Laurent-Désiré Kabila sur les traces de lumumba
Se situant dans la voie tracée par Lumumba, le jeune Laurent Kabila se donne, dès les premières heures de son engagement politique, la vocation de devenir « un soldat du peuple », un « combattant-défenseur du droit à la liberté de l’homme congolais et de tous les opprimés, en Afrique et dans le monde ».
Arrivé au pouvoir le 17 mai 1997, Kabila est assassiné le 16 janvier 2001. Il est le maquisard qui aura livré le plus long combat de résistance à la dictature de Mobutu et qui, parvenu au sommet de l’Etat, aura connu, avec Kasa-Vubu, le plus bref règne d’entre les chefs d’Etat du Congo.
Né en 1939 à Jadotville (Likasi), Kabila y fait ses études primaires avant d’aller à l’Institut Saint-Boniface de Lubumbashi. Ici, il est découvert « intellectuel, entraînant, amoureux de sport et de musique, jouant de la guitare et composant des chansons ». Séduit par l’effervescence politique, le jeune Kabila opte pour le Parti Balubakat de Jason Sendwe (allié du MNC/Lumumba) contre la Conakat de Tshombe, se démarquant ainsi de ce dernier qui nourrit des visées sécessionnistes. Kabila entre en rébellion avec des membres du gouvernement Lumumba révoqué en septembre 1960. Et, sans désemparer, il demeure dans la résistance anti-impérialiste jusqu’à son accession à la présidence de la République et à sa mort, combattu et assassiné par ceux-là mêmes qui l’auront aidé à parvenir à faire tomber le régime dictatorial de Mobutu.
Dans le gouvernement démocratique de la province du Lwalaba au Nord-Katanga formé en 1961, Kabila occupe des fonctions de directeur provincial, puis de chef de cabinet au ministère de l’Information. A ce titre, il présente des » billets politiques » à la radio. Il collabore au journal appelé Petit Figaro du Nord-Katanga, et, plus tard, il crée son propre journal L’Etincelle. Il est fait député provincial. Peu après, il rallie le Conseil national de Libération (CNL) créé le 3 octobre 1963 par les « nationalistes » lumum-bistes Christophe Gbenye et Gaston Soumialot. Dans le gouvernement provisoire du CNL-Est installé à Albertville (Kalemie) le 27 juillet 1964, Kabila est vice-président chargé des Relations et du Commerce extérieurs. Et dans le Conseil suprême de la Révolution créé le 6 août 1965 par Soumialot, le très jeune Kabila est vice-président en sa qualité de commandant suprême du front Est (Kivu et Katanga).
Kabila effectue de nombreux voyages et séjours de formation à l’étranger, surtout dans les pays socialistes africains (Tanzanie, Angola, Egypte), asiatiques et européens. Il a pu faire des études de philosophie en France et à l’université de Tachkent, dans l’ancienne Union soviétique (actuel Ouzbékistan). A travers la Tanzanie, il bénéficie d’un important soutien de la Chine.
En janvier 1967, Kabila se distancie du CNL, crée le Parti de la révolution du peuple (PRP) au retour de formation en Chine. Le parti se veut marxiste-léniniste, privilégie la lutte armée pour « libérer le Congo du régime meurtrier et despotique installé par les Etats-Unis et dirigé par leur marionnette Mobutu ». Chaque jour, il assure la formation idéologique révolutionnaire à ses militants. Les conseils et ouvrages de Mao Tsé-Toung servent de référence.
Mao et Che Guevara
Il met en place les Forces armées populaires, branche armée du PRP destinée à mener à sa fin l’objectif de la libération des paysans de la misère, de la déconsidération et de l’exploitation dont ils sont victimes par les forces impérialistes. Il crée des cités agricoles sur la base du principe de la « self-reliance » valorisé par le socialisme africain de Julius Nyerere, prescrivant de ne compter que sur ses propres efforts, et il intensifie l’éducation à la nécessité de la guérilla dans les régions rurales, en conformité aux prescriptions maoïstes.
