Le récit des premiers pas sur la Lune: le 21 juillet 1969
Il est 22H56 au centre spatial de la Nasa de Houston ce dimanche 20 juillet 1969 quand Neil Armstrong pose le pied sur la Lune. Pour couvrir l’événement, l’AFP a dépêché sur place plusieurs envoyés spéciaux.
La dépêche ci-dessous, diffusée au petit matin du 21 juillet est leur récit minutieux des heures passées par Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur le sol lunaire. Elle a seulement été abrégée par endroits.
La conquête de la Lune
Dimanche à 22H56 (Mer de la Tranquilité), heure américaine (c’est-à-dire lundi 02H56 GMT), Armstrong, après un interminable suspense, pose le pied sur la Lune.
Tout avait commencé quelques heures auparavant lorsqu’Armstrong, seul maître à bord, avait brusquement annoncé au monde qu’il sortirait du LEM cinq heures plus tôt que prévu. A ce moment, le film historique de la descente puis des premiers pas sur la Lune commence.
– 19H42 (23H42 GMT). Les astronautes entament leurs préparatifs de sortie. Ils se coiffent de leur casque à double visière, chaussent leurs bottes, mettent leurs gants spéciaux renforcés, endossent leur harnais de survie, en vérifient le fonctionnement des systèmes de pressurisation, communication radio et alimentation en oxygène.
– 19H50 (23H50 GMT). La Nasa annonce que ces préparatifs dureront deux heures. Armstrong ne sortira donc pas avant 22H00 (02H00 GMT).
– 21H55 (01H55 GMT). Ils dépressurisent leur habitacle et pressurisent en même temps leur combinaison lunaire.
– 22H00 (02H00 GMT). Le vide se fait dans le « LM ».
– 22H15 (02H15 GMT). Ils ont fini de pressuriser leur scaphandre.
– 22H28 (02H28 GMT). Tout va bien. Le « LEM » reste entièrement dépressurisé. Ils dépendent maintenant totalement de leur harnais de survie.
– « Bond de géant » –
22H56 (02H56 GMT). Armstrong pose le pied gauche sur la Lune et déclare: « C’est un petit pas pour l’homme. C’est un bond de géant pour l’humanité ».
Ce sont les premières paroles de l’homme à la surface de la Lune. Avant de poser fermement le pied sur le sol, le commandant de bord avait prudemment tâté la surface pour en vérifier la résistance.
« Mon pied ne pénètre que d’un huitième de pouce… Il ne semble pas qu’il y ait de difficultés à marcher. Non absolument aucune difficulté pour se déplacer », s’exclame Armstrong, surpris, en faisant ses premiers pas.
« Cela m’a tout l’air d’être plus facile qu’en état de simulation de la gravité lunaire. C’est très intéressant. La surface est très tendre en général, mais il y a des endroits plus durs, le sol a une grande cohésion ».
Les évolutions d’Armstrong, qui semble effectivement se déplacer avec aisance sur la Lune, et son monologue, sont retransmis en direct sur tous les écrans du monde. Les téléspectateurs, où qu’ils soient, peuvent voir le conquérant de la Lune descendre les neuf degrés de l’échelle, poser le pied, tâter la surface, lâcher le dernier barreau auquel sa main s’accrochait encore, faire ses premiers pas, ramasser le premier échantillon du sol lunaire.
Cet échantillon, un peu de poussière de Lune, il le ramasse au pied même de l’escalier du module, avec une sorte d’épuisette munie d’un manche télescopique qu’il sort de sa poche.
Il soulève alors son chargement, ferme l’épuisette hermétiquement, jette le manche, premier des détritus terrestres qui joncheront le sol de la Lune après le départ des astronautes, et enfouit la moisson dans sa poche, à l’aveuglette, guidé par Aldrin qui, du haut de la plateforme de sortie du « LM » observe tous ses gestes.
Il est alors 23H15 (03H15 GMT). Armstrong a déjà passé 19 minutes seul sur la Lune, 19 minutes pendant lesquelles, dans l’indéfinissable solitude de la planète morte, il a constamment fait preuve d’une parfaite maîtrise de soi.
A ce moment, son co-équipier, Edwin Aldrin, fait son apparition à la surface de la Lune, une apparition bondissante.
Assuré que la Lune ne lui réserve aucune traîtrise, après l’expérience d’Armstrong, le pilote du module lunaire saute carrément de l’échelle et atterrit, lui aussi, du pied gauche.
– Le gouffre noir de l’univers –
Les deux hommes, alors, unis dans un même geste patriotique, plantent le drapeau américain sur la Lune puis lisent à haute voix l’inscription gravée sur la plaque fixée au palier de descente du « LM » qui restera sur la Lune, symbole de sa conquête par l’homme: « Ici des hommes de la planète Terre ont fait leurs premiers pas sur la Lune. Juillet 1969. Nous sommes venus dans un esprit de paix pour toute l’humanité ».
