LES ILLUSIONS DU TRAITÉ DE VERSAILLES
» Diktat » pour les uns, garantie insuffisante pour d’autres, le traité de Versailles a été décrié avec virulence tant à chaud qu’a posteriori, même si l’historiographie récente tend à nuancer quelque peu cette sévérité. En Belgique, il a surtout laissé un goût amer d’illusions déçues.
Ouverte le 18 janvier 1919, jour anniversaire de la proclamation, en 1871, de l’empire allemand, la conférence de paix élit Georges Clemenceau à sa présidence. Paris a réquisitionné un parc hôtelier déjà éprouvé par le conflit pour accueillir des milliers de délégués, experts, diplomates et journalistes. Galvanisées par les 14 points du président Wilson et la perspective d’une diplomatie ouverte, les petites puissances doivent déchanter : elles sont confinées aux séances plénières et aux commissions préparatoires, tandis que les cinq » principales puissances alliées et associées » – France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Italie et Japon – mènent le jeu, surtout les trois premières.
L’article 231, particulièrement décrié, rend l’Allemagne et ses alliés seuls responsables du conflit, justifiant du même coup le principe des réparations.
Parmi les traités rédigés sans les vaincus, le premier concerne l’Allemagne, dont le sort divise les alliés. Soucieuse de sécurité, la France veut empêcher toute velléité offensive d’une nation guère affaiblie ; les Anglo-Américains, redoutant une extension du bolchevisme, veulent éviter tout étranglement de l’Allemagne et permettre, à terme, son redressement économique. La France n’obtient pas le détachement de la Rhénanie et les Alliés ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des réparations. Quant à l’Italie, frustrée de certaines ambitions territoriales, elle quitte temporairement la conférence.
Le 7 mai, le traité de Versailles – 433 articles – est présenté aux Allemands qui l’estiment inacceptable. S’ils pensent un temps le refuser, s’exposant ainsi à la reprise – incertaine – des combats, ils se contentent finalement de jouer la dramatisation (fuites dans la presse, manifestations de rue) et de proposer des amendements dont un seul sera retenu (le plébiscite en Haute-Silésie). La cérémonie de signature, brève et terne, se tient le 28 juin 1919 dans la galerie des Glaces de Versailles. Le traité, matrice de tous les autres, s’ouvre sur le Pacte de la Société des Nations (SDN) puis déroule les clauses territoriales, militaires, économiques et financières. L’article 231, particulièrement décrié, rend l’Allemagne et ses alliés seuls responsables du conflit, justifiant du même coup le principe des réparations.
UNE ALLEMAGNE FORTEMENT AMPUTÉE
L’Allemagne perd 13 % de sa superficie au profit de la France (Alsace-Moselle), de la Belgique (Eupen et Malmedy), du Danemark (Schleswig du Nord), de la Pologne (Posnanie, parties de la Prusse orientale et, après plébiscite, de la Silésie) et de la Tchécoslovaquie (partie de la Silésie). La Sarre est placée pour quinze ans sous le contrôle de la SDN et ses mines sont attribuées à la France. La SDN gérera également la ville libre de Dantzig et le corridor du même nom permettant à la Pologne d’accéder à la Baltique. Elle se chargera aussi d’attribuer à la France, au Royaume-Uni et à ses dominions, à la Belgique et au Japon, sous la forme de mandats, les possessions allemandes en Afrique, en Chine et dans le Pacifique.
Sur le plan militaire, le traité interdit à l’Allemagne de posséder de l’artillerie lourde, une aviation de guerre, des chars, des sous-marins et des cuirassés ainsi toute forme de service militaire. Ses forces terrestres sont limitées à 100 000 hommes et ses forces navales à 15 000. Les alliés occuperont la rive gauche du Rhin, libérable par tiers tous les cinq ans en cas de bonne exécution du traité. Ils tiendront aussi trois têtes de pont autour de Mayence, Coblence et Cologne.
