aux Etats-Unis. Hitler s’attend à ce que les troupes américaines s’engagent en Asie, mais le président Roosevelt déploie l’essentiel de ses forces sur le sol européen. Outre sa supériorité économique, ce nouvel adversaire s’imposera bientôt comme superpuissance militaire, sa production grimpant de 6 000 appareils en 1940 à 47 000 en 1942, et à 100 000 avant la fin de la guerre. En 1943, sept millions d’hommes et de femmes forment les rangs de l’armée US.

A Pearl Harbour, le USS Shaw, amarré à la Naval Air Station, à Ford Island, est frappé de plein fouet par les bombes japonaises.
A Pearl Harbour, le USS Shaw, amarré à la Naval Air Station, à Ford Island, est frappé de plein fouet par les bombes japonaises.

Juin 1944 LE JOUR J SURPREND HITLER DANS SON SOMMEIL

A l’aube du 6 juin 1944, les forces américaines, britanniques et canadiennes débarquent sur les plages de Normandie. C’est le Jour J. La plus vaste attaque par mer de tous les temps, point de départ de l’opération Overlord qui vise à libérer l’Europe occidentale de l’occupant allemand. Sur le front de l’Est, la Wehrmacht est sur le point d’être écrasée par l’Armée rouge. Et Rome venait déjà d’être libérée par les Alliés deux jours auparavant. Pendant que l’une des plus grandes opérations de l’histoire fait rage, Hitler dort tranquillement dans sa résidence bavaroise. C’est que les nazis sont totalement pris de court par le débarquement. Bien qu’informés depuis des mois de son imminence, ils ne s’attendaient pas à ce que l’assaut soit déclenché ce matin-là en raison de trop mauvaises conditions météorologiques. Réparties sur une bande côtière de 80 kilomètres, les cinq zones d’abordage allié ont pour noms de code Gold, Juno, Sword, Omaha et Utah. Butant sur la défense d’une division d’infanterie allemande, les Américains perdent près de 4000 hommes à Omaha Beach ce matin-là. A Juno Beach, les Canadiens ont également de gros soucis. Mais sur les plages Gold, Sword et Utah, le reste des Alliés débarque sans problème. Au même instant, Rommel est en Allemagne auprès de sa femme dont c’est l’anniversaire et de nombreux officiers supérieurs sont réunis à Rennes pour fixer la stratégie à adopter face à l’invasion annoncée. Nul n’ose tirer Hitler de son sommeil et, dans le plus grand chaos, de précieuses heures sont perdues sans rien tenter pour repousser l’ennemi. Une fois mis au courant, le Führer reste convaincu que le Jour J n’est qu’une manoeuvre de diversion. Le « vrai » débarquement surviendra à Calais, où sont déjà postées de nombreuses troupes allemandes. Il refuse donc d’augmenter les effectifs en Normandie et l’invasion se poursuit ainsi sans véritable contre-attaque. Quand les renforts tant attendus arrivent enfin, toute chance de refouler les Alliés à la mer est définitivement perdue. La fin de la guerre paraît toute proche, mais de décembre 1944 à janvier 1945, l’offensive allemande dans les Ardennes freinera la progression des Alliés et le conflit se prolongera six mois encore. Le 30 avril, Hitler se suicide à Berlin, dans le bunker où il s’est retranché avec ses proches. Les troupes soviétiques pénètrent dans la ville les jours suivants et les 7 et 8 mai, le IIIe Reich aura enfin capitulé.

Des soldats anglais s'abritent des tirs allemands sur un pont, à Anvers.
Des soldats anglais s’abritent des tirs allemands sur un pont, à Anvers.

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