Visite du commissaire royal à Nyanza, en 1918. © AP.0.1.7180, PHOTOGRAPHE GOURDINNE

LE MANDAT SUR LE RUANDA-URUNDI

En 1919, l’Allemagne est contrainte par les alliés de renoncer à ses possessions coloniales. Son empire, réparti en Afrique, Asie et Pacifique, est partagé entre les vainqueurs et placé sous mandat de la Société des Nations. Les territoires appelés aujourd’hui Rwanda et Burundi sont attribués à la Belgique qui les a conquis en 1916.

Lorsque l’Allemagne est contrainte de renoncer à ses possessions d’outre-mer en faveur des principales puissances alliées, la Belgique espère faire, elle aussi, partie des bénéficiaires du partage. Ses troupes coloniales ont participé à la conquête du Cameroun et à celle de l’Afrique orientale allemande. Depuis 1916, elles occupent les royaumes du Rwanda et du Burundi. Or, le projet de traité de paix répartit l’empire colonial allemand entre la France, l’Italie, le Japon et la Grande-Bretagne. Mécontente, la Belgique revendique l’intégralité des territoires africains qu’elle administre depuis 1916. Elle obtient la tenue de pourparlers avec l’Angleterre, attributaire de l’ex-Afrique orientale allemande.

Certains chercheurs ont même qualifié de double colonisation le régime du mandat belge.

Dans un accord signé le 31 mai 1919, les signataires demandent au Conseil suprême d’accorder le mandat d’administrer le Ruanda-Urundi à la Belgique et le reste du territoire est-africain aux Britanniques. Les autorités belges espèrent échanger les deux royaumes des Grands Lacs contre un accès plus large à l’océan Atlantique moyennant un troc en trois temps. Elles donneraient le Ruanda-Urundi aux Britanniques. Ceux-ci abandonneraient une partie de l’ex-Afrique orientale allemande aux Portugais. Ces derniers la troqueraient contre une bande côtière cédée au Congo belge. Cette chimère ne se concrétisera jamais. Par contre, le 21 août 1919, le Conseil suprême des alliés (Etats-Unis, France, Angleterre, Japon, Italie) avalise l’accord belgo-britannique et, le 31 août 1923, le Conseil de la Société des Nations attribue le mandat sur le Ruanda-Urundi à la Belgique.

Musinga, mwami du Ruanda (assis), en 1925. Un roi en fait chapeauté par un gouverneur, résident européen.
Musinga, mwami du Ruanda (assis), en 1925. Un roi en fait chapeauté par un gouverneur, résident européen.© HP.1960.5.1289, PHOTOGRAPHE L.M. DELHAYE

UN RÉGIME COLONIAL CLASSIQUE ?

Les autorités belges se retrouvent à la tête de nouveaux territoires qu’elles s’empressent d’annexer administrativement à leur colonie. Suivant l’exemple allemand puis britannique en Afrique orientale, elles optent pour le régime de l’administration indirecte, laissant, en apparence, le pouvoir dans les affaires coutumières aux institutions locales et à leurs Mwamis. Ce titre royal, porté par les rois du Rwanda et du Burundi, ainsi que par les chefs de clans, est une dénomination commune aux langues bantoues de la région des Grands Lacs. Les Européens de l’époque coloniale le traduisent généralement par  » sultan « . Les autorités allemandes puis belges ne reconnaissent cependant que les deux rois principaux de cette région, faisant fi des petits royaumes périphériques qui ne leur sont pas encore entièrement soumis. Certains chercheurs ont même qualifié de double colonisation le régime du mandat belge, la domination européenne renforçant la dynastie Nyiginya dans son emprise progressive sur l’ensemble du territoire de l’actuel Rwanda, notamment dans le Nord.

En réalité, le Ruanda-Urundi est dirigé depuis Usumbura par un gouverneur. Chaque royaume est contrôlé depuis Kigali (Rwanda) ou Kitega (Burundi) par un résident européen dont les pouvoirs sont étendus sur les plans judiciaire, législatif et exécutif. Sous ses ordres, des administrateurs président les réunions des chefs, s’occupent des tribunaux de territoire, contrôlent les activités des caisses indigènes. Des agents territoriaux perçoivent l’impôt, administrent les prisons, surveillent les grands travaux agricoles et routiers. Dès lors, au Ruanda-Urundi, le mandat est finalement un régime peu différent d’un système de colonisation classique.

Cet appareil administratif encadre étroitement les chefs africains qui sont chargés de faire exécuter de nombreuses mesures par les populations. Ces contraintes s’accentuent après la famine meurtrière qui frappe le Rwanda à la fin des années 1920 (près de 100 000 morts). Critiquée dans les médias internationaux pour mauvaise gestion de son mandat, la Belgique lance un vaste programme de constructions de routes, impose la constitution de réserves alimentaires, l’extension des cultures vivrières, l’introduction du manioc et du café, ainsi que la mise en oeuvre d’un plan de reboisement et de lutte antiérosive, sans compter une entreprise ambitieuse de lutte contre le pian, une maladie infectieuse liée à la pauvreté. Les autorités africaines sont les intermédiaires forcés de ces nouvelles politiques, qui les rendent souvent impopulaires auprès des populations locales.

 » UNE MISSION SACRÉE DE CIVILISATION « 

Reposant sur une conception hiérarchisée des civilisations, le régime des mandats attribue aux nations dites  » développées  »  » une mission sacrée de civilisation  » envers des  » peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions difficiles du monde moderne « . Elles doivent veiller à leur bien-être et à leur développement en assumant tout ou partie de l’administration de leurs territoires en fonction de leur  » degré de développement  » (art. 22 du Pacte de la Société des Nations).

Le Pacte comporte trois catégories de mandats. Le A concerne les territoires considérés comme presque capables de s’administrer eux-mêmes. Le B (dont le Ruanda-Urundi) implique que le mandataire assume l’administration du territoire dans l’intérêt de ses habitants. Le C s’applique aux populations dites  » arriérées « .

En dépit de ce classement des populations selon une échelle civilisationnelle, le régime des mandats constitue une nouveauté sur le plan du droit international et de la politique coloniale. Il donne pour la première fois un pouvoir de contrôle à un organisme international sur la gestion de territoires colonisés. L’administration des territoires sous mandat se fait au nom de la Société des Nations, et les mandataires doivent rendre des comptes devant la Commission permanente des mandats. Les habitants des pays sous mandat peuvent adresser des pétitions écrites à la SDN et sont avertis officiellement du sort réservé à leurs requêtes.

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