Par ailleurs, une zone démilitarisée de 50 kilomètres de profondeur est ménagée à titre permanent sur la rive droite. Pour les réparations, les alliés reportent la fixation définitive du montant à mai 1921. Afin de contribuer au relèvement des pays lésés, l’Allemagne doit livrer de grandes quantités de minerais, de machines et de bétail. Le traité met à sa charge l’entretien des armées d’occupation et lui impose des restrictions douanières et commerciales durant cinq ans. Enfin, les principales voies d’eau allemandes sont internationalisées.
Entré en vigueur le 10 janvier 1920, le traité de Versailles n’est pas ratifié par l’un de ses principaux rédacteurs, les Etats-Unis, et va rapidement nourrir la résurgence d’un nationalisme allemand offensif. Il compte d’emblée peu de défenseurs et sa légende noire va s’amplifier au fil des années. Pourtant, certains traités antérieurs, tel celui de Francfort (1871), n’étaient guère moins léonins et il était en outre difficile aux rédacteurs de faire abstraction des souffrances endurées par leurs peuples.
LA BELGIQUE À LA CONFÉRENCE DE PAIX
S’appuyant sur la déclaration de Sainte-Adresse de février 1916, sur le 7e des 14 points de Wilson et sur son statut d’innocente victime, la Belgique est persuadée que les alliés vont faire droit à ses revendications. Ne lui ont-ils pas promis qu’elle participerait aux négociations de paix et qu’ils » ne mettr[aie]nt pas fin aux hostilités sans que la Belgique soit rétablie dans son indépendance politique et économique et largement indemnisée des dommages qu’elle a subis » ? Pourtant, c’est la douche froide. Comme les autres petites puissances concernées, la Belgique est reléguée au second plan et doit même batailler pour obtenir trois représentants – les » plénipotentiaires » : Paul Hymans, Emile Vandervelde et Jules Van den Heuvel.
Le texte final du traité suscitera une amertume sourde et résignée.
Supposés défendre une ligne politique unique, ils sont soumis à des pressions contradictoires, dont useront parfois les Grands. D’après Hymans, Vandervelde subit par trop l’influence de l’Internationale ; selon Vandervelde, le gouvernement se laisse trop volontiers inspirer par le lobby » grand-belge » qui, groupé autour du Comité de politique nationale mené par Pierre Nothomb et le journaliste Fernand Neuray, réclame des annexions territoriales peu soucieuses du droit des peuples. Cette propagande nationaliste fait écho dans une partie de l’opinion publique, même si les Belges sont avant tout préoccupés par leur situation matérielle.
Les diplomates belges rédigent un mémorandum qu’Hymans endossera : la Belgique y demande une révision des traités de 1839 et suggère, s’appuyant notamment sur des arguments historiques, que des garanties de sécurité lui soient offertes par un agrandissement au détriment de l’Allemagne vaincue (Eupen-Malmedy), du Luxembourg et des Pays-Bas (Flandre zélandaise, Limbourg), dont la neutralité n’aurait pas été totale. Bruxelles entend en outre obtenir une part des possessions africaines de l’Allemagne et la réparation de tous les dommages subis du fait de l’ennemi.
Fin janvier, Hymans doit ferrailler pour que la Belgique soit présente dans les commissions spécialisées et il faut attendre le 11 février pour qu’il puisse exposer ses revendications aux Grands. Une commission des Affaires belges est créée mais les demandes formulées aux dépens du Luxembourg et des Pays-Bas en sont exclues. Les alliés acceptent toutefois la révision des traités de 1839. En mars, les discussions s’enlisent et le ton monte avec Clemenceau et Lloyd George qui jugent excessives les prétentions belges face aux sacrifices français et britanniques. La venue du roi Albert à Paris, début avril, ne fait guère bouger les lignes même si le souverain adopte une attitude plus souple que son ministre.
