Le 22 novembre 1975, le jour où Juan Carlos d’Espagne est monté sur le trône
Enrubanné de turquoise et de rouge, il entre dans l’hémicycle bondé. A quelques mètres de lui, sur une table basse, trônent une couronne richement ornée et un sobre crucifix. Devant les hommes et devant Dieu, Juan Carlos prête serment dans un silence religieux.
Avant que s’élèvent les cris de joie : » Viva el rey, viva España ! » Yeux cernés, Juan Carlos garde un visage fermé. Grave, sérieux. Mystérieux aussi. Les nombreux observateurs n’ont qu’une question à l’esprit : le nouveau roi sera-t-il le digne héritier du Caudillo ou celui qui emmènera son pays vers de nouveaux lendemains ?
En 1931, le roi Alphonse XIII est renversé, et la monarchie espagnole disparaît avec lui. Place à la république ! Puis à la dictature. Mais les Borbón n’ont pas perdu l’espoir de revenir sur le trône. Don Juan, fils d’Alphonse, ne manque d’ailleurs guère de courtiser Franco dans l’espoir d’un jour récupérer ses droits. En 1948, il avance ses cartes, et obtient que son fils, Juan Carlos, puisse quitter l’exil pour être éduqué en Espagne. Découvrant son pays, l’enfant de 10 ans est placé sous la coupe de Franco. Il en devient un pion. Un proche. Un » fils « … Bientôt, Juan Carlos comprend que pour avoir lui-même une chance de monter sur le trône, il devra sacrifier les espoirs de son père…
En 1969, frappé de Parkinson, Franco adoube Juan Carlos : nommé prince d’Espagne, celui-ci devient le successeur attitré. L’homme veille à se préparer au mieux. Il multiplie les contacts. A l’intérieur de son pays, il parvient à s’attirer les faveurs de l’armée. A l’étranger, il se rend notamment proche du roi Baudouin. » Parfois, lui parler au téléphone me fait du bien « , confiera-t-il un jour. En février 1972, reçu en audience par Juan Carlos, l’ambassadeur de Belgique en Espagne est plutôt séduit par la personnalité du prince : » Il m’a paru, réaliste, manoeuvrier dans le bon sens, et désireux de remplir au plus tôt le rôle qui l’attend « , écrit le diplomate. » Il sait que, pour le moment, son ambition doit se limiter à être auprès de l’étranger une sorte d’image acceptable de l’Espagne d’aujourd’hui et de gage de l’Espagne de demain. »
En novembre 1975, lorsque Franco meurt, Juan Carlos ne fait pas l’unanimité. L’opposition socialiste profite de l’occasion pour réaffirmer ses convictions républicaines ; l’extrême droite redoute que Juan Carlos favorise la démocratisation ; quant aux monarchistes, nombre d’entre eux préféreraient la désignation de Don Juan, le père de Juan Carlos, qui n’a pas abandonné ses prétentions. Relativement populaire, Juan Carlos est tout de même désigné. En trois temps, et en trois ans, il impose alors sa griffe. En 1976, de passage aux Etats-Unis, il annonce son intention de rétablir la démocratie. En 1977, il soutient la tenue des premières élections libres. Et en 1978, il fait voter une nouvelle Constitution. Juan Carlos est devenu le roi de la démocratie. En 1981, en s’opposant à un coup d’Etat militaire perpétré par des membres de la garde civile, il en deviendra même le sauveur. Et un héros.
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