Affiche de protestation contre la traite des blancs. © AGR, COLLECTION CORNEILLE GRAM

LES DÉPORTÉS REVIENNENT AU PAYS

En 1916, l’Allemagne manque de main-d’oeuvre. La guerre totale qu’elle mène conduit les autorités à devoir embaucher les ouvriers des nations occupées. D’abord incités à s’engager volontairement, les Belges seront déportés en vue du travail forcé à l’automne de cette même année.

Ce ne sont pas moins de 120 000 Belges âgés de 17 à 55 ans qui seront envoyés soit en Allemagne, soit dans le Nord de la France. Les Allemands ont essentiellement besoin d’ouvriers. La politique de réquisition des matières premières et des outillages mise en place dès le début de l’occupation mène un tiers de la population active au chômage, soit 650 000 personnes. C’est pourquoi les régions industrielles présentant un fort taux de chômage sont les premières touchées par la déportation. Par exemple, les forges de Clabecq ont subi de nombreux dommages lors de l’invasion et l’usine est à l’arrêt. Les ouvriers qualifiés sont prisés par les industries du fer et de l’acier de la Ruhr.

Photos de déportés (ici, de Hamme) avant et après leur déportation.
Photos de déportés (ici, de Hamme) avant et après leur déportation.© AGR

En Allemagne, les Belges sont d’abord enfermés dans des camps de concentration, généralement des annexes aux camps de prisonniers de guerre aménagées à la hâte. Ils ne devaient y séjourner que quelques jours, en attendant la signature de leur contrat de travail. C’était sans compter sur le patriotisme et la résistance des déportés. La plupart refusent de travailler contre les intérêts de leur pays. Les Allemands durcissent alors les conditions de vie : diminution des rations de nourriture déjà bien maigres, travaux harassants, mauvais traitements.

En France, les Belges ne sont guère mieux lotis. Les travaux auxquels ils sont astreints sont directement liés à la guerre. Ils doivent construire des lignes de défense, dont la fameuse ligne Hindenburg, abattre le bois nécessaire aux tranchées, décharger des munitions, etc. En plus des rudes conditions de vie, ils sont exposés au danger des zones du front.

En 1917, les autorités allemandes constatent l’échec des déportations par rapport aux plans initiaux. Guillaume II y met fin au mois de mars et les Belges encore présents en Allemagne rentrent progressivement chez eux. Les déportations en France, elles, continuent jusqu’à la fin de la guerre.

LES DÉPORTÉS SE REGROUPENT

Beaucoup de déportés avaient déjà été renvoyés dans leur foyer. Les conditions de vie sont telles que les hommes rentrent affaiblis, malades, voire invalides. Des comités de secours leur viennent en aide, offrant l’alimentation dont ils avaient besoin pour se rétablir et que les familles, en ces temps de rationnement, ne pouvaient assurer. Le chiffre officiel fait état de 2 614 morts, mais beaucoup mourront après leur retour, malgré les soins apportés.

Avant même la fin du conflit, le gouvernement belge en exil déclare sa volonté d’indemniser les victimes civiles au travers des tribunaux de dommages de guerre. La loi du 10 juin 1919 fixe les montants auxquels ils peuvent prétendre. Ils doivent alors soumettre leur expérience de guerre aux tribunaux qui accorderont ou non l’indemnité prévue.

Parallèlement, les déportés se regroupent au sein d’une multitude d’associations de défense qui se rassemblent en avril 1919 pour fonder la Fédération nationale des déportés (FND). Ce groupement, le plus important de Belgique, a pour but premier la commémoration des déportations mais sera également l’organe de défense matérielle des déportés.

S’engage alors un combat de longue haleine. Malgré les bonnes intentions des autorités belges, les déportés se sont pas satisfaits par la loi. Ils estiment qu’elle ne tient pas compte de la diversité des expériences de guerre. La fédération fait entendre son mécontentement et fait pression. La loi est modifiée en 1921. Les déportés réclament une indemnisation complète des préjudices et non pas une  » aumône « . La bataille judiciaire les mènera à Paris. Ils intentent, en 1924, un procès à l’Allemagne devant une juridiction internationale nouvelle, instituée par le Traité de Versailles. Ils échouent. Les voies judiciaires sont éteintes et la bataille politique n’aboutira jamais.

HORS DU PANTHÉON NATIONAL

La mémoire qu’ils laissent dans notre pays est complexe et teintée d’une suspicion de travail volontaire pour l’ennemi, même s’il a été consenti sous la contrainte. Ils sont absents de la mémoire nationale au profit d’une mémoire exclusivement locale et relativement discrète. Leur souvenir sera éclipsé par les déportations de la Seconde Guerre mondiale. On a d’ailleurs généralement oublié que les rues des Déportés ou rues de la Déportation ont été nommées en l’honneur des déportés de 14-18…

Jules Colery, victime emblématique

 » Après 15 longs mois de captivité […], nous sommes enfin LIBRES ! ! ! ! « . C’est par ces mots que Jules Colery termine son récit de guerre, le 12 février 1918. Déporté à Soltau le 6 novembre 1916 à l’âge de 27 ans en compagnie de 1 322 autres Lessinois, il subit les mauvais traitements et le manque de nourriture durant le rude hiver 1916-1917. En décembre, il est transféré à Marienburg et, à la suite de son refus de travailler, il est emprisonné durant trois jours dans un cachot, sans eau ni nourriture.

Sous la menace des baïonnettes, il accepte finalement les travaux de terrassement. Alors qu’il perd connaissance, il est battu par des gardiens et laissé dans la neige, par des températures descendant jusqu’à -30 degrés. En mai 1917, épuisé, crachant du sang, atteint d’une bronchite grave et au bord de la mort, il est amené au Lazaret où il parvient à reprendre des forces. Le 24 juin, il quitte l’Allemagne. Arrivé à Charleroi, son train est redirigé vers Maubeuge puis vers les carrières dans les environs de Charleville-Mézières. Il y restera jusqu’à son retour.

De sa déportation, Jules Colery gardera des séquelles à vie. Reconnu invalide à 50 % pour une période de six mois par le tribunal des dommages de guerre, il se voit allouer une pension en conséquence. Mais son état de santé ne cessera de se dégrader. Il se révèle être atteint de bronchite chronique ; son invalidité devient permanente dans les années 1930. Destin ordinaire d’un déporté parmi ces dizaines de milliers de victimes qui finiront par être totalement oubliées…

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