Quand il arrive au pouvoir, en 1997, Laurent Désiré Kabila tente de reconduire ce programme. Il fonde le Service national, des cantines populaires, la Réserve stratégique. Il se méfie des partis politiques et met en place des Comités du pouvoir populaire (CPP) : un mouvement qui entend « restituer le pouvoir au peuple », instituant une vraie démocratie, directe, depuis la base.
Kabila est un acteur politique constant, persévérant, et déterminé dans son combat de plus de trente ans, résistant dans l’ombre et dans un quasi-silence contre le régime dictatorial, dévastateur et néfaste de Mobutu. En avril 1965, le célèbre Ernesto Che Guevara rejoint la révolution congolaise menée par Kabila depuis le maquis de Fizi. Laurent Kabila est encore très jeune (26 ans), et même trop jeune aux yeux de Che Guevara. Néanmoins, ce dernier est impressionné par le jeune homme. Il le trouve intelligent, comprenant correctement les enjeux de la scène mondiale. Il a saisi, comme lui-même, que « le principal ennemi était l’impérialisme nord-américain et qu’il se tenait prêt à mener le combat contre lui jusqu’au bout ». Il voit en lui une grande promesse révolutionnaire. Il lui détecte un destin de vrai leader révolutionnaire quoiqu' » aimant trop la boisson et les femmes » et « trop versé dans des discussions politiques incompatibles avec les objectifs de la révolution ». Effectivement, à la faveur de l’âge et de longues années de lutte, Kabila a pu changer, mûrir, et fait montre d’une grande capacité de meneurs d’hommes, prenant sa tâche révolutionnaire très au sérieux et avec une forte détermination.
Plus tard, le peuple congolais lui reconnaîtra ces qualités, et cette grandeur d’âme qu’il aura acquises à travers les dures souffrances de son long combat patriotique. En effet, bien plus que lors de l’entrée triomphale de l’Alliance des forces démocratiques de libération du congo (AFDL) dans Kinshasa, la mort inattendue de « M’Zee Kabila » a fait voir, dans un deuil d’une tristesse particulièrement profonde, combien le peuple congolais a aimé cette personnalité qui venait courageusement le libérer de l’abjecte pauvreté engendrée par la longue et redoutable dictature de Mobutu. Confronté à une « guerre longue et populaire » imposée de façon » injuste » et finalement assassiné, Kabila n’aura pas eu trois ans de travail effectif au sommet du pouvoir. Il n’a donc pas pu sortir son peuple de la pauvreté et de la misère.
La mémoire retient que, en plus de quelques infrastructures et la stabilisation de la monnaie, Laurent Kabila a réussi à imposer l’ordre et la discipline dans tous les secteurs. Les politiciens voleurs ont pris peur, certains ont été mis en prison, la corruption a diminué. Mais bientôt la » révolution-pardon » redonne libre cours au laxisme. On retient de Kabila père ce très sympathique rire-sourire magnétique qui jaillit, de façon perpétuelle, d’un coeur nationaliste gonflé d’audace, de détermination et de persévérance admirables. Et le peuple retient de lui une personnalité honnête et véritablement patriote, trop tôt partie, arrachée par les forces maléfiques de la domination occidentale. Un homme par qui le Congo aurait pu se placer, de manière décisive, sur la route de la rigueur patriotique, de l’intégrité morale, du progrès économique, de la grandeur et de la dignité.
Le peuple regrette sa disparition, rendue précoce, comme pour Lumumba, du fait sans doute d’un entrain patriotique téméraire, marxiste archaïque, et dépourvu de stratégie défensive adéquate. Aussi longtemps que persisteront le désordre, l’immoralité, la corruption et la dictature qu’il a combattus toute sa vie jusqu’au sacrifice suprême, les Congolais n’auront de cesse de se référer à Laurent Kabila fait « héros national », comme Lumumba. En particulier, les intellectuels, à qui il a spontanément fait confiance pour leur science, l’ont accueilli telle une chance énorme, offerte à notre pays pour pouvoir accéder à la démocratie, à une gouvernance enfin correcte, rigoureuse, intelligente et honnête, devant guider et accélérer notre marche vers le développement. Avec sa mort, les espoirs ont été fauchés, les bienfaits attendus de l’indépendance renvoyés à une date ultérieure.
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