Ayant accompli leur geste symbolique, les astronautes déplacent la caméra, fixée au module, qui n’a cessé de déverser des images d’une Lune blanche, dont l’horizon s’inscrit en biais sur un fond très noir. Armstrong la prend et la pend à son cou.
L’image se met alors à danser sur les petits écrans. Le commandant de la mission Apollo se met en marche et installe la caméra sur un trépied.
Une vue panoramique s’offre aux regards: le module à l’arrière-plan, une infinité de trous minuscules étendant des ombres démesurées au premier plan, au loin l’horizon dont la rondeur apparaît nettement, véritable ligne de démarcation entre une surface scintillante sous la lumière solaire et le gouffre noir de l’Univers.
L’image ne cesse de gagner en netteté. On distingue les traces de pas des astronautes sur le sol gris blanc de la Lune. On aperçoit la bannière étoilée fermement plantée.
Les deux hommes continuent leurs évolutions. Ils avancent avec une facilité étonnante, véritable pas de danse. Un étrange ballet se déroule sur la Lune. Leur lourd scaphandre, véritable cuirasse ignifugée, renforcée aux articulations, alourdie encore par le harnais fixé au dos, ne semble pas les gêner. Ils évoluent avec une légèreté et une mobilité surprenantes.
– Nixon au téléphone –
23H49 (03H49 GMT). Le « sol » annonce que le président Nixon est en ligne. Il va, comme prévu, parler aux astronautes.
Immédiatement, le petit écran se divise en deux parties égales: à gauche, on voit le président des Etats-Unis lire, depuis la Maison Blanche, un message au téléphone. A droite, les astronautes, immobiles, écoutent la voix qui vient de la Terre, c’est-à-dire de 380.000 kilomètres. « Cette journée est la plus glorieuse de nos vies », dit le président. « Grâce à vous, les cieux sont devenus une partie de notre monde ».
« Merci, M. le président, répond Armstrong. C’est un grand honneur et un grand privilège pour nous d’être ici ».
Edwin Aldrin déploie ensuite un « collecteur de vent solaire ». C’est un mince rouleau de feuille d’aluminium, mis au point à l’université de Berne, en Suisse, par le Dr. Johannes Geiss. Il se déroule comme un store. Une fois installé, il recueille dans ses plis les particules gazeuses – hélium, argon, néon, krypton, xénon – qui constituent le vent solaire.
« Gambadant » dans toutes les directions, les astronautes, qui sont déjà depuis plus d’une heure sur la Lune – et que le Dr Berry, leur médecin attitré qui suit, depuis Houston, leurs moindres mouvements déclare en « forme parfaite » – ne chôment pas.
Ils recueillent en vrac les échantillons sélénologiques qu’ils placent dans des sacs en matière plastique. Ces sacs seront ensuite déposés dans des containers métalliques parfaitement étanches.
Pour mener à bien leur tâche de « jardiniers de la Lune », les cosmonautes utilisent toute une série d’outils qu’ils ont retirés du « coffre à bagages » du module, le « Mesa » (Modularized equipment stowage assembly) de son vrai nom. Ils se servent de pinces, de tenailles, de pelles, de pioches, d’un marteau, de tubes à échantillons, de balances, tout l’équipement du parfait géologue. Ces instruments sont cependant plus volumineux que ceux qui seraient utilisés sur Terre car les astronautes portent des gants spéciaux renforcés qui les empêchent de saisir des objets de taille réduite.
Etant donné que leurs scaphandres les empêchent de se baisser, les outils sont munis d’un long manche télescopique universel qui leur facilite la tâche. Si un outil devait, par malchance, leur échapper des mains, les astronautes pourraient néanmoins le ramasser car, s’ils ne peuvent plier la taille, il leur est possible de mettre un genou à terre.
– Astre mort? –
A minuit et quart (04H15 GMT), la collecte de « pierres de Lune » est terminée. Ils en ont ramassé au moins 27 à 28 kilos.
Cette première mission accomplie, il leur reste à s’occuper de l’installation de deux appareils qu’ils vont laisser sur la Lune: le sismographe et le réflecteur-laser.
Le sismographe lunaire, le plus sensible, le plus perfectionné jamais construit, est destiné à enregistrer toutes les secousses ébranlant la Lune, distinguer si elles sont d’origine volcanique et constituent de véritables tremblements de Lune ou s’il ne s’agit que d’ondes de choc provoquées par l’impact des météorites bombardant en permanence la Lune.
L’installation du sismographe, qui doit fonctionner un an, est bien la chose la plus importante que les astronautes auront à accomplir car, grâce aux indications qu’il fournira, l’homme saura enfin si la Lune est un astre mort ou non.
