En 1919, les expulsions pour cause de non-paiement de loyer mobilisent les anciens combattants. © DR

LE PEUPLE GRONDE FACE AUX PRIVATIONS

La Grande Guerre a complètement déréglé la vie économique du pays. A la fin du conflit, les prix sont plus élevés que partout ailleurs en Europe. Ils atteignent en moyenne un niveau cinq fois supérieur à celui de 1914. C’est le problème le plus grave auquel est confronté le nouveau gouvernement en 1919.

Lors de la sortie de guerre, c’est en matière de ravitaillement que les attentes de la population sont particulièrement élevées. Dans une lettre adressée au roi, le leader socialiste Joseph Wauters explique que la population doit, après le départ de l’occupant, immédiatement avoir le sentiment  » que nous entrons dans une période nouvelle ; pour cela, il faut améliorer l’alimentation, réduire les prix, et donner sans retard des vêtements convenables, car voici l’hiver « . Le nouveau gouvernement Delacroix, une tripartite installée en novembre 1918, marque une profonde rupture avec la politique alimentaire d’avant-guerre. Ministre du Ravitaillement en plus d’être en charge de l’Industrie et du Travail, Wauters contrôle le commerce du pain.

Sa préoccupation principale dans les premiers mois de 1919 consiste à réintroduire le pain blanc sur le marché. Après avoir subi pendant des années l’insipide pain gris de guerre, la population aspire à retrouver son pain blanc d’antan. Quelques mois plus tard, Wauters peut s’enorgueillir de sa réussite : le pain blanc fait sa réapparition dans les boulangeries. Des prix maximum sont également fixés au niveau national pour d’autres produits tels que la viande, le lait, le sucre et le chocolat. C’est la première fois dans l’histoire du pays que le gouvernement prend de telles mesures. Cette politique alimentaire radicale permet à la Belgique d’être épargnée par les émeutes de la faim qui secouent de nombreux autres pays durant l’été 1919.

SE LOGER

Sur le marché locatif, la situation est nettement plus tendue après le conflit. En 1919, on estime qu’il manque 100 000 logements en raison des destructions de guerre et du retour des réfugiés. Au cours du conflit, l’occupant a de surcroît protégé les locataires belges contre les expulsions. La question des arriérés de loyer pend donc comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du gouvernement. A l’entrée en fonction de la nouvelle équipe en novembre 1918, le tout nouveau ministre de la Justice, Emile Vandervelde, interdit toutes les expulsions jusqu’au vote d’une nouvelle loi réglant la question des loyers. Vu la forte opposition conservatrice à la Chambre et au Sénat, cette première loi sur les loyers d’avril 1919 se révèle cependant particulièrement modérée et aboutit à un très grand nombre d’expulsions.

En quelques mois, des milliers de locataires défaillants sont concernés. Elles se déroulent souvent dans un climat extrêmement agité, les badauds replaçant le mobilier des familles expulsées à l’intérieur du logement en guise de protestation. Les anciens combattants jouent souvent un rôle central lors de ces actions. A la suite de cette crise, Vandervelde dépose en août 1919 une loi bien plus radicale, qui gèle les loyers. Là aussi, la mesure est inédite. Ils ne peuvent augmenter de plus de 30 % par rapport à l’avantguerre. Ils sont ainsi maintenus bien en deçà de l’inflation. Cette loi parvient à calmer les esprits, et ce n’est qu’en 1926 que le marché des loyers est à nouveau progressivement libéralisé.

TRAVAILLER

L’augmentation des prix exerce évidemment une forte influence sur le pouvoir d’achat des salariés. Après la guerre, le pays est submergé par une vague de grèves sans précédent. En 1919, plus de 150 000 personnes interrompent le travail. Du jamais-vu. Les grévistes sont même plus de 280 000 l’année suivante. Plus de 70 % des grèves sont motivées par des exigences salariales. La syndicalisation augmente elle aussi de manière exponentielle. La sortie de guerre est marquée par l’acquisition définitive de la liberté syndicale. Là aussi, le ministre du Travail Joseph Wauters joue un rôle crucial. Il crée les premiers comités paritaires nationaux pour désamorcer les conflits sociaux. Pour la première fois, un gouvernement amène employeurs et salariés sur un pied d’égalité à la table des négociations. Même si les compétences de ces commissions restent minimes, elles sont un premier pas dans l’institutionnalisation de la concertation sociale. Wauters instaure en outre le premier index des prix à la consommation, qui doit servir de baromètre objectif dans le cadre des négociations salariales.

LE PEUPLE GRONDE FACE AUX PRIVATIONS
© PHOTO NEWS

Wauters et Vandervelde : l’avènement des ministres socialistes

Aux côtés d’Edouard Anseele, Joseph Wauters et Emile Vandervelde sont les premiers socialistes à devenir ministres. Ce sont surtout Wauters et Vandervelde qui, respectivement en tant que ministre du Travail, de l’Industrie et du Ravitaillement et ministre de la Justice, parviennent à marquer la politique des trois premiers gouvernements d’union nationale. Ils mènent des réformes radicales dans les secteurs de l’alimentation et des loyers, tandis que la liberté de grève et la liberté syndicale sont reconnues. Cette politique rend les syndicats incontournables. Ils s’érigent en une force dont doit tenir compte le gouvernement. Wauters et Vandervelde parviennent également à concrétiser de nombreuses préoccupations socialistes d’avant-guerre telles que le suffrage universel, la journée des huit heures et la création du Fonds national de crise qui subsidie l’assurance-chômage. En outre, Vandervelde fait passer une loi visant à réduire drastiquement la consommation d’alcool au sein de la classe ouvrière. Même si le POB retourne dans l’opposition après trois ans, l’héritage de ces ministres socialistes survivra. Les gouvernements libéraux-conservateurs qui succèdent aux gouvernements d’union nationale ne peuvent pas se permettre de revenir totalement sur ces mesures. Après la guerre et en peu de temps, les ministres socialistes ont ainsi jeté les premières bases prudentes de l’Etat-providence.

Joseph Wauters (à gauche) et Emile Vandervelde.
Joseph Wauters (à gauche) et Emile Vandervelde.© BELGAIMAGE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire