Retour des premiers réfugiés débarquant à Ostende, en 1918. © AGR, COLLECTION ICONOGRAPHIQUE 14-18 - PHOTO N° 2418

LE RETOUR DES RÉFUGIÉS

L’invasion de 1914 et l’évacuation progressive des civils qui vivaient à proximité du front pousse des centaines de milliers de Belges à prendre le chemin de l’exil. Pour cette immense diaspora éparpillée entre la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, la signature de l’Armistice sonne l’heure du retour.

Les dernières semaines de 1918 et toute l’année 1919 voient le retour au pays de centaines de milliers de Belges que la guerre a contraints à vivre à l’étranger. Fin 1918, près de 600 000 civils belges s’y trouvent encore. Ils sont plus de 300 000 en France, un peu de moins de 180 000 en Grande-Bretagne et environ 100 000 aux Pays-Bas.

Au sein de chaque communauté de réfugiés, l’annonce de l’armistice provoque une grande effervescence. Le long exil va enfin prendre fin. Le 13 octobre 1918, dans le camp d’Uden, aux Pays-Bas, de simples rumeurs de la déroute allemande provoquent chez ses habitants des scènes de joie jamais vues jusquelà. Il faut dire que rares sont ceux qui avaient pensé à s’installer définitivement sur leur terre d’accueil. Et quand bien même l’auraient-ils souhaité que cela n’aurait guère été accepté. En l’espace de quatre ans, l’image du réfugié, incarnation du martyre et de la résistance belges, s’est largement émoussée. Les exilés de 1918 ne disposent plus de la formidable aura dont ils ont bénéficié en 1914.

Face aux destructions et à la perte de tous leurs biens, certains renoncent à prendre le chemin du retour.

TRAVERSÉE GRATUITE

Au Royaume-Uni, le rapatriement des exilés débute dès la fin de novembre 1918. Quelques jours après la signature de l’Armistice, le gouvernement de Londres informe les autorités belges de son intention de procéder au rapatriement rapide des réfugiés. Personne n’ignore que la fermeture des usines de guerre va laisser sans emploi des dizaines de milliers d’ouvriers belges. Le climat économique et social n’est plus à l’accueil de ces étrangers. Pour hâter les opérations, les Britanniques mettent même plusieurs paquebots à disposition de ceux qui ne peuvent payer la traversée. En dépit du manque de bateaux et des grèves des dockers, ils sont chaque jour des milliers à franchir la Manche avant de débarquer à Ostende ou à Anvers. Au début du printemps 1919, il ne reste plus qu’une poignée de réfugiés outre-Manche. Le rapatriement des Belges installés aux Pays-Bas est tout aussi rapide. Les camps de réfugiés ferment progressivement leurs portes en février 1919 et les dispositifs d’aide aux réfugiés disparaissent quelques semaines plus tard.

UN RAPATRIEMENT PARFOIS COMPLIQUÉ

C’est en France que les Belges étaient les plus nombreux et c’est là que le rapatriement se révèle le plus difficile à organiser. A cause de la destruction des lignes de chemins de fer et des pénuries de matériel ferroviaire, l’essentiel du rapatriement ne peut véritablement commencer qu’au printemps 1919. A Nantes, le 6 avril 1919, un train allemand, dont les aigles ont été soigneusement barrés de croix blanches, se présente sur les quais de la gare. Plus de 1 200 Belges y embarquent après avoir écouté le discours du maire vantant les liens éternels qui unissent désormais Belges et Français. De telles scènes se reproduisent aux quatre coins du pays. A partir du 15 juillet 1919, l’allocation accordée aux réfugiés nécessiteux cesse d’être distribuée, sauf pour les Belges originaires d’une quarantaine de communes de Flandre-occidentale. Pour ceux-là, la fin de la guerre est loin de mettre un terme aux épreuves.

En effet, dans les régions dévastées par les bombardements, les baraquements provisoires ne sont édifiés qu’au compte-gouttes et se révèlent souvent très inconfortables. Face aux destructions et à la perte de tous leurs biens, certains renoncent à prendre le chemin du retour. La France est ainsi le seul pays d’accueil dans lequel une partie de la diaspora belge se fixe définitivement. Parmi les fermiers qui ont signé des baux agricoles, beaucoup décident de poursuivre leurs activités. D’autres font le choix de rester après avoir épousé un habitant du cru. Dans un pays saigné à blanc par plus de quatre années de guerre, ils contribuent à repeupler les campagnes de Normandie ou de la Somme. Rapidement assimilés par le creuset français, ces déracinés deviennent les ancêtres de ces Français aux noms si typiquement belges qui y vivent aujourd’hui.

UN RETOUR DANS LA QUASI-INDIFFÉRENCE

Lors du Conseil des ministres du 10 décembre 1918, le roi insiste pour que  » le retour des réfugiés belges à l’étranger soit organisé dans les conditions les meilleures, qu’ils soient accueillis avec une certaine solennité, qu’ils jouissent dès leur rentrée en Belgique de tout le confort possible et de l’assistance morale à laquelle ils ont droit « . Ce souhait ne rencontre toutefois qu’un écho limité. Le retour des réfugiés se déroule généralement au milieu d’une grande indifférence. Au fil des ans, chaque camp s’est fait une certaine idée de l’autre. En Belgique libérée, le stéréotype de l’exil doré d’une classe de privilégiés perdure au-delà de l’Armistice. On reproche toujours un peu aux anciens exilés d’avoir échappé aux privations et à la brutalité de l’ennemi.

Ces malentendus latents se soldent par la relégation des  » Belges de l’extérieur  » dans l’oubli. L’expérience de guerre belge ne se conçoit plus que dans le cadre de la Belgique occupée ou du front. Dans ce contexte, les réfugiés se taisent en se faisant les complices de leur propre oubli. Ceux qui ont si puissamment contribué à l’effort de guerre à l’étranger, ceux qui ont été appelés par milliers sur le front ou dans les usines de guerre réintègrent vaille que vaille une société bouleversée par quatre ans d’occupation, sans rien revendiquer de la gloire de la victoire. Aujourd’hui, les rares monuments destinés à commémorer cet exil se trouvent à l’étranger – à Amersfoort, Londres, Paris ou Le Havre – et non en Belgique…

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