LE WHI, GARDIEN DU PATRIMOINE
Cent ans après les faits, le War Heritage Institute est l’un des principaux acteurs des commémorations de la Première Guerre mondiale en Belgique. Dans ce cadre, l’institution a clairement opté pour une politique ayant un double objectif : scientifique et mémoriel.
Le WHI a été créé et placé sous la tutelle du ministre de la Défense en tant que nouvelle institution fédérale en charge du patrimoine militaire national et de la mémoire en vertu de la loi du 28 avril 2017. L’institution intègre le Musée royal de l’armée et d’histoire militaire, l’Institut des vétérans/Institut national des invalides de guerre, les anciens combattants et victimes de guerre, le Mémorial national du fort de Breendonk et le Pôle historique de la Défense. Le WHI gère et coordonne des collections diverses ainsi que plusieurs sites historico-militaires. Il aspire également à cibler un large public et à protéger le patrimoine tout en ayant également pour vocation de transmettre la mémoire de conflits armés et de leurs victimes (belges). L’institution encourage également la recherche, tout en menant elle-même des études scientifiques.
QUELLE COMPLÉMENTARITÉ ?
A travers les missions de cette institution, on peut constater une dualité claire sur le fond : si elle joue un rôle de référence en matière de mémoire, elle se porte aussi garante d’une recherche historique indépendante. Cette dualité semble potentiellement problématique car si la » mémoire » et l' » histoire » sont en théorie fortement liées, une différence existe bel et bien entre les deux. A l’heure actuelle, la mémoire est sociale, évolutive, mobilisable et manipulable, alors que l’histoire est la reconstruction, toujours problématique et incomplète, de ce passé unique. Au terme du processus, on trouve un discours critique à contre-courant de la spontanéité de la mémoire et souhaitant contraindre cette mémoire à garder les deux pieds sur terre.
En pratique, pour le WHI, cette dualité se traduit dans le cadre des commémorations par une politique à double objectif, qui tend à réconcilier mémoire et histoire de la guerre. Dans certaines initiatives, la mémoire du conflit revendique un rôle central. Songeons à l’application numérique BeCarto 14-18, qui cartographie toute une série de lieux de mémoire en Belgique, ou la réinhumation de quelques soldats belges de la Grande Guerre dans le cimetière militaire de La Panne. L’exemple le plus frappant reste cependant le projet Nos héros oubliés, qui recense les tombes de militaires belges rapatriés. Il est d’ailleurs frappant de constater que ces tombes soient relevées à l’aide de plaques aux couleurs de la Belgique et portant les mots » 14-18 Pro Patria « . Les soldats tombés sont donc dépeints uniquement comme des héros patriotiques qui n’auraient visiblement donné leur vie que pour la patrie belge. L’importance politique de cette mémoire était d’ailleurs fortement perceptible avec une présence marquée d’acteurs du monde politique local et régional lors des cérémonies provinciales qui ont jalonné le projet au printemps 2018.
Pour d’autres initiatives en revanche, c’est l' » historisation » plutôt que la » mémorialisation » qui sert de fil rouge. Le WHI continue, par exemple, à assurer la continuité d’initiatives antérieures basées sur des recherches historiques, telle la nouvelle disposition permanente consacrée à l’histoire du fort de Breendonk et ses alentours en 1914 ou le site du Boyau de la Mort à Dixmude, renouvelé en 2015. Ce site constitue même le sujet de la recherche doctorale menée par l’un des historiens du WHI.
L’exemple le plus récent est celui de l’exposition temporaire Au-delà de la Grande Guerre : 1918-1928 au Musée royal de l’armée, qui évoque les aspects les plus divers de la sortie de guerre en Belgique. Un catalogue au contenu scientifique accompagne cette exposition. Si les projets de ce genre n’empêchent bien entendu pas le développement d’une politique de la mémoire, ils permettent par contre de la replacer dans un cadre de référence historique fiable.
Pour le WHI, cela reste une gageure de faire rimer la guerre avec l’histoire factuelle. Il convient de toujours garder à l’esprit que la mémoire est à la fois plurielle et spécifique, il existe autant de mémoires que de groupes impliqués. Or ces multiples milieux de mémoire aspirent tous à décrocher leur place dans le panthéon de l’histoire. Pourtant, l’écriture scientifique de cette histoire doit rester l’apanage des historiens professionnels.
LE DÉCLIN DU MUSÉE DE L’ARMÉE
En 1923, dans un élan de patriotisme, le Musée royal de l’armée ouvre ses portes au coeur du parc du Cinquantenaire. Fondé officiellement dès 1911, son importance politique avait grandi » en rapport avec les enseignements nombreux à retirer de la Grande Guerre et avec le rôle glorieux que la Belgique y a joué » (arrêté royal du 17 juin 1919). Au cours des décennies suivantes, l’institution s’est érigée comme l’institution nationale de référence sur 14-18, et son impressionnante collection, parmi les plus fournies au monde, n’y est certainement pas étrangère.
En 2014, année de commémorations, les plus belles années du musée sont bien derrière lui. Le renouvellement manqué de son espace 14-18 en constitue d’ailleurs un symbole, puisqu’un partenaire privé externe a dû imaginer une exposition temporaire – avec les pièces du musée – un peu comme un deus ex machina. Un député l’exprime en des termes très évocateurs lors d’une séance de la commission Défense de la Chambre, en janvier 2014 : » Bien sûr, il y a l’exposition, mais c’est une sorte de sparadrap que l’on a collé pour éviter de parler en profondeur du fonctionnement du musée et, surtout, de son rôle. «
Après trois années de réflexion politique, le WHI est apparu comme le dernier recours pour le musée. Dans les prochaines années, soit le site continuera à s’affirmer comme un musée historico-militaire moderne… soit il se transformera en un musée mémorial avec une mission pédagogique affirmée.
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