UNE AMERTUME SOURDE ET RÉSIGNÉE
Le texte final du traité suscite une amertume sourde et résignée. Rétablie dans son indépendance et son intégrité territoriale, déliée de sa neutralité contrainte, la Belgique obtient finalement une légère extension territoriale (Eupen, Malmedy, Saint-Vith, Moresnet), un mandat de la SDN sur le Ruanda et l’Urundi, une suppression de ses dettes de guerre à l’égard des alliés, qui se paieront directement sur l’Allemagne, et une priorité de 2,5 milliards sur la première tranche des réparations, loin des sommes escomptées. Elle gagne en outre des dédommagements pour l’incendie de la bibliothèque de l’université de Louvain et le retour d’oeuvres d’art spoliées. En revanche, elle n’obtient pas le remboursement des marks d’occupation et les questions luxembourgeoises et néerlandaises restent pendantes. Au sein du gouvernement, certains voudraient refuser de signer mais les risques sont trop importants pour un pays exsangue et à reconstruire. Le Parlement, confronté aux mêmes enjeux, parvient aux mêmes conclusions et ratifie finalement le traité.
vLes trois plénipotentiaires belges à la conférence de paix
Paul Hymans (1865-1941) : docteur en droit (ULB), député libéral (1900-1941), ministre d’Etat, il contribue à rédiger la réponse à l’ultimatum allemand. Après avoir plaidé la cause belge aux Etats-Unis, il est ministre plénipotentiaire à Londres (1915-1917). Membre du conseil des ministres, il devient ministre des Affaires économiques en octobre 1917 puis ministre des Affaires étrangères en janvier 1918. Ministre de la Justice (1926-1927), membre du conseil des ministres (1935-1936), il demeure surtout connu pour son action aux Affaires étrangères (1918-1920, 1924-1925, 1927-1934, 1934-1935). A la conférence, il est premier plénipotentiaire et participe notamment à la création de la SDN.
Emile Vandervelde (1866-1938) : docteur en droit et en sciences sociales (ULB), passé du libéralisme progressiste au socialisme, il s’affirme comme le » patron » du Parti ouvrier belge et préside l’Internationale ouvrière. Député (1894-1938), il est ministre d’Etat, membre du conseil des ministres puis ministre de l’Intendance civile et militaire (1917-1918). Ministre de la Justice (1918-1921) puis des Affaires étrangères (1925-1927) lors des accords de Locarno, il est membre du conseil des ministres (1935-1936) et ministre de la Santé publique (1936-1937). A la conférence de paix, il est très actif dans la commission du Travail.
Jules Van den Heuvel (1854-1926) : docteur en droit et en sciences politiques (Gand), avocat et professeur de droit public à Louvain, il est ministre extra-parlementaire de la Justice (1899-1907). Ministre d’Etat, il contribue à rédiger la réponse à l’ultimatum allemand puis, dès 1915, est désigné comme ministre de Belgique près le Saint-Siège et oeuvre, en catholique convaincu, à y défendre avec succès la cause du pays. Appelé par Hymans à la conférence, il s’y consacre surtout, non sans amertume, à la question des réparations.
Les revendications belges après Versailles
Déçus par le traité de Versailles, les Belges devront aussi renoncer à leurs autres revendications territoriales. Si les grandes puissances acceptent de réviser les traités de 1839, elles ne souhaitent pas modifier les frontières belgo-néerlandaises, au nom du principe d’autodétermination des peuples. Une commission des XIV, réunissant les Cinq, les Belges et les Néerlandais, est certes constituée mais ne peut procéder ni à des transferts de territoires, ni à l’érection de servitudes internationales. Après le traité, des échanges territoriaux entre Allemagne et Pays-Bas ne sont plus à l’ordre du jour.
Pour le Luxembourg, les lobbys probelges et profrançais s’entrechoquent. La perspective d’une annexion territoriale s’éloigne rapidement et la position de repli – une union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) – semble, elle aussi, incertaine. Le 28 septembre 1919, par référendum, les Luxembourgeois se prononcent en faveur du maintien de leur régime monarchique et d’une union économique avec la France. Malgré ses promesses aux Belges, le gouvernement français use du Luxembourg comme d’une monnaie d’échange pour obtenir un accord militaire franco-belge. Signé en 1920, il sera, durant quinze ans, le serpent de mer des débats de politique extérieure, à forte connotation » communautaire « . Satisfaite, Paris renvoie les Luxembourgeois vers les Belges et les deux pays négocient, avec difficulté, l’UEBL qui entre en vigueur en 1922.
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