Quant au réflecteur laser, c’est un assemblage de cent miroirs prismatiques constitués de cristaux de quartz destiné à réfléchir les faisceaux de rayons laser envoyés vers la Lune de divers points du globe terrestre. Installé en quatre minutes, conçu pour fonctionner dix ans, le réflecteur-laser permettra de calculer à quelques centimètres près la distance Terre-Lune (qu’on connaît actuellement à quelques mètres près), déterminer la forme exacte de la Lune, ses dimensions, et ses oscillations autour de son axe, calculer à quelle vitesse la Lune s’éloigne de la Terre et obtenir des renseignements sur la Terre elle-même, notamment déterminer la distance exacte entre les continents, vérifier s’ils dérivent lentement, étudier les mouvements du pôle Nord géographique, calculer la vitesse de rotation de la Terre et mesurer ses oscillations autour de son axe.
Le sismographe est installé. Le réflecteur-laser également. Les astronautes, tout en travaillant sans relâche, continuent à transmettre au centre de Houston leurs impressions et toutes les informations recueillies.
Armstrong signale avoir repéré autour du module une infinité de petits cratères, qu’il compare aux « trous causés par les plombs des fusils à air comprimé ».
– Juron lunaire –
L’exploration lunaire touche à sa fin. Les astronautes commencent à plier bagage, abandonnant sur la Lune la caméra, d’un prix de revient de 11.000 dollars, qui a si fidèlement suivi leurs évolutions et retransmis l’essentiel de leurs activités sur la Lune et les outils qui leur ont servi à ramasser les échantillons sélénologiques qu’ils remontent par un filin actionné par une poulie dans l’étage supérieur du module. Ils replient le collecteur de vent solaire et le font également glisser le long du filin, leur « corde à linge », comme ils l’appellent.
Pour mener à bien l' »opération chargement », Aldrin a grimpé les neuf échelons de l’escalier et debout sur la plateforme attrape les objets qu’Armstrong lui passe et les range soigneusement à l’intérieur.
Il y a maintenant plus de deux heures et dix minutes qu’Armstrong est sorti, une vingtaine de moins pour Aldrin.
L’opération se déroule sans incident si ce n’est qu’à un moment, Aldrin laisse échapper un rouleau de pellicules qui tombe sur la Lune. Armstrong le ramasse instantanément, facilement, nonchalamment presque, démontrant une fois de plus que toutes les craintes de la Nasa sur les difficultés que les astronautes pourraient avoir à se mouvoir sur la Lune, étaient vaines.
Cet incident a également permis aux Terriens d’entendre le premier « juron lunaire ». Aldrin, furieux de sa maladresse, a lancé un « Damn » retentissant en voyant le rouleau lui échapper.
Aldrin pénètre à l’intérieur du module. Armstrong jette un dernier coup d’oeil autour de lui, empoigne les barreaux de l’échelle, monte, entre, ferme l’écoutille. Il est 01H11 (05H11 GMT). L’exploration de la Lune est terminée. Mission accomplie. Succès total.
Cinq minutes avant que les astronautes ne regagnent leur habitacle, la Nasa faisait d’ailleurs savoir que le réflecteur-laser qu’ils venaient d’installer fonctionnait parfaitement. L’observatoire Lick de Californie avait d’ores et déjà dirigé un faisceau de cette lumière cohérente, monochromatique et concentrée sur l’appareil qui l’a immédiatement renvoyé vers sa source, démontrant ainsi son bon état de marche.
– « Alléluia » –
Il ne reste plus aux deux valeureux explorateurs qu’à faire le ménage de leur cabine, balayer vers la porte l’appareil-photo – vide – qui leur a servi à photographier sur tous leurs angles les cailloux lunaires qu’ils ont ramassés, leurs bottes, leurs gants, leurs harnais de survie, d’autres détritus et déchets divers comme des sacs à nourriture vides et des sacs d’urine, dépressuriser de nouveau le « LM », ouvrir la porte, balancer sur la Lune leurs « ordures », refermer l’écoutille, repressuriser une dernière fois le module, manger et dormir.
A 13H55 (17H55 GMT), ils doivent décoller de la Lune pour rejoindre la cabine de commande où gravite toujours, seul à bord, leur co-équipier, Michael Collins, une des seules personnes au monde qui ne put suivre leurs activités à la télévision. Collins, cependant, était tenu au courant des évolutions de ses camarades par contact radio. Il veillait d’en haut sur eux et quand on lui apprit que leur expédition s’était soldée par un triomphe et qu’ils étaient sains et saufs à bord du « LM », il manifesta sa joie et son soulagement par ce seul mot: « Alléluia ».
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